«Ceci est une histoire du jour d'après» indiquent les auteurs en début de métrage. Ainsi, après un holocauste nucléaire, cinq personnes se retrouvent sur la côte californienne. Ils ont tous curieusement survécu dans des circonstances que nul ne peut expliquer. Roseanne, jeune femme enceinte (Susan Douglas), recherche son mari dans une ville dévastée va devenir le catalyseur d'événements dramatiques.
Arch Oboler reste aujourd'hui un nom relativement peu connu du grand public, et paradoxalement des amateurs de films de genre. Pourtant, il a largement contribué à l'amélioration de la technique cinématographique et se trouve être l'un des précurseurs en matière de son et de 3D. Venant du monde de la radio, ses premiers films s'en trouvent de ce fait largement inspirés. Ainsi ce FIVE, CINQ SURVIVANTS en France, est une adaptation de sa pièce radiophonique THE WORD où un couple new-yorkais se retrouve seul dans la ville après un holocauste nucléaire. Il a également tourné l'année suivante le premier film en relief, BWANA DEVIL avec Robert Stack. Puis une parodie (visionnaire?) des médias avec THE TWONKY et son poste de télévision possédé par un alien. Il tournera un autre film de science-fiction en relief, THE BUBBLE, qui sera remonté et excisé de plusieurs dizaines de minutes sous le titre THE FANTASTIC INVASION OF PLANET EARTH. Son dernier film, DOMO ARIGATO (1972) utilisa son système Space-Vision 3D, initiateur de nouvelle technique 3D qui donnera naissance à la seconde vague de films en relief au cinéma.
Bénéficiant d'un budget dérisoire, annoncé à 75.000 dollars, Arch Oboler va s'employer a utiliser toutes les ressources en sa possession, à commencer par sa maison, originellement ayant été conçue par Frank Lloyd Wright. Il va cumuler les fonctions de réalisateur, producteur, scénariste et, entre autres, décorateur. De par sa conception, FIVE demeure étonnamment moderne encore aujourd'hui. De par sa créativité initiale, il défie les formules de films en place à l'époque. Et malgré lui, il va imprimer un modèle qui se retrouvera bon gré mal gré dans THE DAY WORLD ENDED de Roger Corman, PANIC IN THE YEAR ZERO de Ray Milland, THE OMEGA MAN... Le parti-pris visuel oscille ainsi entre cinéma expérimental et science-fiction allégorique.
L'autre grosse originalité est son atmosphère noire, presque désespérée. FIVE dégage un sens de la désolation et de l'enfermement totalement inhabituel pour le cinéma américain. La ville dévastée, vidée de ses habitants et éviscérée de toute vie impacte le récit de manière convaincante. Les squelettes éparpillés ajoutent au macabre sans pour autant verser dans l'épouvante : là n'est pas le but du film. Une exception dans l'Amérique post-Seconde Guerre Mondiale. Tourné en décors naturels, beaucoup d'extérieurs, caméra à l'épaule et optant pour des angles de prises de vues créant un maximum de profondeur de champ.
FIVE dégage un réalisme cru, une sorte de cliché pris sur le vif qui étonne. Pas nouveau lorsque l'on connaît le travail de Joseph H. Lewis sur GUN CRAZY mais hors des contingences des studios. Arch Oboler appuie une réalité dramatique, mélancolique et tragique. Roseanne parcourant le monde avec dans ses bras son bébé affamé reste une image marquante, sans concession au cinéma Mainstream de l'époque. Ce qui ne sera pas sans rappeler ce que la nouvelle vague française donnera par la suite au cinéma. Et il n'est pas hasardeux de constater qu'un jeune critique nommé François Truffaut en parlera de manière positive dans Les Cahiers du Cinema à l'époque.
S'ajoute à cela un jeu d'acteurs naturel. D'ailleurs, le choix des acteurs, tous très peu connus à l'époque, est une contrainte budgétaire qui devient ici un atout dans la réussite du projet. Roseanne qui parcourt les rues, hagarde et désorientée. Perdue au milieu de nulle part tout comme au milieu des hommes. Pas de jeu forcé, pas d'effets de manche, de regards appuyés lourds de conséquences. Arch Oboler a choisi un apaisement, incarné par un professeur (William Phipps), le seul tentant de rationaliser la situation. Sauf peut-être avec le personnage d'Eric (James Anderson, connu pour son rôle de raciste dans DU SILENCE ET DES OMBRES) et voire ici néo-nazi dans son discours. Affublé d'un accent (français?) au bord du ridicule, un choix assez incompréhensible de la part de l'auteur. A moins de céder au démonstratif afin de bien montrer au spectateur ce reste du monde "d'avant" qui aurait conduit la Terre à sa perte ?
Il faut également pointer les insuffisances du scénario qui pratique les grands écarts géographiques et temporels de manière spectaculaires, nuisant quelque peu à la crédibilité de l'entreprise. Les raisons invoquées pour la survie de chaque protagoniste prête à sourire. Tout comme les notions de distance : entre autres, comment Roseanne peut-elle traverser les Etats-Unis d'est en ouest à pied en aussi peu de temps ? Egalement propre aux années 50, le film reste emprunt de religiosité pour guider le spectateur et l'aiguiller dans une compréhension éventuelle des événements. Ainsi, FIVE débute et se clôt par une citation de la Bible. En gros, il faut comprendre que l'Armageddon est passé par là. Mais curieusement, ceci ne pèse pas énormément sur le métrage.
Si les enjeux sociaux et la lutte d'idées philosophiques traversent le film, c'est également l'enjeu racial qui étonne. Loin des cliches a la AUTANT EN EMPORTE LE VENT ou encore de CABIN IN THE SKY, Arch Oboler intègre une bataille raciale au sein de son récit. En la personne de Charles (Charles Lampkin), qui deviendra le référent religieux - et donc l'ennemi nommé d'Eric.
FIVE se place à l'avant-garde. Comme beaucoup de films arborant ce statut, il fut un échec lors de sa sortie initiale avant d'être pris en main par Sidney Pink et, selon plusieurs sources, dont Variety, le film fut l'un des succès de 1951. Il en demeure une réussite unilatérale. Son discours prêchi-prêcha, son scenario construit de manière claudicante bourré d'approximations n'aident en rien. Néanmoins, il fait preuve d'une audace peu commune et se doit d'être (re)découvert comme tel. FIVE le mérite amplement, tant il apparaît aujourd'hui une pierre angulaire dans le genre «post nucléaire». Très recommandé.
FIVE est sorti dans la collection «Martini minutes», en retitrant le film 5IVE. Cette collection a tenté un packaging différent pour ressortir d'obscurs métrages comme THE BUTTERCUP CHAIN ou SUMMERTREE. Jaquettes hideuses et «bonus» de quelques minutes tentant de faire revivre les années 50 et 60, avec les archétypes de vilains et autres clichés du cinéma américain. Il s'agit surtout d'un emballage destiné à la promotion des autres titres de la collection. Avec une recette de cocktail à base de Martini pour couronner le tout.
Vague tentative marketing de raccrocher aux «Midnite Movies» de chez MGM, FIVE n'échappe pas à la règle. Le DVD américain de chez Sony offre une version largement améliorée des copies disponibles précédentes, toutes étant dans un état plus ou moins acceptable. Au format original 1.37:1 et au noir et blanc qui a subi les affres du temps. Certes, on a droit aux griffures blanches et noires, et autres poussières le long du film. Les premières minutes du film en sont pourvues à foison, on mettra cela sur le fait des stock-shots utilisés. On soupçonne toutefois que le matériau d'origine ne devait pas être dans un état optimal. Sony a toutefois effectué un travail plus qu'honorable.
La définition n'est pas toujours d'équerre, du aux conditions de tournage en extérieur qui ne donnent pas les contrastes espérés. Une image parfois instable, mais l'ensemble s'améliore considérablement au fur et à mesure. Les scènes intérieures (à la neuvième minute, par exemple) apparaissent nettement meilleures sur les contours des personnages. Les gros plans sur les visages dénotent un vrai soin sur la précision des détails à l'écran. Cela rend particulièrement hommage au travail minutieux sur les éclairages et la composition des plans, notamment dans la mise en valeur de la maison au sommet de la colline. Un regard attentif sur la copie permet de profiter du beau travail effectué, qui ne trahit pas le grain initial. La piste audio en mono sur deux canaux s'avère elle aussi de bonne tenue, claire sur les dialogues et les bruitages. On perçoit un certain souffle mais qui ne gène en rien l'écoute. Si l'on passe les deux bonus «Martini minutes» totalement inintéressants, le DVD donne à voir le film annonce original lui aussi en plutôt bon état. Il est à noter qu'on retrouvera le même transfert audio/vidéo quelques temps plus tard du côté de l'Espagne sur un DVD qui a la particularité de proposer des sous-titres en français, absents du DVD édité par Sony aux Etats-Unis !