Ecosse, 1884. Emily Blackford (Ombretta Colli) revient dans le chateau ancestral. Son père y est mort dans un incendie mystérieux. Son frère (Gerard Tichy) l'accueille mais tout a changé pour Emily, même le personnel du château n'est plus ce qu'il était. D'autant qu'une sombre malédiction semble peser sur la famille Blackford. La lignée s'éteindra sauf si Emily meurt avant ses 21 ans. Surprise, c'est justement dans cinq jours!
Autant le dire d'emblée : LE MANOIR DE LA TERREUR compte parmi les plus belles réussites du cinéma gothique européen des années 60. Arrivé sur le tard en France, le film ne rencontra pas le même succès que ses aînés et disparut quelque peu de la circulation. Un grand dommage !
Comme d'habitude dans les années 60, la quasi-totalité des noms au générique se prennent d'une furieuse envie de s'angliciser. Plus facile à vendre aux spectateurs italiens et internationaux. Martin Herbert emballe donc le produit hispano-italien… et derrière ce pseudonyme, nous retrouvons Alberto de Martino, futur auteur de HOLOCAUST 2000 et L'ANTECHRIST. Joan Hills abrite Ombretta Colli, actrice météoritique des années 60 qui, comme beaucoup, à la fin du XXe siècle, refit surface sous la bannière du parti politique de Silvio Berlusconi en Italie. Carlo Franci se cache sous celui de Francis Clark pour la musique du film. Même Alexander Ulloa ne garde que partiellement son nom. Il s'agit d'Alejandro Ulloa, que les amateurs de bis connaissent bien, puisqu'ayant photographié un nombre de films, comme COMPANEROS, ou encore DANS LES GRIFFES DU MANIAQUE de Jess Franco, des Gialli comme PERVERSION STORY ou PHOTO INTERDITE D'UNE BOURGEOISE…. et collaborateur régulier chez Enzo G. Castellari. Une pointure, quoi.
Les amateurs de gothique transalpin auront tôt fait de reconnaitre les multiples détails de décors et d'éléments scénaristiques qui parsèment le film. Par exemple: Les ruines de l'église dans lesquelles Ombretta Colli évolue sous hypnose sont celles qu'on retrouve dans quelques films de la saga des Templiers d'Amando De Ossorio, tout comme dans LE BOSSU DE LA MORGUE. Idem pour le château des Blackwood, qui est celui utilisé par Jess Franco dans L'HORRIBLE DOCTEUR ORLOF quelques deux ans plus tôt. Inutile de dire qu'il faudra faire un effort d'imagination pour faire passer l'Espagne du lieu de tournage pour le Royaume Uni et ses environs (ou encore la France pour la version américaine !).
Idem pour le scénario, dont les éléments de base ont été repris (plagiés?) dans LA VENGEANCE DE LADY MORGAN de Massimo Pupillo. Mais les personnages semblent aller et venir d'autres longs métrages. La malédiction ressemble quelque à celle de LA CRYPTE DU VAMPIRE, le monstre défiguré qui hante un château va tanguer du MANOIR MAUDIT à LA VIERGE DE NUREMBERG... Le personnage de l'altière et inquiétante gouvernante, une constante dans le film d'horreur en costumes italien, revient ici à la fière Helga Line. Qui d'ailleurs arbore le même look que dans LES AMANTS D'OUTRE TOMBE de Mario Caiano, qu'elle tournera en 1965 ! Les contreplongées vertigineuses dans des escaliers étroits… on pense fatalement à Mario Bava, Riccardo Freda ou Antonio Margheriti entre autres perles gothiques livrées dans cette première partie des années 60.
Ceci ne va pas aussi sans la touche Edgar Allan Poe. L'auteur était plutôt en vogue dans les années 60, avec les adaptations de Roger Corman qui commençaient à envahir les écrans mondiaux. Le fait que le héros se nomme Roderick (comme Roderick Usher de LA CHUTE DE LA MAISON USHER), ne doit rien au hasard. Même si les auteurs ne s'en réclament pas ouvertement (il est absent du générique), les emprunts/clins d'œil défilent allègrement. Le film fonctionne ainsi au mieux de sa forme lorsqu'il enclenche le mode ENTERRE VIVANT, avec l'héroïne en sorte de transe hypnotique. Mais l'ensemble tempère les obsessions Poe-esques, par exemple l'inceste suggéré dans LA CHUTE DE LA MAISON USHER. Si bien que LE MANOIR DE LA TERREUR, bien que production à majorité hispanique, se révèle une sorte de «best of» de ce que le cinéma d'épouvante gothique transalpin a pu produire de mieux. Non pas que le film soit une pierre d'angle au même titre que LE MASQUE DU DEMON ou, justement, EFFROYABLE SECRET DU DR. HICHCOCK. Mais il tient grandement la dragée haute à nombre de bandelettes sorties à la même époque.
Un choix de noir et blanc plutôt adroit pour Alberto de Martino, qui livre ici une de ses toutes meilleures œuvres! Le plan d'ouverture donne le ton : certes stéréotypé avec sa pluie battante, son château lugubre et ses ombres fuyantes. Mais l'entrée en matière vaut le détour et installe d'emblée l'atmosphère mystérieuse qui planera le long des presque 85mn. D'autant plus intéressant que le récit tendance gothique va loucher sur le suspense en whodunit, à l'érotisme léger : ah! Cette sempiternelle lumière à la bougie qui laisse deviner les contours de l'héroïne à travers sa longue nuisette transparente. Rendez-vous à partir de la 16eminute du film pour cette marque de fabrique du genre ! On remarque quand même que le tournage a dû être bien rude, la plupart des scènes d'intérieur du château laissent apercevoir la respiration des personnages lorsqu'ils s'expriment - ce qui tend à laisser penser que le chauffage a du manquer pendant les scènes! Ce qui ne fait par ailleurs que rajouter au côté sombre et inquiétant de l'ensemble. En prime, quelques effets spéciaux optiques hardis et des maquillages réussis.
LE MANOIR DE LA TERREUR opte pour ce qu'il y a de plus pertinent en matière d'épouvante et de macabre. En jouant sur la carte du suspens, il ajoute une corde à son arc et sait de ce fait encore mieux capter le spectateur. Rien d'extraordinaire comme à l'habitude chez Alberto de Martino, mais un évident savoir-faire au service d'un scénario qui s'essaye à se tenir au-dessus de la mêlée, malgré ses emprunts grossiers.
Le film fut distribué tardivement au cinéma en France sous le titre LE MANOIR DE LA TERREUR, puis connu un retitrage pour sa sortie video chez Delta Video et s'appela DEMONIAC. Mais c'est bien sous son appellation d'origine qu'Artus Films propose un DVD zone 2 pour le marché français. Nous avons droit à une copie italienne, ceci au format 1.66:1, avec un signal 16/9e, en noir et blanc et d'une durée complète de de 84mn28. Le menu fixe et l'accès par chapitres demeure à l'image de ce que propose Artus depuis de nombreuses années maintenant.
Côté image, on se trouve dans une bonne moyenne par rapport aux produits tournés à cette même époque. Aux vues du bas budget et des conditions de tournage, la copie qu'on retrouve quelques 50 ans plus tard est une bonne surprise. Les contrastes sont habilement gérés et transcrivent plutôt bien à l'écran le travail effectué sur les éclairages. Qu'il s'agisse des scènes intérieures ou des extérieurs en forêt, lumineux. Une copie relativement propre, manquant cependant un peu de piqué dans la définition. Mais sans souci apparent de compression.
Une fois n'est pas coutume, la piste sonore française mono encodée sur deux canaux est bien plus dynamique que sa consœur italienne. Moins étouffée, offrant plus de précision quant à la partition sonore (excellente) de Carlo Franci et faisant la part belle aux effets sonores (ex : l'orage à 12mn 38) . Les dialogues ressortent cependant avec parfois un curieux effet d'écho, sentiment absent des dialogues italiens. Le tout avec des sous-titres français amovibles. D'un point de vue qualitatif, la version française reste à privilégier pour une meilleure expérience audiophile.
Les bonus sont ceux trouvés habituellement dans les éditions Artus. A savoir Alain Petit qui revient sur la genèse et l'exploitation du film, avec moult anecdotes intéressantes pendant plus d'une demi-heure. Il égrène nombre de précisions sur la raison du changement de titre pour son exploitation américaine, celle du titre identique au malheureux film d'Andrea Bianchi… Viennent ensuite un diaporama consacré aux images du film, et le catalogue de bandes annonces de l'éditeur.