Après le succès considérable de FRANKENSTEIN S'EST ECHAPPE !, la Hammer continue durant trois années sur la voie des films d'horreur gothique en couleurs, avec divers titres comme LE CAUCHEMAR DE DRACULA, LA MALEDICTION DES PHARAONS et autres LES MAITRESSES DE DRACULA. Pourtant, au tournant des années soixante, la firme se détourne doucement de ce filon, comme si une lassitude commençait à se faire sentir au sein de son équipe.
La Hammer s'oriente donc vers des sujets non fantastiques et fait une tentative d'horreur différente, à savoir une tentative de thriller d'épouvante – à petit budget, forcément. Le scénariste maison Jimmy Sangster convainc les dirigeants du studio d'adapter un de ses scénarios avec HURLER DE PEUR, long métrage pour lequel il est aussi nommé producteur. La réalisation est confiée à Seth Holt, metteur en scène n'ayant derrière lui qu'un film des fameux Ealing Studios, nommé NOWHERE TO GO. Pour HURLER DE PEUR, il se voit épaulé par un grand chef-opérateur du cinéma britannique, Douglas Slocombe, déjà vétéran puisque ayant œuvré sur des grands classiques des studios Ealing comme le film à sketchs fantastique AU COEUR DE LA NUIT ou la comédie NOBLESSE OBLIGE. Pour jouer dans ce film, on recrute Ann Todd (vedette de LE PROCES PARADINE d'Alfred Hitchcock, ce qui n'est pas anodin, nous le verrons) et la jeune Susan Strasberg, fille du mythique formateur d'acteurs Lee Strasberg de l'Actors Studio. Christopher Lee en personne, pilier de la Hammer, est aussi de la fête.
Penny Appleby, jeune femme devenue paraplégique suite à un accident d'équitation, se rend chez son père dans sa superbe villa de la Côte d'Azur. Elle y est reçue avec sollicitude par la nouvelle épouse de son père. Mais celui-ci est absent pour affaires. Lorsque Penny affirme avoir vu le fantôme de son père dans un débarras de la demeure, son entourage soupçonne que la pauvre enfant n'a plus toute sa tête...
Ainsi, las des monstres, des donjons et des trucages sanglants, la Hammer tourne le dos au gothique pour surfer sur les succès d'Alfred Hitchcock. Pas le Hitchcock tournant d'énormes productions en VistaVision et Technicolor avec des vedettes comme James Stewart ou Cary Grant. Mais le Hitchcock qui vient de triompher avec PSYCHOSE, petit film tourné avec un tout petit budget, en noir et blanc, au moyen de méthodes rapides issues de la télévision. Avec PSYCHOSE, il reprend des thèmes de la psychanalyse ou de la psychiatrie déjà approchés dans certains de ses titres comme LA MAISON DU DOCTEUR EDWARDS, dans lequel Gregory Peck combat un traumatisme menaçant sa santé mentale, et il les met à la sauce de l'horreur de série B, d'une certaine hystérie Grand Guignol et sordide.
Le succès phénoménal de PSYCHOSE entraîne des copies et dérivées, comme HOMICIDAL de William Castle ou REPULSION de Roman Polanski en Grande-Bretagne. Il essaime à travers divers genres à venir, comme le film de psychokiller, dont il est le fondateur, mais aussi par certains aspects le Giallo ou le Slasher. Suite à ce succès, peut-être les dirigeants de la Hammer se sont-ils dits qu'il était temps pour eux de changer de braquet et d'accompagner cette vague américaine plutôt que de persévérer à élargir leur catalogue Gothique.
Pourtant, s'il arrive dans la roue de PSYCHOSE, HURLER DE PEUR ne s'inspire pas seulement de ce métrage. Certes, il en reprend certaines ficelles, comme l'exploitation de moments «chocs». Mais il pioche aussi dans divers classiques du Film Noir, en particulier par le biais du thème classique de la jeune ingénue qu'un mystérieux complot tend à conduire vers la folie. Un sujet vraiment classique exploité dans HANTISE de George Cukor ou LES DIABOLIQUES de Henri-Georges Clouzot, et surtout par Hitchcock lui-même dans REBECCA ou LES AMANTS DU CAPRICORNE. D'autres éléments du cinéma du grand Hitch apparaissent encore, comme ce suspens se jouant en vase clos, dans un milieu familial, à l'instar de SOUPCONS où une jeune mariée soupçonne son mari de vouloir l'assassiner, ou L'OMBRE D'UN DOUTE dans lequel Joseph Cotten incarne un oncle revenant vers ses proches avec des intentions peu claires.
HURLER DE PEUR fonctionne donc sur des éléments connus, exploités dans divers classiques du cinéma. Néanmoins, il se distingue du tout venant grâce à la mise en scène étonnante, experte de Seth Holt. Les cadrages et mouvements de caméras sont précis et mobiles, l'image joue sur la profondeur de champs et les disproportions de perspective pour donner au métrage une allure subtile et léchée, variée et expressive. Qui plus est, les moments de terreur et de suspens sont parfaitement assemblées et montées, créant des moments de terreur impressionnants.
Il faut dire que Seth Holt bénéficie de la photographie de Douglas Slocombe, tout à fait magnifique, apportant une patine luxueuse remarquable à ce long métrage. Quand bien même l'action se confine à quelques décors et personnages, jamais nous n'avons l'impression de visionner un métrage de petite compagnie ou de seconde zone. Slocombe se montre parfaitement à l'aise dans tous les instants du film, distillant des images tour à tour solaires et obscures, cotonneuse ou ensoleillées, d'un réalisme cru ou d'un subtil onirisme.
Tout cela est épaulé par des comédiens parfaitement compétents et surtout par un scénario de Jimmy Sangster qui fait à la fois la force et la faiblesse de HURLER DE PEUR. Sa force, ce sont ses rebondissements incessants et difficilement prévisibles, tenant le spectateur en haleine sans coup férir sur la durée concise du métrage. La faiblesse, c'est un certain manque de logique et de cohérence dans la continuité des événements, apparaissant une fois que le récit a joué toutes ses cartes.
HURLER DE PEUR n'est ni très original, ni très cohérent, mais il n'en reste pas moins une jolie réussite de la Hammer, un suspens habile doté d'une facture technique impressionnante prouvant que le petit studio peut tourner des films damant le pion des grandes majors sur leur propre terrain. HURLER DE PEUR connaît d'ailleurs un beau succès en salle et auprès des critiques. Il entraîne chez la Hammer d'autres projets du même style. Seth Holt tourne ensuite un drame nommé LA BLONDE DE LA STATION 6 avec Carroll Baker, puis il revient vers la Hammer pour le tournage de CONFESSION A UN CADAVRE interprété par Bette Davis.
HURLER DE PEUR appartient au catalogue de Sony/Columbia. Il est d'abord sorti en DVD aux Etats-Unis en 2008 au sein d'un coffret ICONS OF HORROR COLLECTION : HAMMER FILMS contenant aussi LES MALEFICES DE LA MOMIE, LA GORGONE et LES DEUX VISAGES DU DR. JEKYLL. Plus tard, en France, il est sorti isolé, dans l'édition DVD que nous vous présentons ici.
HULER DE PEUR est proposé dans une copie 16/9 au format 1.66 noir et blanc tout à fait satisfaisante. Certes, quelques saletés peuvent être repérées de temps en temps, mais on reste assez ébahie par la qualité du travail effectué sur le télécinéma et le transfert vidéo. On ne repère aucun halo ou scintillement, la résolution est toujours parfaite, l'image totalement stable et le grain d'origine se voit restitué avec franchise et intégrité. Du très beau travail, qui pourrait rendre jaloux des titres plus récents ou plus célèbres !
La bande son est proposée en anglais mono d'origine, en Dolby Digital 2.0 et se montre elle aussi sans reproche. Ce disque propose encore un doublage français et des sous-titres français amovibles.
En guise de bonus, il faut se contenter de la bande-annonce anglophone d'époque accompagnée, on ne sait pourquoi, de celle de HANCOCK ! C'est tout, et ce n'est pas assez serait-on tenté de dire !
Toutefois, HURLER DE PEUR n'a jamais bénéficié d'une vraie interactivité et ce DVD de catalogue reste la meilleure option pour le découvrir ou le revoir, à prix raisonnable, qui plus est.