La jeune et riche Susan Blackhouse (Barbara Nelli) se détourne de Lord Morgan (Paul Muller) qui lui est promis, pour vouloir épouser son tendre et cher Paul Brissac (Michel Forain). Lorsque celui-ci meurt noyé, poussé par une ombre mystérieuse depuis un bateau, elle se décide à revenir vers Lord Morgan. Mais à son retour au château, elle constate que son personnel est parti, remplacé par Roger, un majordome peu amène (Gordon Mitchell) et une gouvernante sévère (Erika Blanc). Des hallucinations prennent le pas sur la réalité et elle ne tarde pas à tomber sous la coupe d'une hypnose pour précipiter sa fin.
La rareté d'un produit ne produit pas systématiquement la découverte d'une perle. LA VENGEANCE DE LADY MORGAN tombe justement dans ce cas précis. Cet avatar de film gothique italien, dont le sujet pille à droite à gauche ses inspirations, dont DANSE MACABRE, entre autres, est tourné en noir et blanc en 1965 à peu de frais. Une demi-surprise, puisque le scénariste de DANSE MACABRE s'avère celui de LA VENGEANCE DE LADY MORGAN. Il souffre d'une construction chaotique, au rythme bancal et à une narration qui se contente de l'à peu près. Dommage, car cette troisième incursion de Massimo Pupillo dans le genre horrifique en costumes s'avère la moins bonne. Des emprunts à des métrages qui ont fait leur preuve en passant par un budget aléatoire et un traitement idoine, le film capote assez rapidement.
Pourtant, le film commence relativement bien, s'apparentant à un drame psychologique à la trame bien rodée : la riche héritière qu'on tente de faire passer pour folle. Problème : pour un film qui s'appelle LA VENGEANCE DE LADY MORGAN, il faut attendre la moitié du film et un paquet d'ellipses bien pratiques, voire d'oublis de personnages pour que s'enclenche la-dite vengeance. Aucun suspens, donc, sur l'issue de la machination ourdie contre la pauvre Susan. Le récit oublie en cours de route Paul Brissac, laissé au début du film... et qui réapparait de manière fort opportune en plein milieu du récit.
Après, rien ne va plus. Comme si le scénario avait changé de main, la seconde partie embraye sur une explication compliquée en flash-back, mélangeant explications lourdingues et démonstratives, jeu appuyé des acteurs, vampirisme, fantômes et manifestations de poltergeist. Un romantisme à l'eau de rose alimentant ce qui ressemble à une tragédie. L'ambiance gothique sauve le tout, Cependant. Pupillo excelle dans les plans de longs couloirs éclairés à la chandelle, illuminant le visage d'une Erika Blanc hallucinée. Des cryptes sous un cimetière regorgeant de salles obscures où l'on finit par trouver un homme mourant enchaîné. Le film connait aussi un timide accent de violence virant au gore, avec la visage d'un homme défoncé à coup de sabot de cheval. L'irruption de cette séquence étonne de par sa brutalité.
Techniquement, le film enchaîne là aussi la médiocrité. Entre des éclairages savamment utilisés et des gros plans réussis, on repère des fautes de raccords assez monumentales, des effets spéciaux qui se voient de loin (les explosions encerclant un Gordon Mitchell apeuré), des anachronismes de premier ordre - les scènes de bateau ont clairement été tournés sur un bateau moderne, les cadrages ne peuvent rien éviter en la matière. Tout le château soit-disant écossais à l'architecture visiblement italienne - qui s'avère en fait le même que celui utilisé comme décor pour LE CIMETIERE DES MORTS-VIVANTS ! Après justement ce Cimetière-là et VIERGES POUR LE BOURREAU, Massimo Pupillo termine son périple gothique mais reconnaissons que pour autant que l'oeuvre possède une certaine particularité, il était temps que cela s'arrête. Le sentiment se partage entre une réalisation dont on sent le peu de moyens et la tentative de donner le meilleur visuel au spectateur. Et le résultat quelque peu léthargique et disloqué qui s'offre à nous.
Cette Vengeance-là possède un délicieux charme suranné d'intrigues passoires, de jeu d'acteurs trop poli pour être honnête, de brume qui nimbe et masque la pauvreté des décors et le côté artisanal de l'élaboration de l'intrigue tant sur le point narratif que sa représentation visuelle. Sauf qu'ici, cela ne suffit pas, à moins d'être doté d'un sens aigu d'indulgence. Surtout lorsqu'on assiste presque à un championnat du monde de lancer de mannequins, dont la chute de celui dans LA TERREUR DES ZOMBIES est une proche cousine.
Côté acteurs, Erika Blanc éclate de perversion altière à l'écran ! Elle pave son chemin de personnages sulfureux, annonçant ses interprétations de LA PLUS LONGUE NUIT DU DIABLE et de SI DOUCES SI PERVERSES. Paul Muller refait son numéro d'élégant vilain qui ressemble d'ailleurs étrangement à celui qu'il joue dans LES AMANTS D'OUTRE TOMBE -dont LA VENGEANCE DE LADY MORGAN fait également étrangement penser- et Gordon Mitchell ne se dépare d'un nième numéro de salopard psychotique aux tendances meurtrières. D'ailleurs, Pupillo se repose quasi entièrement sur les stéréotypes guidés par ses acteurs pour mener son récit. Mitchell menace, grimace, force le trait, hurle, tempête, donne des coups de fouet et castagne à n'en plus finir. plaisir aussi de retrouver Barbara Nelli en tête de distribution, après avoir fait son apparition dans VIERGES POUR LE BOURREAU.
Si Piero Umiliani s'occupe sur le papier de la partition musicale sous un pseudo anglais (Peter O'Milian !), on remarque néanmoins que là aussi le film fait très rubrique-à-brac. A un moment, on entend une composition d'Angelo Lavagnino pour IL PIANETA ERRANTE d'Antonio Margheriti, tout comme un effet sonore provenant de PLANETE INTERDITE.
L'édition Artus était donc attendue au tournant par les amateurs de raretés filmiques et de gothique transalpin. Un format 1.77:1, en noir et blanc et d'une durée complète de 82mn13, avec signal 16/9e. Un accès via 8 chapitres depuis le menu fixe, marque de fabrique habituelle de l'éditeur. le film n'ayant pas eu les honneurs d'une sortie française, seule la version originale reste disponible, adjointes de sous-titres optionnels. La traduction des sous-titres apparait agréable et respectueuse des dialogues d'origine, si l'on omet quelques erreurs de typo et non-sens ça et là (la traduction de "pietra" n'est pas "caillou", entre autres).
La copie noir et blanc connait une certaine stabilité. Peu de griffures et autres artefacts dus au master d'origine. Néanmoins, la définition n'est pas exemple de légers flous sur les contours des personnages et objets. Les gros plans sur le visage halluciné de Gordon Mitchell laisse éclater les détails, par exemple. Mais les plans généraux restent aléatoires en termes qualitatifs. un visuel moyen dans le rendu général, non exempt de traces suspectes (comme vers 56mn11) mais demeurant toutefois agréable à regarder. Difficile de faire la fine bouche, cette copie étant la seule disponible à ce jour! Idem pour la piste sonore italienne, seule présente sur le DVD, qui offre un encodage dolby mono sur deux canaux.
On aborde la partie la plus intéressante de la galette avec les bonus qui garnissent l'édition. Tout d'abord un entretien avec Paul Muller (Lord Morgan, donc) qui revient passionnément sur son parcours d'acteur. A près de 90 ans, il se trouve toujours aussi pertinent et lucide sur l'ensemble de ses interprétations. Assez franc, il ne possède aucun souvenir du film ou de son tournage! Mais regorge d'anecdotes passionnantes, ce qui emporte de suite l'adhésion. Le second documentaire porte sur Massimo Pupillo même : tourné en 1996 lors d'une de ses dernières apparitions publiques, il s'agit d'un documentaire rare donc précieux sur un réalisateur (en français dans l'interview) qui ne porte pas du tout ses réalisations gothiques dans son coeur, préférant visiblement son travail de documentariste, dont il indique en avoir tourné 250 ! Il faudra quand même passer sur la qualité très sommaire du produit, accusant une nette baisse de niveau de réalisation et de montage sur le précédent. Pour terminer, l'intervention habituelle d'Alain Petit sur le film, sympathique et complet moyen de compléter sa connaissance sur l'univers Pupillo. Avec toutefois quelques petites approximations, notamment sur le retour à l'écran d'Erika Blanc qui ne fut pas en 2011 chez Pupi Avati. Mais qui fut remise en selle par Ferzan Ozpetek en 2001 pour TABLEAU DE FAMILLE. Elle gagna même un David De Donatello en 2005 pour CUORE SACRO, toujours d'Ozpetek. Dommage d'avoir passé cela sous silence. Et bien sûr les nécessaires bandes annonces orientées gothiques du catalogue de l'éditeur, ainsi qu'un diaporama de photos et affiches.
LA VENGEANCE DE LADY MORGAN n'arrive pas d'outre-tombe mais bien de chez Artus qui a donc déniché une vraie rareté, inédite de par le monde. Le film ne restera pas dans les annales, très loin des réussites du genre de chez Mario Bava, Riccardo Freda et autres Antonio Margheriti. Seuls les curieux et aficionados tolérants du genre y trouveront vraiment leur compte. Il serait malgré tout dommage de se priver de cette découverte zébrée de plans parfois superbes hélas noyés dans une médiocrité générale. Mais la richesse des suppléments force le respect et incite fortement à se porter acquéreur du DVD.