Header Critique : EMPIRE DE LA PASSION, L' (AI NO BOREI)

Critique du film et du DVD Zone 2
L'EMPIRE DE LA PASSION 1978

AI NO BOREI 

Tourné au Japon, le film érotique très explicite L'EMPIRE DES SENS connaît un grand succès international et relance la carrière du réalisateur Nagisa Oshima à un moment où celle-ci est au point mort. Anatole Dauman, producteur français de L'EMPIRE DES SENS, propose donc au metteur en scène un autre métrage, L'EMPIRE DE LA PASSION, à nouveau filmé au Japon et avec la même vedette masculine Tatsuya Fuji.

Au XIXème siècle, dans un petit village rural, Toyoji, un jeune vagabond conçoit une passion sensuelle pour une femme mariée, Seki. Les deux amants assassinent le mari et jette son cadavre dans un puits. Trois ans plus tard, son spectre apparaît à Seki...

Suite au succès de L'EMPIRE DES SENS, Oshima tourne donc L'EMPIRE DE LA PASSION que tout semble présenter comme sa continuité. Les titres français et japonais sont proches, la vedette masculine, tout comme le producteur français, sont les mêmes. Les deux longs métrages évoquent un fait divers passionnel et reposent sur un élément érotique. Pourtant, Oshima trompe son monde et L'EMPIRE DE LA PASSION s'avère plus traditionnel que L'EMPIRE DES SENS.

Alors que ce dernier avait été pour ainsi dire tourné à la sauvette, L'EMPIRE DE LA PASSION bénéficie de plus de moyens et se voit filmer dans un authentique village de montagne. Les séquences érotiques restent dans les strictes limites de la censure traditionnelle japonaise, ne révélant ni sexe, ni pilosité pubienne, alors que L'EMPIRE DES SENS va bien plus loin. Oshima tourne avec une plus grande équipe et bénéficie de la collaboration du directeur de la photographie Yoshio Miyajima, complice de Masaki Kobayashi sur HARAKIRI et KWAIDAN, ou du compositeur Toru Takemitsu, qui a travaillé avec de grands metteurs en scène comme Akira Kurosawa, Kobayashi ou Hiroshi Teshigahara.

Alors que L'EMPIRE DES SENS se cantonne aux quelques pièces d'un bordel, L'EMPIRE DE LA PASSION opte pour un décor plus vaste. Il décrit un village et la campagne l'environnant, avec ses champs, ses arbres, son cimetière, autant de paysages évoluant au gré des saisons. Le cadre social de cette communauté est aussi décrit avec précision, le village travaillant au service d'un jeune seigneur, propriétaire de la montagne et des terres alentours.

Commençant comme la relation d'un fait divers sur fond historique, L'EMPIRE DE LA PASSION bascule dans le fantastique lorsqu'apparaît le spectre du mari assassiné, en pleine nuit. Fantôme non vindicatif, il s'assoit au coin du feu et attend que son épouse lui verse sa bolée d'eau de vie. Mais cette présence oppressante, revenant régulièrement, devient insupportable à l'épouse criminelle. En se rattachant aux histoires de fantômes, Oshima ramène son métrage dans le giron d'un cinéma plus traditionnel, se rattachant à un élément populaire fort de la culture japonaise, perçu comme tel aussi bien dans le pays lui-même qu'à l'étranger. En effet, des films mettant en scène de telles figures d'outre-tombe ont déjà été appréciés à l'étranger, tels CONTES DE LA LUNE VAGUE APRES LA PLUIE et KWAIDAN, respectivement récompensés à Venise et à Cannes, ou RASHOMON, le film qui a fait découvrir le cinéma japonais à l'Occident.

Ici, le fantôme incarne métaphoriquement la culpabilité des amants. Bien qu'elle a écarté les accusations par un mensonge, les soupçons continuent à peser lourd sur Seki, à travers les cancans des vieilles du village en particulier. La présence d'un policier soupçonneux, ridicule et brutal, fouineur, débarquant un beau jour avec la manifeste intention de démasquer les deux amants autant pour leur meurtre que pour leur relation coupable, attise encore ce ressenti de culpabilité. La société (les villageois soupçonneux) et l'État (la police) font alors pression sur les deux amants, autant que le spectre.

Conte érotique sur l'oppression contre-nature de la sensualité par la société, L'EMPIRE DE LA PASSION opte pour un ton naturaliste posé et assez lent, donnant une impression de sévérité parfois rébarbative. Il faut le reconnaître, coincé entre L'EMPIRE DES SENS et FURYO dans la filmographie de son metteur en scène, L'EMPIRE DE LA PASSION manque de tonus et de fougue pour supporter la comparaison avec ses deux titres plus lyriques.

Cependant, ce film plus classique a pour lui de grandes qualités de mise en scène et de photographie, des acteurs talentueux et attachants, et il convainc par la justesse de son écriture ainsi que sa beauté austère. Bien que profondément japonais, L'EMPIRE DE LA PASSION, récompensé à Cannes, continue à entraîner Nagisa Oshima vers une carrière avant tout financée par des producteurs internationaux, comme c'est le cas d'un Akira Kurosawa à la même époque.

Nous allons ici chroniquer le DVD sorti par Arte Vidéo en 2003, disponible à l'unité ou en tandem avec L'EMPIRE DES SENS.

Le disque propose une copie 1.66 (16/9) de très belle qualité, avec une image naturelle, bien détaillée, à la nature parfaitement cinématographique, sans lissage ni halos envahissants. L'image donne parfois l'impression d'être un peu bruitée, on repère quelques petits défauts vraiment très ponctuels, mais la qualité d'ensemble est vraiment très bonne.

Rappelons à cette occasion que L'EMPIRE DE LA PASSION, tout comme L'EMPIRE DES SENS, a été tourné en VistaVision (35mm à défilement horizontal), format garantissant une meilleure qualité d'image que le 35mm classique. Pratiquement abandonné en Occident dans les années soixante-dix, il est resté utilisé en Asie plus longtemps.

La bande-son est disponible en version originale sous-titrée ou en version française dans un mono d'origine un brin criard, mais tout de même de bonne facture pour un long métrage des années soixante-dix. Le tout est codé en Dolby Digital sur deux canaux.

Enfin, le disque propose deux suppléments vraiment intéressants. Le premier, «Sur le tournage» donne durant quatorze minutes la parole à des intervenants japonais. L'assistant réalisateur Yusuke Narita et le producteur Koji Wakamatsu (tout récemment décédé) reviennent de façon assez complète sur le tournage du film, tandis que le réalisateur Yoichi Sai évoque la place d'Oshima dans le cinéma japonais. Un autre supplément de 15 minutes revient sur «Le cinéma érotique Made in Japan» au travers de diverses interventions de spécialistes anglophones et francophones. Y sont évoqués le succès commercial de ce genre dans les années soixante-dix, ses origines, ses différents courants et la place particulière de L'EMPIRE DES SENS dans cette filmographie nationale. Bref, voici une interactivité a priori succincte, mais fort bien faite et dont on sort instruit.

Ce DVD s'avère une bonne réussite, permettant de découvrir L'EMPIRE DE LA PASSION dans de bonnes conditions et avec des suppléments de qualité. Signalons aussi que, en 2009, Arte a sorti L'EMPIRE DE LA PASSION en Blu-ray, uniquement en coffret avec L'EMPIRE DES SENS, et avec les mêmes suppléments.

Rédacteur : Emmanuel Denis
Photo Emmanuel Denis
Un parcours de cinéphile ma foi bien classique pour le petit Manolito, des fonds de culottes usés dans les cinémas de l'ouest parisiens à s'émerveiller devant les classiques de son temps, les Indiana Jones, Tron, Le Dragon du lac de feu, Le Secret de la pyramide... et surtout les Star Wars ! Premier Ecran fantastique à neuf ans pour Le retour du Jedi, premier Mad Movies avec Maximum Overdrive en couverture à treize ans, les vidéo clubs de quartier, les enregistrements de Canal +... Et un enthousiasme et une passion pour le cinéma fantastique sous toutes ses formes, dans toute sa diversité.
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L'édition vidéo
AI NO BOREI DVD Zone 2 (France)
Editeur
Arte
Support
DVD (Double couche)
Origine
France (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
1h40
Image
1.66 (16/9)
Audio
Japanese Dolby Digital Mono
Francais Dolby Digital Mono
Sous-titrage
  • Français
  • Supplements
    • Sur le tournage (14mn)
    • Le cinéma érotique Made in Japan (15mn)
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