Header Critique : THE OREGONIAN

Critique du film
THE OREGONIAN 2010

 

Une jeune femme reprend ses esprits au volant de sa voiture. Le véhicule est sorti de la route et a percuté un talus. Blessée, la tête en sang, désorientée et perdue sur une route au milieu de la forêt, elle s'engage sur un chemin étrange qui la mènera vers son passé mais aussi une destination très étrange…

Le réalisateur de THE OREGONIAN, Calvin Lee Reeder, ne se destinait pas vraiment au cinéma. Et c'est un peu de fil en aiguille qu'il va s'improviser cinéaste. S'il s'intéresse aux images, il va tout d'abord se faire connaître en tant que guitariste au sein de groupes punks tels que Popular Shapes ou The Intelligence. Par ce biais musical, il se retrouve sur une chaîne de Seattle où il monte un show délirant avec son comparse Brady Hall. Fort d'un petit succès auprès des spectateurs locaux, après deux ans à l'antenne, les deux potes ont l'idée de continuer la même déconnade mais au travers d'un film issu de leur délire télévisuel. Cela donnera JERKBEAST. Co-réalisé par les deux apprentis cinéastes, le métrage narre ainsi la tournée délirante d'un étrange groupe punk dont l'un des membres est atteint d'une difformité. Calvin Lee Reeder va alors mettre en boîte des courts métrages qui commenceront à forger son univers (PILEDRIVER, THE RAMBLER, SNAKE MOUNTAIN COLADA...) De petits films dans lesquels il met déjà en scène la comédienne Lindsay Pulsipher qui se retrouve donc assez naturellement la tête d'affiche de THE OREGONIAN, premier long métrage réalisé en solo par Calvin Lee Reeder.

L'approche du cinéma par Calvin Lee Reeder n'a rien de conventionnelle et la vision de THE OREGONIAN s'en ressent fortement. A partir de ce constat, vous êtes prévenus, le métrage n'a rien à voir avec un film d'horreur lambda et ce même s'il contient des séquences gores. A vrai dire, le film de Calvin Lee Reeder se rapproche fortement d'un classique du «Fantastique», CARNIVAL OF SOULS. Avec un point de départ similaire, le cinéaste nous propose ainsi une variation sous acide et très «arty» du film de Herk Harvey. Après un accident de voiture, une jeune femme est suivie par un étrange personnage alors que des événements tout aussi bizarres ne tardent pas à survenir. Ici, l'homme cadavérique qui poursuit l'héroïne laisse sa place à une sorte de sorcière qui sort des fourrés pour inquiéter la jeune femme perdue dans un monde qui lui échappe. Du coup, pour qui connaît CARNIVAL OF SOULS, il est assez facile de comprendre le statut du personnage principal. Le cinéaste ne cherche même pas à jouer l'ambiguïté avec les spectateurs. Ce qui intéresse beaucoup plus Calvin Lee Reeder, ce sont les opportunités que lui offre l'état de son personnage. L'occasion pour le cinéaste de suivre son périple agrémenté de rencontres inquiétantes dans un monde qui n'est manifestement pas celui d'où elle vient à l'origine.

Des intentions, THE OREGONIAN en contient. Beaucoup. Trop, peut être. Mais cela ne donne pas nécessairement un métrage réussi. On évitera d'ailleurs d'utiliser les termes «spectacle» ou encore «divertissement» pour évoquer THE OREGONIAN, cela n'a pas vraiment cours dans le cadre de cette œuvre. Avec une approche pragmatique, le film risque d'ailleurs de laisser sur le carreau pas mal de spectateurs. Prenons le premier quart d'heure pour exemple… L'héroïne reprend ses esprits, la figure en sang et au volant d'une automobile qui est parti dans le décor. Désemparée et en pleine forêt, il n'y a pas âme qui vive et elle se met alors à marcher sur la seule route en espérant, on imagine, trouver une âme salvatrice. Autant dire que dans sa situation, marcher sur une route en pleine forêt après un accident, c'est chiant ! En cela, Calvin Lee Reeder réussit assez bien le challenge puisque les minutes semblent ralentir, imposer une stase cinématographique à base de randonnée pédestre où les dialogues (les cris ?) sont résumés à leur plus simple expression. Peu engageant mais le sentiment est présent, c'est un peu chiant ! Dans la réalité, si vous êtes sur une route isolée, la tête en sang et désorienté, l'intrusion d'une vieille femme qui sort des bosquets pour vous faire des grimaces, ça foutrait la pétoche. Et, là, Calvin Lee Reeder loupe son coup. L'émotion est absente, l'inquiétude ne s'installe pas et c'est plutôt l'incompréhension. Tellement surprenant, d'ailleurs, que l'aspect humoristique, volontaire ou pas, de la situation ne s'installe pas non plus. Nous ne dévoilerons pas plus avant le contenu de THE OREGONIAN, après tout le film se doit d'être vu dans son intégralité pour être apprécié (ou pas). Toutefois, l'humour finira par poindre. L'accumulation de séquences incongrues, de situations bizarres ou d'images surréalistes ne laisseront aucunement indifférent. Peu importe que l'humour soit volontaire, THE OREGONIAN devrait, à un moment ou un autre, vous arracher un sourire devant ce qui se déroule sur l'écran. Les plus cinéphiles auront peut être l'impression qu'on leur refait le gag d'AUSTIN POWERS lorsqu'un personnage se met à uriner. Une scène qui s'étire une nouvelle fois en longueur et qui pourra laisser perplexe à moins de prendre la chose du bon côté et s'en amuser. D'ailleurs, lors d'une séquence, tout le monde se met à rire, en groupe, en gros plan, face à la caméra, comme pour mieux pointer du doigt l'aspect irrationnel de ce qui se passe. Les plus cyniques pourront même se demander si Calvin Lee Reeder n'est pas en train de se moquer du spectateur. Toutefois, THE OREGONIAN n'est pas une comédie, pas plus un film d'horreur qu'un métrage musical. Et pourtant ? Un passage musical, il y en a bien un. Et si vous préférez des conseils culinaires THE OREGONIAN est prêt à vous prodiguer une recette. Pas celle d'un grand chef, non, cela s'avère simpliste mais, au moins, accessible à tout le monde. De là, on pourrait être amené à penser que Calvin Lee Reeder nous offre une oeuvre populaire. Mais il ne faudra quand même pas pousser. Car, forcément, si THE OREGONIAN n'est ni un film d'horreur, ni une oeuvre culinaire, ni une comédie musicale ou encore moins ce que vous voyez habituellement sur les grands écrans, c'est sûrement parce que le film flirte, voire embrasse, un cinéma expérimental aux ambitions artistiques. Qu'on le prenne au sérieux, qu'on soit affligé ou bien que l'on soit séduit, la plus grande qualité de THE OREGONIAN est certainement là. Avoir la possibilité de voir sur un écran géant de cinéma, sans pouvoir l'arrêter, une œuvre radicale. Autant dire une véritable expérience cinématographique, bonne ou mauvaise. En ce sens, le film devrait perdre de son intérêt, une fois qu'il sera réduit à un simple écran domestique avec l'éventuelle pause péremptoire qui mettra peut être un terme définitif au visionnage avant le meilleur de ce que THE OREGONIAN a à proposer. Ou le pire, c'est difficile à dire !

Si la forme de THE OREGONIAN ne sera pas au goût de tout le monde, le fond ne va pas rassembler, lui non plus. Tenter l'analyse de ce qui se déroule à l'écran risque d'être extrêmement subjectif. D'ailleurs, personne ne sait si Calvin Lee Reeder en a lui-même une idée. Mais hasardons-nous à l'impossible… De quoi parle réellement THE OREGONIAN ? En l'état, sans connaître le cinéaste, ni ses points de vue ou ses opinions, on pourrait être amené à penser que nous sommes face à l'oeuvre d'un artiste nihiliste. En effet, le métrage donne l'impression de nous exposer l'aspect très futile de la vie humaine. L'homme est une machine qui fonctionne avec un carburant. Le cinéaste utilise régulièrement l'essence ou le pétrole de manière redondante. Ici pour remplacer des fluides corporels que ce soit le sang ou l'urine. Ou bien encore en s'insérant dans la nourriture ou les boissons. Une séquence montre même un personnage essayant vainement de nourrir un corps mutilé avec des oeufs brouillés. Autant d'éléments qui pourraient mener à penser que Calvin Lee Reeder pense qu'on a intérêt de bien se marrer maintenant car nous ne serions que des cadavres en sursis, sujet à d'imprévisibles pannes plus ou moins définitives. Ainsi, lorsque la machine se grippe, cela peut mener à une respiration difficile ou encore à la mort. Certains auront donc des vies plus heureuses que d'autres, le destin de l'héroïne du film n'a rien d'enviable, mais, à l'arrivée, la comédie finira par s'arrêter pour tout le monde ! Au même titre que le film, nous laissant sur un générique qui libérera ceux qui se sont profondément emmerder face à une oeuvre obscure et laissera interrogateur les autres... Car l'interrogation reste de mise, de quoi parle exactement THE OREGONIAN ? A vous de nous le dire, nous ne faisons qu'émettre une hypothèse, le film contenant de quoi en alimenter bien d'autres. Et si nous n'avons pas vraiment apprécié le métrage, en tant que film, au moins, on l'a vécu pleinement sur grand écran et, en soi, c'est une expérience pour la moins particulière !

Rédacteur : Christophe Lemonnier
Photo Christophe Lemonnier
Ancien journaliste professionnel dans le domaine de la presse spécialisée où il a oeuvré durant plus de 15 ans sous le pseudonyme "Arioch", il est cofondateur de DeVilDead, site d'information monté en l’an 2000. Faute de temps, en 2014, il a été obligé de s'éloigner du site pour n'y collaborer, à présent, que de manière très sporadique. Et, incognito, il a signé de nombreuses chroniques sous le pseudonyme de Antoine Rigaud ici-même.
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