En 1959, Ray Kellogg apparait comme un technicien d'effets spéciaux émérite qui a déjà travaillé sur nombre de productions hollywoodiennes. Un producteur texan l'embauche, comme nombre de ses pairs techniciens, pour le tournage coup sur coup de deux films : THE KILLERS SHREWS et THE GIANT GILA MONSTER. Deux productions régionales aux budgets étriqués, destinés à une exploitation locale et en double-programme. Les deux long-métrages n'auront de ce fait aucune distribution nationale. Une destinée peu commune, avec la particularité d'arriver à la fin du cycle de monstres des années 50. Inédits en France, l'oubli est partiellement réparé avec la sortie du DVD Zone 2 de THE GIANT GILA MONSTER chez Rimini éditions.
En plein Texas, plusieurs disparitions inquiétantes ! Il semble qu'un lézard géant carnivore soit à l'origine de tout cela. Chase (Don Sullivan) un valeureux teenager, mécano et musicien à ses heures perdues, va tenter de sauver ce petit monde avec l'aide du shérif (Fred Graham) et de sa petite amie française (Lisa Simone).
Cameraman durant la seconde guerre mondiale, Ray Kellogg oriente sa carrière vers les effets visuels, principalement pour la Fox dans les années 50, dont il prend la tête du département en 1954. Il travaille sur de prestigieuses productions comme LE ROI ET MOI, ARRET D'AUTOBUS, A 23 PAS DU MYSTERE (excellents effets spéciaux visuels !), LA MOUSSON… avant de se tourner vers la réalisation. Après trois expériences filmiques, il devient réalisateur seconde équipe, sur TORA! TORA! TORA! ou encore CLEOPATRE. Son autre titre de gloire est d'avoir co-réalisé le pénible LES BERETS VERTS avec John Wayne.
Le reste du casting fait surtout une apparition météoritique dans le monde du cinéma. Qu'il s'agisse de Lisa Simone, française de service qui a éclairé moins d'une dizaines de séries B ou encore Don Sullivan et son banjo infernal. On mettra à part le shérif joué par Fred Graham, véritable pilier des seconds rôles dans les westerns, séries TV et polars : pas moins de 270 interprétations tout au long de sa carrière! Enfin, petite précision saurienne : le héros du film est le monstre de Gila, un reptile venimeux qui peut atteindre 60 cm. Ici, bien sûr, une vague explication scientifique le porte à la taille d'un bus. Mais est-on vraiment dupe, hein?
Une structure suivant peu ou prou la modèle typique « teenagers contre monstres en tous genres ». avec si possible irruption du monstre en question lors d'une fête musicale endiablée. On retrouve ainsi cette même scène de EARTH VS THE SPIDER de Bert I. Gordon ici-même, à partir de la 55e minute. Il suffit de remplacer une araignée géante par un lézard «noirs aux raies roses» géant et le tour est joué. Sauf que chez Gordon, il existe un minimum de suspens et d'action montée astucieusement. Ici, Kellogg lance une caméra paresseuse à l'assaut de la bébête. Caméra sur pied, pano, plan fixe. Sans grande inventivité, une direction d'acteur inexistante. Il se dégage de certains produits B un charme indéniable du à l'extravagance du sujet, aux effets spéciaux ratés… ATTACK OF THE 50 FT WOMAN en fait partie. mais le film transcende sa médiocrité grâce à de multiples exagérations. Ici, comme la mise en scène ne sait pas vraiment comment s'y prendre et que le scénario se contente du minimum... THE GIANT GILA MONSTER enfile des saynètes de dialogues mous, une apparition du monstre, d'autres dialogues, puis une nouvelle apparition. Sans réel entrain.
En fait, le film avance en pilotage automatique, sans aucun réel sens de construction du suspense. Voir en ce sens l'explosion du camion vers la 37e minute : le monstre apparait juste, tire la langue, le conducteur hurle, le véhicule explose. Cut. la scène est juste présente dans la métrage. Idem pour le déraillement du train, que la mise en scène et le montage ne parvient jamais à rendre spectaculaires. Affublant le tout de cris de voyageurs avec quelques secondes de retard sur la catastrophe!
La facture technique s'avère toutefois honorable. Photographie, cadre, lumières : on reste dans un niveau assez professionnel. Même les scènes du lézard révèlent un niveau plus qu'acceptable. Les maquettes ne font guère illusion, cependant. Idem pour l'aspect « aussi gros qu'un bus » du monstre, totalement hors propos. D'ailleurs, pour un spécialiste des effets spéciaux comme Ray Kellogg, il demeure surprenant de ne voir aucun interaction entre le monstre les humains. Comme Bert I. Gordon savait si bien le faire.
Quoi de mieux que la demoiselle en danger pour faire monter la pression ? Avec en sus la larmichete à l'oeil et faire du héros un super-héros au grand coeur? Pas de souci : le scénario prévoit… la petite soeur handicapée. Atteinte de poli, avec le mécano qui sue sang et eau pour lui payer de quoi remarcher. Le mélo dégoulinant qui en découle fait penser immanquablement à Linda Blair dans 747 EN PERIL à qui la nonne pousse la chansonnette. On y trouve ici le même syndrome où Don Sullivan sort le banjo pour entonner «le petit champignon». La chanson est d'ailleurs tellement fun (ahem) qu'on se la farcit une seconde fois vers la fin du long métrage. Avec des références de bondieuserie comme le Sud aime bien à l'entendre. Très moral en bout de compte et même un chouïa moralisateur. A l'inverse de films comme LA FUREUR DE VIVRE ou HOT ROD GANG, le héros n'est pas ici un teenager rebelle - bien au contraire. Chase a réformé le gang dont il faisait partie et les maintient dans le droit chemin! Mais les spécificités texanes ne sont pas en reste. Aider son prochain: oui. Alcool : pas bien. Rock'n roll : allez, un petit peu - mais du tout sage, hein. Mais la vitesse des bolides : oui. A en juger la tête de la mère à la 52e minute, le pilier de la famille ne semble pas être trop d'accord!
Malgré toutes ces scories, THE GIANT GILA MONSTER se suit sans trop de déplaisir. L'évidence de ne pas se trouver devant un classique du genre TARANTULA, DES MONSTRES ATTAQUENT LA VILLE ou encore LA CHOSE SURGIE DES TENEBRES saute de suite aux yeux. En fait, le long métrage de Ray Kellogg se trouve un net cran qualitatif en dessous des oeuvres de Bert I. Gordon. Ceci posé, on ne fera pas la fine bouche devant cette rareté qui a toujours ses fans assidus. Une conception filmique d'un autre âge mais qui résiste vaille que vaille à la critique. A un tel point qu'un (affreux)remake eu lieu en 2012 par Jim Wynorski, sobrement intitulé GILA!, et toujours avec Don Sullivan.
Pour la première fois en France, les éditions Rimini sortent un DVD de cette perle perdue de la série B US. D'une durée complète de 71mn33, en noir et blanc, au format 1.33:1. D'autres éditions du film ont égrené ces dernières années aux USA. Avec tout d'abord un superbe Laserdisc NTSC sorti dans la collection présentée par Elvira ! Au moins cinq éditions, à la qualité très aléatoire, le matériel provenant d'une copie 35mm (comme ici). Avec un DVD au format 1.85:1. Difficile de savoir au bout du compte le format réel utilisé, si ce n'est que le 1.33:1 présenté ici semble approprié au cadre de l'action.
Pour un film libre de droits, la copie s'avère moins mauvaise qu'on pouvait le craindre. L'ensemble parait voir été tiré des restaurations effectuées par Legend Films (dont le nom se trouve au dos de la jaquette). Qui a effectué à la fois la restauration du film en noir et blanc, mais également sa colorisation.
Le télécinéma révèle pas mal de griffures, poussières en tous genre. La copie présente également quelques rayures blanches (vers 62 mn 11, par exemple), qui prennent le pouvoir au fur et mesure que le film avance. Ceci ne gène toutefois en rien la vision de THE GIANT GILA MONSTER et participe quelque peu à cette »expérience » série B d'un autre âge. Un peu comme l'écoute d'un vinyle dont les craquements prouve sa patine et sa valeur d'objet du passé qui a passé les affres du temps. Autant les scènes d'intérieur offrent une assez jolie définition et un niveau équilibré de noir et blanc… autant les scènes d'extérieur gèrent plutôt mal les contrastes. Témoin d'un budget peu élevé, la gestion de la lumière ne s'avère malheureusement pas des plus heureuse. Au final, on ne note pas de traces gênantes de compression ni d'effets de peigne : la copie reste agréable à regarder.
Le film n'étant jamais sorti en France, il n'existe donc aucun doublage. De ce fait, l'éditeur français propose une piste audio anglaise d'origine (Dolby mono encodé sur deux canaux), avec sous-titres français optionnels. Les premières minutes font peur, la voix off étant couverte par un souffle et des grésillements. Passée cette première minute, on a droit à un son plutôt agréable. La musique lancinante de Jack Marshall, hélas bien ridicule et ne provoquant guère de frisson attendu, passe relativement bien. Elle donne quelque peu dans le trop aigu par moments. Les dialogues bien audibles, tout comme les effets sonores du monstre, sont sans aspérité ni dommage notable. Un bon point.
Le seul complément de cette édition française demeure… la version colorisée. Nonobstant le travail de restauration effectué, ce procédé douteux n'étant par ailleurs pas la version tournée originellement par l'auteur du film, cet aspect ne représente aucun intérêt à mes yeux. A noter que l'accès par chapitres se présente, une fois sélectionnée la section «chapitres», en deux choix : «couleur» et «noir & blanc» en haut à droite de l'écran.