Romolo Guerrieri lança les hostilités d'une nouvelle forme de thriller italien avec L'ADORABLE CORPS DE DEBORAH. A savoir une intrigue à base de machination sur fond de triangle amoureux. Umberto Lenzi emboita le pas aussi sec et donna ses lettres de noblesse à ce qu'on appellera des sexy-giallli, avec UNE FOLLE ENVIE D'AIMER, PARANOIA ou encore SI DOUCES... SI PERVERSES. Il ne fallut pas attendre bien longtemps pour que d'autres producteurs d'intéressent à ce type de produit, ce fut le cas de IL TUO DOLCE CORPO DA UCCIDERE, co-production italo-ibero-marocaine sortie en France en VHS sous le titre d'UN ADORABLE CORPS QU'IL FAUT TUER.
Clive Ardington (Giorgio Ardisson), diplomate de son état, est marié à Diana, une riche femme d'affaires (Françoise Prevost), autoritaire et tyrannique. Il pense chaque jour à une manière de l'éliminer mais, trop faible, il préfère retourner à sa passion des poissons en aquarium. Lorsqu'il découvre qu'elle a une affaire avec leur ami Franz Adler (Eduardo Fajardo), son sang ne fait qu'un tour. Il exerce un chantage sur Franz afin qu'il tue sa femme. Mais au moment de se débarrasser du corps découpé en morceaux, l'une des deux valises contenant le corps disparait.
Aux manettes de ce corps à tuer, on retrouve Alfonso Brescia. Un des multiples hommes à tout faire du cinéma populaire italiens, il est responsable d'oeuvres aussi diverses que le redoutable peplum-nawak GOLDOCRACK A LA CONQUETE DE L'ATLANTIDE, de quelques aventures sautillantes des 3 SUPERMEN avec un ahurissant SUPERMEN CONTRE AMAZONES, mais aussi un Giallo d'honnête facture, LE MANOIR AUX FILLES, voire un poliziesco bourré de stocks-shots comme LES CONTREBANDIERS DE SANTA LUCIA. Il prit aussi le pseudo d'Al Bradley pour commettre l'irréparable : notamment des rip-off de LA GUERRE DES ETOILES, allant même jusqu'à croiser des extraits de LA BETE pour LA BESTIA NEL SPAZIO. En tournant quatre films à la suite repiquant des effets spéciaux des uns et des décors aux autres pour livrer un tétralogie unique en son genre. Un véritable artisan comme on en fait plus.
Lorsqu'on voit le cachet technique d'IL TUO DOLCE CORPO DA UCCIDERE, Alfonso Brescia n'est pas un manche lorsque la production met les moyens. Tournage en extérieur à Tanger, Scope et scénario à rebondissements, multiplication des points de vue : il existe un réel effort. Et la succession de plans cadrés au millimètre (la scène du début avec Françoise Prevost acculée dans une impasse, entre autres), on se dit que Alfonso Brescia prend du plaisir à élaborer un suspens mâtiné de comédie noire - à soigner sa mise en images. Car on tient probablement l'un de ses meilleurs films!
Le film repose entièrement sur les épaules de Giorgio Ardisson, acteur italien qui a brillé dans les 60 et 70, au générique d'HERCULE CONTRE LES VAMPIRES, JULIETTE DES ESPRITS... sa carrière lui aura permis de toucher à tout, des imitations de James Bond (les deux AGENT 3S3), le Giallo (CIAK! SI MUORE), le film d'horreur, la comédie sexy... habitué aux rôles de gentils, il change de braquet ici en donnant une interprétation remarquable de tueur par procuration qui cherche à se débarrasser d'un corps en morceaux dans un bain d'acide ! La caméra reste braquée sur lui en quasi-permanence, gros plans scrutant la moindre expression, le moindre sourire de travers et surtout, les yeux bleus à qui on donnerait n'importe quoi. Alfonso Brescia l'a bien saisi, l'expressivité d'Ardisson est l'un de ses meilleurs atouts pour faire passer la pilule d'un scénario aberrant qui, 45 ans après, ne pourrait pas du tout avoir lieu. Imaginez mettre un cadavre en morceaux dans deux valises et passer tout cela dans un avion sans que personne ne s'en rende compte. Impossible, donc. Mais même ici : plus c'est gros, plus ça passe ! Certes, le scénario reprend pas mal de billes qui ont déjà bien roulé. Avec le pillage d'idées puisées dans les métrages de Lenzi et Guerrieri, les auteurs s'en prennent aussi à HOW TO MURDER YOUR WIFE pour les séquences de rêves éveillés du héros qui imagine différents moyens de tuer sa femme.
Les amateurs de Giallo et autres machinations transalpines connaissent les ficelles par coeur. De ce fait, le métrage de Alfonso Brescia ne réservera pas de grandes surprises en ce sens. Comme il arrive fin 1969/début 70, le thriller italien n'en est pas encore sur sa pente descendante. Le budget semble aisé, la violence relativement sage et l'érotisme quasi-absent. Full force sur un scénario qui, malgré une apparente simplicité, réserve quelques tours et détours pas désagréables. Rien de nouveau, on le concède, mais la caméra de Alfonso Brescia sait capter de beaux moments de décalage tout en louchant sur un suspens Hitchcockien, avec un brin de cruauté envers le héros. Rien de comparable au grand Hitch, mais une volonté de coller au récit, de jouer sur les apparences - sans céder à la facilité des angles de prise de vues dans tous les sens afin de colmater le vide du reste. Alfonso Brescia n'expérimente en rien : il illustre le genre et ce de manière relativement adroite, en bon technicien qu'il est. Il ajoute une bonne dose d'humour noir, l'inévitable défilé de mode 70's (où l'on voit Orchidea De Santis tuer un rideau pour s'en faire un simili-poncho arabisant), un chouïa d'exotisme de bon aloi, une fin délicieusement ironique et le tour est joué.
Pour le reste du casting, on remarque la présence altière de dominatrice de Françoise Prevost. Une danseuse et actrice française qui eut ses belles heures pendant la nouvelle vague avant de migrer comme beaucoup vers l'Italie. Ce qui lui donnera de belles heures à la tête de films de genre comme LES NUITS DE L'EPOUVANTE, un proto-Giallo intéressant, DJANGO PORTE SA CROIX jusqu'à des choses plus discutables comme du Nunsploitation genre LE SCOMUNICATE DI SAN VALENTINO ou encore le rigolo BACCHANALES INFERNALES, pour terminer chez Jacques Rivette ou Charlotte Dubreuil. Le grand écart! Pour compléter la tableau de cette actrice hélas quelque peu oubliée, elle écrivit un livre-choc sur sa maladie qui devint un film nommé L'AMOUR NU, réalisé par Yannick Bellon en 1981. Elle imprime ici une manière positivement détestable de se comporter vis-à-vis des hommes qui l'entourent. On pourrait presque taxer le film de misogynie tant les rôles féminins oscillent entre l'ignoble et la fleur bleue. Orchidea De Santis incarne de ce fait la jolie fleur. Orchidea, on la connaît bien et on l'aime d'autant malgré ses petits rôles. Elle aussi fit les frais d'une décade prodigieuse en bis, de LA TOUBIB AUX COURS DU SOIR, LES NOUVEAUX CONTES IMMORAUX, une palanquée de sous-DECAMERON érotico-comique et quelques thrillers intéressants dont THE WEEKEND MURDERS ou le sympathique Giallo ibero-italien LE CALDE LABRA DEL CARNEFICE de Juan Bosch avec Stellio Candelli. Et pour finir dans LES AMIES DE COEUR de Michele Placido. Le tableau ne serait pas complet sans mentionner Eduardo Fajardo dans le rôle de l'amant teuton. Un acteur espagnol qui a joué dans près de 200 films, et pratiquement toujours dans notre arène préférée du film bis. Jugez plutôt... LES EXTERMINATEURS DE L'AN 3000, il en était. HUNDRA aussi... l'un des pires films de la création, L'ABIME DES MORTS VIVANTS, a vu déambuler sa carcasse. L'ASSASSINO E COSTRETTO A UCCIDERE ANCORA de Luigi Cozzi, LA MAISON DE L'EXORCISME de Mario Bava... une incroyable présence emplie de duplicité et de force de caractère. Donc indispensable à faire décoller IL TUO DOLCE CORPO DA UCCIDERE vers le nirvana italianophile.
Nocturno a sorti via Cecchi Gori Home video une collection de DVD nommé CineKult. on vous déjà parlé du DIABLE A 7 VISAGES qui en fait partie et voici donc cet opus d'Alfonso Brescia. La copie est au format 2.35:1 et signal 16/9e, d'une durée complète de 88mn39. Hélas, si le télécinéma respecte le format Scope, la copie ne se révèle pas en très bon état. Une définition hasardeuse, des contours peu nets, des couleurs fades et passées, des contrastes pénibles... Il ne faut pas être regardant du qualitatif de l'image qui s'offre à nous et être heureux de le voir enfin au format dans sa version originale. Dès le générique de début, quelques craintes émanent à la simple vision des noms complètement flous. Craintes avérées le reste du film. Si certains gros plans font illusion, le reste non.
Côté audio, la maîtrise de l'italien demeure indispensable. Une piste en Dolby Digital mono encodée sur deux canaux (avec sous-titres italiens amovibles) permet de comprendre, comme pour beaucoup de films de cette époque, que le métrage a été post-synchronisé. Un certain souffle subsiste le long des 89 minutes mais ne se révèle que très peu gênant au final. Les dialogues, mêmes prononcés à la hâte, transparaissent agréablement. Mieux encore, la partition délicieusement post-gothique de Carlo Savina, qui avait décidément du mal à se débarrasser des oripeaux et codes du cinéma des années 60, se détache correctement de l'ensemble.
Pour la partie bonus, Nocturno a produit un entretien avec Giorgio Ardisson. Et là, il va falloir vous accrocher. 57 minutes d'un monologue face à la caméra où le comédien parcourt sa riche carrière. Entrecoupé de quelques affiches illustrant le propos, un flot quasi ininterrompu d'anecdotes, d'espoirs, de rires, de complicité sur près de 30 ans de cinéma populaire. Par contre, aucun sous-titre. Très dur, lorsqu'on comprend que la voix du bonhomme est étouffée, mangeant certains de ses mots... Il faut tendre l'oreille et rester concentré. Nul besoin de préciser que celles et ceux ne maitrisant pas la langue de Giorgio auront décroché en moins de deux minutes! Pour compléter l'édition, on trouve le film annonce orignal ainsi que ceux d'autres titres du catalogue CineKult.
Détail amusant : la jaquette est réversible, et on découvre que l'autre affiche est celle, française, de FRISSONS D'HORREUR, reprise pour l'occasion avec le titre IL TUO DOLCE CORPO DA UCCIDERE collé grossièrement en haut de l'affiche.
En conclusion, si la qualité médiocre de la copie ne vous rebute pas, que l'italien n'a plus de secret pour vous ou/et que votre rare VHS française est fatiguée, cette édition documentée de IL TUO DOLCE CORPO DA UCCIDERE vous tend les bras. Malgré la laideur de la copie mais avec la rareté du produit et un métrage à la mécanique connue mais sympathique, on recommande prudemment cette édition.