1968. Depuis LA CONQUETE DE L'OUEST, la firme Cinerama a arrêté les productions en format au nom éponyme d'aspect 2.89:1 sur trois panneaux et se consacre désormais à la production de blockbusters en 70mm, de préférence en Super Panavision 70. Sans surprise, le sujet de KRAKATOA EAST OF JAVA arrive sur le tapis, s'inspirant de la gigantesque éruption de 1883 qui dévasta tout sur son passage.
Le commandant Hanson (Maximilian Schell) accueille sur son bateau le S.S Batavia Queen un groupe à la recherche d'un trésor enfoui dans un bateau qui git au fond de l'eau. Ceci au large de l'ile de Krakatoa où le volcan semble prêt à exploser. C'est sans compter sur 30 prisonniers qu'ils se voit obliger par les autorités locales de convoyer au bagne non loin de là. Entre un plongeur bourré de laudanum (Brian Keith), un océanographe claustrophobe (John Leyton), Laura (Diane Baker) à la recherche de son fils enlevé par son mari, à bord justement du bateau qui a coulé et un tandem père-fils (Rossano Brazzi et Sal Mineo) propriétaires d'un ballon destiné à repérer l'épave, les tensions ne vont par tarder à émerger.
S'inspirant plus ou moins ouvertement de TOUTES VOILES SUR JAVA de Joseph Kane (1953), cette co-production entre Cinerama et ABC va connaitre une élaboration quelque peu tumultueuse. Philip Yordan et sa société Security Pictures (visible sur les photos de tournage d'époque) était d'abord de la partie, mais se retira juste après que les effets spéciaux furent complétés. Avec l'arrivée de Cinérama et ABC à bord du film, le scénario dut être réécrit. Une chose curieuse demeure : le titre de tournage resta KRAKATOA, avant de changer en EAST OF JAVA, comme le matériel de première londonienne de septembre 1968. Puis de combiner KRAKATOA EAST OF JAVA au final, sans que quiconque ne se rende compte que le volcan et l'ile ne se trouvent pas à l'est mais à l'ouest de Java (!). Ceci pour un film qui a été entièrement tourné pendant 8 semaines en Europe, aux studios Cinecitta, aux Studios Samuel Bronston en Espagne pour les intérieurs, au large de Majorque, Malte et le village de Denia sur la Costa Blanca pour le port et la côte.
Les sources varient mais le film a bien été tourné en 70mm, visiblement en Todd-AO et Super Panavision 70. Exploité à la fois en 70mm (avec 6 pistes magnétiques stéréophoniques Westrex) et en 35mm (format 2.35:1 Mono), sa destinée fut là aussi quelque peu perturbée. La durée originale diffère selon les références. Le site de classification britannique indique un 147mn25, certains livres américains pointent une durée de 143mn incluant ouverture (3mn) et intermission (2mn). Il est généralement admis que la présentation Roadshow présentée au Dôme Cinerama de Los Angeles (où le film resta 23 semaines) durait 137mn. Mais pour les copies d'exploitation en 35mm, celle qui semble avoir été utilisée pur le DVD Zone 1 de chez Anchor Bay, il ne reste plus que 131mn, format anamorphique 2.35:1 et en mono. L'ouverture et l'intermission ont été supprimées - on voit assez nettement la coupure vers la 65e minute, avant la séquence de plongée sous-marine. Le film ne rencontra pas le succès espéré, bien au contraire. De ce fait, son exploitation européenne et américaine fut tronquée. Il ressortit expurgé en 1970 dans des durées allant de 101 à 121 mn en 35mm. Cinerama le ressortit en 1971 en double programme avec un autre échec commercial : CUSTER OF THE WEST. Puis, profitant de la « vague » des films catastrophes et des systèmes sonores révolutionnaires, le film réapparu sous le titre de VOLCANO en 1974, à la fois aux USA et en Europe, adossé à un avatar du système sonore Sensurround : Feelarama.
Le film se compose de deux parties assez distinctes et le fait de voir deux réalisateurs crédités au générique ne laisse pas de doute. Bernard L. Kowalski (SSSSSSS) s'occupa de toutes les séquences de dialogues avec interactions de personnages. Et Eugene Lourié (GORGO, LE MOSNTRE DES TEMPS PERDUS ou encore auteur des effets spéciaux de QUAND LA TERRE S'ENTR'OUVRIRA) tourna l'ensemble des scènes d'effets et miniatures qui occupe la dernière demi-heure du film. Même si seul Kowalski se retrouve crédité du film au final, il ne va pas sans dire que sans les splendides moments d'effets spéciaux, KRAKATOA EAST OF JAVA perd considérablement de son intérêt. La nomination aux Oscars des meilleurs effets spéciaux ne fut que justice, même si le film ne repartit pas avec la précieuse statuette. Lourie a par ailleurs confirmé tourner simultanément avec 3 caméras Panavision 70mm, tout en réutilisant le tank d'eau choisi pour FLIGHT FROM ASHYIA à Cinecitta. Le tout pour la reconstitution des maquettes élaborées pour le Batavia Queen, dont un modèle avoisinait les 4m! En tous cas, un gigantesque travail de construction de décors démesurés qui mérite à lui seul la vision du film, aussi imparfait soit-il.
KRAKATOA représente ce que le cinéma populaire représentait de mieux (ou de pire, au choix) lors de sa sortie. La formule du dépaysement exotique, propres aux réductions Cinerama des années 50, du grand spectacle, agrémenté de chansons, semblait sur la pente descendante. Même des atours comme Robert Wise avec STAR! ou Blake Edwards avec DARLING LILI rencontrèrent de cinglants revers à la fin de cette décade. Pour le film de Bernard L. Kowalski, la conjonction de ces éléments pourtant porteurs sur le papier allèrent lui porter une poisse publique inattendue. Peut-être aurait-il fallu un autre metteur en scène plus expérimenté qui aurait porté le métrage vers un rendu moins série B aux moyens importants? Allez savoir. Il reste cette influence Jules Verne qui tire l'ensemble vers le haut : on pense immanquablement à CINQ SEMAINES EN BALLON ou d'autres voyages initiatiques comme VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE pour les péripéties qui émaillent le récit. Le scénario possède également l'intelligence de ne pas sombrer dans la formule Irwin Allen, ses personnages stéréotypés à l'extrême et ses enjeux à la con qui enfoncèrent des bidules ventripotents comme LE JOUR DE LA FIN DU MONDE ou L'INEVITABLE CATASTROPHE vers les tréfonds de la médiocrité.
Il faut quand même reconnaitre que les enjeux entre chaque personnage paraissent aujourd'hui singulièrement plaqués et le jeu de Diane Baker méchamment appuyé. Maximilian Schell semble lui aussi détaché de tout cela, la voix posée, sans aucune prise sur la catastrophe qui s'abat sur le groupe! On reste très loin de son interprétation hallucinante de JUGEMENT A NUREMBERG. Schell remettra le couvert dans le même style en commandant de vaisseau spatial du TROU NOIR en 1979. Dont d'ailleurs la construction ressemble étrangement à KRAKATOA concernant le glissement vers le spectaculaire final.
Et quel climax! Presque une demi-heure de destruction, explosions volcaniques, éruptions vomissant de feux à travers lesquels le bateau traverse dangereusement sous de pluies de lave, pour se jeter dans les bras d'un tsunami géant - les immenses vagues ayant été filmées à Hawaï pour l'occasion avant incrustation pour la destruction de la ville. On atteint un niveau d'excitation cinéphilique au top, avec un travail du niveau de LA MOUSSON en terme d'échelle de qualité dans le spectacle de dévastation. Pas un prototype de film-catastrophe dont AIRPORT ou Irwin Allen posèrent les jalons, mais des personnages auxquels on s'attache malgré une première partie quelque peu mollassonne. Un rythme qui ne faiblit pas sur le dernier tiers : on s'accroche au siège et on assiste pantois à un vrai déluge de cataclysmes hautement réussis! Un indéniable côté charnel dans les miniatures et les effets provoqués - bien plus de sentiment de soin apportés aux détails qu'un POMPEI récent, s'appuyant plus sur des effets numériques qui, bien que qualitatifs, ne provoquant plus aucune émotion.
Plusieurs éditions DVD plein cadre ont circulé, jusqu'à ce qu'Anchor Bay sorte un Z1 au format 2.35:1 (mono, sans sous-titres) aux USA, d'une durée de 131mn, mais sans signal 16/9. MGM a emboité le pas en 2005 en ressortant le film doté cette fois non seulement du format 2.35:1 mais également de sous-titres (français et anglais) et de 16/9e. ces deux éditions sont aujourd'hui épuisées. En Australie, Simitar a sorti une version de 106mn avec un format tronqué 1.85:1. La dernière solution demeurant l'édition UK Z2 de chez Freemantle, en format anamorphique et 16/9e, sortie en 2008 - mais sans aucun sous-titre. Autrement dit, sur le territoire français, aucune chance à ce jour de le voir sur un format physique sorti dans le commerce. Et donc aucune édition respectant le format original 2.20:1 et ses 6 pistes stéréophoniques. Il ne reste plus qu'à espérer qu'un éditeur aura le courage de sortir une édition restaurée complète. car le voir au cinéma tiendra du miracle, la dernière copie 70mm connue a viré au rose magenta. et la décision de la cinémathèque de Bradford de ne plus diffuser ce type de copie malgré leur importance historique concernant le format 70mm hypothèque toute chance de revivre la fureur du volcan de l'ile Krakatoa sur écran géant - sans parler de son déferlement sonore.
Concernant l'édition sortie en 1999 chez Anchor Bay, on a affaire à un produit d'un autre temps, au menu d'une laideur confondante et d'une interactivité nulle. Si certains se satisfont de ce type de minimum, c'est exactement ce type de comportement qui était adopté il y a quinze ans. La copie est bien au format 2.35:1 sorti pour l'exploitation en 35mm, tout comme le son mono encodé en dolby digital sur deux canaux. La séquence d'ouverture n'existe plus, et le film commence par la présentation Cinerama où l'écran s'emplit des trois panneaux qui faisaient la marque de fabrique Cinerama. A noter qu'à aucun moment la référence à un quelconque système 70mm n'apparait au générique. La copie n'est pas très propre : une multitude de petites poussières blanches se remarquent le long des 131mn06. Malgré cela, on sent clairement l'origine 70mm du film. Un sens du détail bien précis, - même si la copie présente une définition aléatoire. Les scènes de nuit trahissent une compression pas franchement heureuse. Pour le côté positif : les scènes extérieures sont lumineuses, des couleurs plutôt vives, chatoyantes dans la palette de rouge et orange. Un véritable atout dans les scènes d'éruption dont les dominantes sont justement les couleurs chaudes au milieu des ténèbres. L'absence de 16/9e reste clairement un handicap mais il existe des DVD de 15 ans d'âge largement pires en terme de qualité du rendu visuel. Le mixage mono reste lui aussi assez agréable à l'oreille. Les dialogues sont clairs, et on ne note pas de souffle proéminent le long de la projection. La musique de Frank DeVol ( «De Vol» au générique) surnage sans souci, jamais couverte par les effets sonores et à l'inverse ne prenant pas le pas sur le reste. Un bel équilibre. Il faut tout de même pointer que cela manque cruellement de profondeur et de dynamisme : le mixage des 6 pistes sonores magnétiques manque cruellement à l'appel. Hormis un accès chapitré, il n'existe rigoureusement aucun bonus.