Souvenez-vous… c'était il y a plus de 35 ans. Le marché de la video était balbutiant. Les multiplexes n'existaient pas. Les cinémas de quartier vivaient leurs dernières heures de gloire. Le Brady faisait encore rêver avec son double-programme à même pas 20 francs. Et une avalanche de films improbables trouvaient le chemin des écrans de cinéma. Ce même type de produits qui arrivera plus tard en DTV (« Direct To Video ») et aujourd'hui en VOD, SVOD, ou pour ceux qui se veulent plus malin (sans l'être vraiment) pour tromper le chaland, en « e-cinéma » (insérer « rires »). Parmi eux : LES DOIGTS DU DIABLE d'Alfredo Zacarias. Une affiche qui attirait l'oeil, une sortie courant 1980 par le légendaire distributeur Ciné Paris Distribution, et une VHS qui fit le bonheur des vidéoclubs! Et depuis… plus rien. Rien? Non! Car l'éditeur américain Vinegar Syndrome vient de sortir un Blu Ray qui, en plus d'être toutes zones, contient le doublage français. Mais également… deux versions différentes du même film!
Mark Baines (Roy Jenson) est bien décidé à réouvrir une mine d'argent au Mexique. En compagnie de sa femme Jennifer (Samantha Eggar), il se rend au cour de la mine réputée maudite. Pas de chance : ils réveillent accidentellement un démon qui prend possession de la main gauche de ses victimes… qui commettent des atrocités! Jennifer se tourne alors vers un prêtre peu orthodoxe (Stuart Whitman) afin de l'aider.
Conscient de devoir prétendre le film à l'international afin de garantir sa complétude, Zacarias opte donc pour des noms vendeurs. Samantha Eggar arrive de suite sur le tapis, encore toute auréolée de ses rôles hollywoodiens dans LE COLLECTIONNEUR, L'EXTRAVAGANT DOCTEUR DOOLITTLE, SHERLOCK HOLMES ATTAQUE L'ORIENT EXPRESS, Mais déjà un pied dans le monde du film fantastique. Avec THE UNCANNY, CHROMOSOME 3 ou encore L'EXTERMINATEUR. On peut dire que DEMONOID représente un rôle pivotal dans sa carrière. Celle-ci dévissera quasi totalement après-coup, enchainant petits rôles dans des séries TV ou d'obscurs téléfilms. La raison même d'accepter de tourner un production mexicaine avec un inconnu demeure encore un mystère - si on omet le chèque substantiel touché pour l'occasion.
Le rôle du prêtre atypique est tenu par Stuart Whitman. Là aussi, un beau vertige de carrière. Ayant oeuvré dans LES COMANCHEROS, CES MERVEILLEUX FOUS VOLANTS DANS LEURS DROLES DE MACHINES, RIO CONCHOS… la décennie 70's sera moins glorieuse, porteuse de téléfilms, séries et LES RONGEURS DE L'APOCALYPSE… pour verser définitivement dans le bis avec LE CROCODILE DE LA MORT ou SAFARI CANNIBAL. Mais en 1979, un nom connu aide à la vente. Il faut croire que Whitman avait encore un certain crédit.
D'un point de vue technique, Zacarias s'offre les services d'un directeur photo aguerri, à savoir Alex Philips Jr, auteur de la photographie de LA COLERE DE DIEU de Ralph Nelson, APPORTEZ-MOI LA TETE D'ALFRED GARCIA de Sam Peckinpah… et qui fera par la suite ALLAN QUATERMAIN ET LES MINES DU ROI SALOMON et sa suite, LE TEMPLE D'OR et ce petit chef d'oeuvre qu'est LA LOI DE MURPHY. On l'aime, quoi, même si visiblement le réalisateur et le directeur photo se sont copieusement opposés sur le look à donner au film. Philips donne à ce titre un sérieux coup d'accélérateur au rendu visuel. On ne pourra passer enfin sous silence la présence de la plantureuse Haji, portée aux nues par Russ Meyer dans FASTER PUSSYCAT, KILL KILL, MOTORPSYCHO ou encore SUPERVIXENS!
Tout d'abord, le réalisateur du pénible LES ABEILLES avec John Saxon -qui devrait arriver en Blu ray courant 2016-, bénéficie d'un budget plutôt confortable. Multiples décors, plusieurs pays visités, têtes d'affiche… tout est réuni pour mélanger aventures, horreur, possession démoniaque… des thèmes bien en vogue lors du tournage en 1978. Et qui curieusement s'éloigne de manière salutaire de la folie slasher qui s'empara des écrans mondiaux juste après HALLOWEEN.
Il faut aussi comprendre qu'il existe deux versions du film. L'une nommée DEMONOID : MESSENGER OF DEATH, sortie aux USA. Puis une autre nommée MACABRA, qui est celle que nous avons eue en France. Ca tombe bien, l'édition Blu ray possède les deux - on y reviendra un peu plus bas. Difficile de savoir laquelle est la meilleure… l'une étant plus violente et rythmée de manière adroite mais plus courte. L'autre étant moins agressive mais contenant plus de scènes expliquant un peu mieux l'action à l'écran. Donc la version vue en France, et déjà éditée en Allemagne en DVD chez Laservision.
Il faudra dire de prime abord que la revoyure de DEMONOID peut être un choc thermique pour celles et ceux qui se bercent d'illusion! C'est du Bis américano-mexicain avec de l'argent. Mais qui reste du bis solide, au bord du n'importe quoi filmique. Pour le plus grand bonheur des cinéphiles de l'extrême que nous sommes. Cela en fait-il un bon film pour autant?
Non.
Mais c'est exactement la raison pour laquelle il faut se procurer le film!
Zacarias peine quand même un peu de temps à faire démarrer son long métrage. Une fois la mise en place des éléments, il enchaine un festival de non-sens, d'ellipses curieuses, d'un Stuart Whitman semblant au bord d'un état d'ébriété, de momies de Guanajuato, d'un zombie qui explose, d'un lance-flammes utilisé en pleine église… Aucune logique dans l'empilage de scènes d'attaques de la main qui se succèdent à belle vitesse.
Il faudra donc oublier tout espoir de frisson sérieux : le film ne fait jamais peur, ni ne surprend. Ou plutôt : si on se surprend, c'est à sourire des péripéties que subi la pauvre Jennifer, une Samantha Eggar indéniablement énergique mais écarquillant les yeux de manière quasi-permanente le long du récit. L'ensemble n'est jamais vraiment crédible, filmé un peu n'importe comment, tentant de surfer sur les thèmes du moment. Un peu de possession démoniaque par ici, un prêtre aux méthodes musclées par là… une spectaculaire poursuite en voiture, totalement gratuite, mais qui réveille en fanfare l'éventuel spectateur assoupi. Des débordements gore bienvenus, une très belle explosion de mine… certaines scènes y sont malgré tout plutôt bien menées et filmées, et peuvent faire illusion. Malheureusement, ça reste noyé au milieu de scènes d'exposition aux dialogues parfois ridicules, et à l'interprétation aléatoire. Exceptée la main baladeuse, aux effets spéciaux parfois très réussis! En fait, DEMONOID fonctionne rarement au premier degré. Au second, par contre, l'amateur de Bis y trouvera largement son compte!
Le Blu Ray US (avec un DVD dans la même boite) sorti par Vinegar Syndrome (1080p) s'avère une bonne surprise. Une remasterisation 2K des deux version depuis le négatif original, pour donner un BD de 50GB, en 1080p. Le format cinéma d'origine 1.85:1 se retrouve ici en 1.78:1 et d'une durée complète de 79mn56. Un grain respecté, pas d'utilisation nocive de réduction de bruit, ajouté à des couleurs chaudes chatoyantes, un respect du teint de peau qui demeure naturel. On note de jolis contrastes dans les scènes d'intérieur (notamment celles dans la mine). l'image donne quelques beaux détails lors de gros plans et offre une belle stabilité d'ensemble qui fera passer sur les quelques imperfections notées ça et là, quelques poussières et griffures. Rien de bien alarmant, ceci dit, Vinegar Syndrome ayant effectué un très bon boulot! La version audio anglaise en DTS HD MA 2.0 reste efficace, sans souci notable. Bon équilibre entre musique du film, effets sonores et dialogues parfaitement audibles. C'est un peu moindre sur la VF de la version MACABRA, mais on ne fera pas la fine bouche - ceci étant l'unique possibilité de voir LES DOIGTS DU DIABLE en HD et en français.
A noter que l'édition offre également un DVD toutes zones (au recto aux couleurs de l'affiche allemande de MACABRA!), avec exactement les mêmes contenus que le Blu Ray.
La partie qui nous intéressera tout particulièrement demeure le bonus qui apporte la version internationale. En effet, puisqu'en France avons-nous eu droit à une version nommée MACABRA certes plus longue… mais expurgée de toutes les séquences gore et sexy, dont la séquence d'ouverture de 2m20 de DEMONOID. Et rallongée de scènes de dialogues/d'exposition, de divers ralentis, version alternatives des scènes de mises à mort… pour arriver à 90mn14. D'ailleurs, le film possède un ton plus surnaturel qu'horrifique… et se trouve débarrassé de son simili-démon aux apparitions stroboscopiques dans DEMONOID. Qui lui donne des faux airs de réminiscences de l'EXORCISTE! Ce qu'en s'en expliquera Alfredo Zacarias dans son interview réalisée pour la sortie de ce Blu Ray. Sans bouleverser de manière éhontée l'ordre du film ou de son sens. Il y ajuste la séquence pré-générique qui reste absente. Donc qui n'a jamais été vue dans les copies distribuées en Europe. Une autre curiosité : la partition e Richard Gillis n'est audible que dans la version européenne du film. DEMONOID possède une variété de thèmes provenant de librairies audio faite de musiques libres de droits, voire repiquées à droite à gauche dans d'autres films. Très curieux. Cette version tripatouillée de DEMONOID a donc servi à l'export international, partant du principe que, selon Zacarias, le public américain préférait le gore et le sexe. Alors que le reste du monde préférerait une version, selon les termes employés, « plus familiale ». Familial, LES DOIGTS DU DIABLE? Fichtre! Difficile de croire qu'il fut validé au goupillon de l'office Catholique du film français et diffusé à 20H30 sur TF1 un dimanche soir! L'avantage demeurant que l'éditeur a seulement opté pour la version anglaise d'origine, mais également inclus la version française d'époque! Adieu donc votre bonne vieille VHS! Le Blu Ray étant toutes zones, plus rien ne peut vous empêcher de commander et visionner LES DOIGTS DU DIABLE. Un seul hic, étant que la version originale DEMONOID ne possède aucune option francophone. La connaissance de l'anglais reste donc obligatoire pour découvrir la version telle que l'a voulue le réalisateur.
Enfin, l'interview d'Alfredo Zacarias (en anglais sans sous-titre) apporte une lumière intéressante sur le processus de montage financier et créatif du film. Il souhaitait originellement que Roger Corman distribue le film. Pour finalement changer d'avis et le sortir lui-même. Un expérience assez amère, sa société n'existant que très peu - pour distribuer par ailleurs RAW FORCE (dont le Blu Ray sort également chez Vinegar Syndrome) peu de temps après et s'éteindre juste après. Un peu d'amertume, mais surtout beaucoup d'enthousiasme et avec une idée ferme et ambitieuse sur la portée réelle de son film. Un peu trop d'ailleurs car il existe un gouffre entre les velléités de l'auteur et le résultat final. Qu'importe, Vinegar Syndrome a produit une édition qui est vivement recommandée!