Les producteurs italiens cherchaient de l'exotisme pour sortir du lot et épouser de nouvelles contrées. Le Benelux oeuvra ainsi au début des années 70 pour la cause. Après Amsterdam pour LE DIABLE A SEPT VISAGES, nous revoici donc à Bruges pour suivre les aventures d'Eleanor Lorraine (Anne Heywood), une actrice qui revient sur les lieux de sa maison qu'elle trouve détruite. Souffrant d'amnésie, elle ne se souvient pas que son fiancé est mort depuis quelques temps. Surtout, elle rencontre un homme mystérieux (Telly Savalas) qui réveille en elle des sentiments enfouis qui la saisit de peur. Il aurait ainsi tué son ex et ... il souhaite visiblement en faire de même avec elle.
Alberto de Martino n'a jamais réalisé de grand classique. Un habile faiseur suivant les modes, comme de nombreux collègues durant les années 60, 70 et 80. Il toucha donc au péplum avec PERSEE L'INVINCIBLE, au sous-James Bond avec OPERATION FRERE CADET, au western avec DJANGO TIRE LE PREMIER, le sous-EXORCISTE avec L'ANTECHRIST et le sous-MALEDICTION avec le sympathique HOLOCAUST 2000. Il n'approchera jamais pleinement le territoire du Giallo, mais s'amusa à brouiller les pistes en mélangeant les genres. Avec BLAZING MAGNUM en 1975, croisement de thriller vengeur et de whodunit et avec ce L'ASSASSINO... E AL TELEFONO, connu dans nos contrées sous le titre DERNIER APPEL lors de son apparition en VHS, dans un version recadrée. Martino et ses coscénaristes tentent une approche à la lisière du fantastique, mêlant suspense à base d'amnésie tendance MIRAGE d'Edward Dmytrick et machination propre au genre Giallo. Sans oublier le placement produit phare : la bouteille de whisky J&B, bien en évidence lors des scènes de beuverie!
Plusieurs problèmes font rapidement surface après la mise en place des premiers éléments scénaristiques. Le réalisateur imprime d'ores et déjà un rythme languide qui ne s'arrangera pas tout au long de la vision. Ensuite, le film se distingue par un manque flagrant d'une quelconque tension, un comble pour un thriller manipulateur. Tout ce qui peut faire le charme d'un Giallo se trouve rangé au placard : pas de sang, des meurtres hors champ et une progression désespérément plate. Restent quelques éléments routiniers propres aux années 70 et la tentative de sexualiser le récit. Un érotisme éléphantesque quelque peu trash tente de se frayer un chemin via un meurtre et une séquence chaude avec Anne Heywood dénudée, attachée et menacée par un Savalas en mode bloc de glace. Un peu à l'image du téléfilm SHE CRIED MURDER où il interprète quelque peu le même personnage.
L'autre souci vient des acteurs et de la manière dont le réalisateur les dirige. Le métrage repose entièrement sur des interprétations sans aucune nuance et des stéréotypes bien ancrés dans leurs temps. Tourné dans la foulée du NOUVEAU BOSS DE LA MAFIA, Telly Savalas ne décroche toujours pas la mâchoire un seul instant afin de personnifier la menace permanente. Sans grand succès car à aucun moment on ne sent Anne Heywood en danger. Cette dernière survit ses années d'oie blanche Hollywoodienne en se jetant à corps perdu dans une carrière italienne qui va la dessaler. Donc en marchant sur les plates-bandes de Carroll Baker dans le rôle de l'héroïne persécutée et qui finit par virer ses frusques, avec un summum de ridicule dans LES VIERGES DAMNEES et sa séquence de catch incestueux dénudé. Grandiose. Pour boucler la boucle, elle refusa le rôle de la sorcière BABA YAGA qui échut finalement à ... Carroll Baker. La grande Rossella Falk se trouve une nouvelle fois sous-utilisée en grande dame de théâtre froide, distante, revêche - traduire par lesbienne. Encore une : il en faut à tous les étages du film populaire à suspense transalpin, à l'image de ce que Capucine fera pour DELIRIUM. Et pour qui connait un minimum les codes du genre, on sait que ça ne peut pas bien se terminer pour elle. A de très rares exceptions, les lesbiennes 70's-80's étant invariablement des exutoires à violence (voir les meurtres assez atroces dans L'ASSASSINO HA RISERVATO NOVE POLTRONE voire ceux de TENEBRES) ou des meurtrières frustrées en puissance.
Le film possédait en outre un sujet en or : le rapport au théâtre, au faux-semblant, au rapport entre réel et fiction. Las, il ne s'agit que d'une toile de fond, un mécanisme narratif destiné à nourrir le récit plutôt de s'appuyer véritablement dessus. Là où une oeuvre médiocre comme, justement L'ASSASSINO HA RISERVATO NOVE POLTRONE rebondissait sur cette théâtralisation du crime et de l'espace récit/histoire, L'ASSASSINO... E AL TELEFONO passe à côté du sujet. Et finit par se ratatiner lentement, sans réelle passion jusqu'au final précipité et positivement ridicule. Les bons points du film demeurent les crédits techniques. Pour celles et ceux qui ont vu la bête, oubliez l'horrible VHS recardée française. Le film tourné en Techniscope 2.35:1 trouve sa pleine mesure ici. Certes avec les défauts afférents au procédé, à savoir des plans larges dont un léger flou peut être remarqué. A la rescousse du look du film, on retrouve Aristide "Joe d'Amato" Massaccesi qui effectue un travail expert concernant la photographie. Il dynamise grandement des scènes comme celle de la traque dans le théâtre, ornant les plans de superbes contrastes et de sources de lumières improbables - même si l'ensemble fait furieusement penser à celle entre Audrey Hepburn et Walter Matthau dans CHARADE. Et une partition musicale presque nostalgique de Stelvio Cipriani, comprenant deux très beaux thèmes. Le revers de la médaille étant qu'ils parsèment le film de manière incongrue, en quasi-permanence jusqu'à la nausée. Il n'y a qu'à écouter le CD édité récemment par DigitMovies pour constater que le thème d'Anna est répété pas moins de 8 manières différentes, aux variations peu décelables.
Cet "Assassin qui est au téléphone" reste ainsi au final une oeuvre compétente mais molle., sans grande personnalité et surtout, manquant de construire un véritable suspense. On aurait enfin bien aimé demander à De Martino pourquoi l'assassin est au bout de la ligne, ça même si les protagonistes utilisent beaucoup de combinés téléphoniques, le film ne donne aucune piste en la matière. Hasard et mystère des titres de films italiens.
C'est l'éditeur italien Cecchi Gori Home Video qui sort le film via son label CineKult, spécialisé dans les oeuvres 60's/70's avec des titres rares comme IL TUO DOLCE CORPO DA UCCIDERE ou encore UPPERSEVEN d'Alberto de Martino, justement. Le DVD donne ainsi un format respecté 2.35:1 et 16/9e. et d'une durée complète de 98mn31. De Martino et son chef opérateur utilisent le format Techniscope au mieux de ses possibilités et la copie traduit les avantages et aléas. A savoir de très gros plans (haut du cou/bas de front) réussis et à la précision évidente des traits, tout comme des couleurs à la texture riche. Et les plans larges, fatalement flous. La bonne tenue générale de la copie offre stabilité d'image mais un manque cruel de définition dès qu'il s'agit de plans extérieurs d'ensemble. En tous cas, pas de problèmes notables d'encodage ou d'artefacts de compression.
Une piste italienne unique encodée en Dolby mono sur deux canaux. Heywood & Savalas ont tourné leurs dialogues en anglais, mais il faut oublier cette option. L'éditeur a introduit des sous-titres italiens pour sourds & malentendants, bien pratiques pour les amateurs ne maitrisant pas parfaitement la langue du pays. En tout état de cause, pour visionner la version complète et au format, connaitre l'Italien s'avère nécessaire. La piste audio se révèle en tout cas agréable, avec relativement peu de souffle. L'occasion d'entendre très clairement la musique de Stelvio Cipriani et ce sans prendre le pas sur le reste. Un bel équilibre général.
Les suppléments commencent avec un long et passionnant entretien avec le réalisateur qui revient largement sur l'évolution de sa carrière, où l'on apprend entre autres qu'en première semaine, L'ANTECHRIST a réalisé plus d'entrées que LES DENTS DE LA MER! Entre autres, il ne porte pas vraiment MIAMI GOLEM dans coeur, que nous nous avons échappé à un film de SF post-E.T, que John Cassavetes est l'acteur le plus difficile avec lequel il a travaillé... De Martino est un véritable moulin à paroles, intarissable. Ce qui donne une interview quelques peu désordonnée et montée à la hache, avec moult illustrations rythmant les nombreux souvenirs du metteur en scène. Une revue de carrière à rebours chronologique, revenant parmi de nombreuses anecdotes sur l'échec de L'INCROYABLE HOMME PUMA -où il n'a pas perdu d'argent!- Sans aucun sous-titre, il faut parfois tendre l'oreille pour comprendre l'ensemble. A noter qu'Alberto de Martino ne précise pas grand chose sur L'ASSASSINO... E AL TELEFONO... Un point appréciable : un avertissement en amont de l'interview sur l'entretien contenant d'éventuels spoilers sur le film. Un point désagréable : on entend le thème principal du film en permanence lors de l'interview d'Alberto de Martino. Usant. Le film annonce original, ceux du catalogue de la collection et une galerie de photos complètent le tableau.