PATRICK, DEVIATION MORTELLE, LINK, PSYCHOSE II... tout un pan du cinéma de genre, australien et américain résonne en la personne de leur réalisateur Richard Franklin, hélas décédé en 2007. Son dernier film, VISITORS, a connu une carrière timide. Sorti en catimini en Australie fin 2003, il a subi depuis le sort d'un DTV à travers le monde. Ce qui conclut une carrière riche mais de manière quelque peu insatisfaisante. On revient donc dessus après la bataille, avec le recul nécessaire.
Georgia Perry (Radha Mitchell) s'embarque pour une croisière en solitaire. En panne de vent depuis cinq jours, elle commence à être assaillie de visions préoccupantes : apparitions, pirates, sa mère en voie de se suicider, son père infirme qui se remet à marcher... cauchemar ou réalité ?
Everett De Roche, l'un des piliers du cinéma de genre australien, est aux manettes du scénario. Américain d'origine mais ayant déménagé en Australie à la fin des années 60, il a écrit des perles comme PATRICK, HARLEQUIN, SNAPSHOT, RAZORBACK, LINK, LONG WEEKEND (et son malheureux remake) ou, encore plus récemment, STORM WARNING et NINE MILES DOWN. Nul doute que VISITORS porte sa marque de fabrique. La frontière entre le fantasme et le réel semble ténue, pour mieux laisser apparaître un gouffre. Et se dirige vers une thématique plus personnelle : Georgia se débat contre ses démons personnels, sa culpabilité, renforcés par une solitude qui pousse vers une folie qui pourrait être salvatrice.
Posé comme cela, le film dégage une atmosphère de déjà-vu. Les films se déroulant dans un bateau, on connaît déjà : de LIFEBOAT à CALME BLANC. Le sujet porte même en lui des éléments qui rappellent LES QUARANTIEMES RUGISSANTS de Christian de Chalonge. Mais plus que le lieu, c'est le déroulement de l'ensemble qui rappelle LONG WEEKEND. La nature environnante, l'isolation qui pousse à la paranoïa (ou pas) : l'ombre du film de Colin Eggleston se trouve à quelques encablures. Jusqu'à «l'attaque» animale des araignées de mer démesurées !
Le choix du format anamorphique 2.35:1 est judicieux. Il permet à Richard Franklin de montrer une gestion adroite de l'espace à priori clos et étouffant d'un monocoque. Le film se déroulant en effet aux trois quarts sur le bateau. S'y ajoutent les plans larges et majestueux du navire isolé en pleine mer. Tout comme ceux, plus mystérieux, d'un nuage de brume engloutissant l'embarcation. L'alternance de ces plans larges avec de très gros plans d'une Radha Mitchell terrorisée donne une impression ambiguë. A l'image d'un scénario qui laisse jusqu'au bout la possibilité de compréhension diverse de la finalité de l'entreprise. Photographie, cadrages, détails du moindre plan : la technique est impeccable.
La première moitié du film instaure une atmosphère progressivement délétère. Le montage alterne flash-backs et scènes du réel, jusqu'à ce que l'ensemble glisse vers une vie fantasmée. La mère de Georgia (Susannah York, comme possédée) menace de se suicider à répétition, mais n'est-ce point une illusion rêvée par Georgia ?
Malheureusement pour le spectateur, tous les éléments en place vont générer un ennui poli. Il ne s'agit pas de la faute de la comédienne principale, énergique, ou du reste du casting, tous très professionnels. Mais le récit fait du surplace, malgré les tentatives d'injecter quelques éléments hors contexte pour aérer le récit, comme le doute amoureux entre Georgia et son partenaire. Resté à quai, il suit la dégradation mentale de son amie en compagnie de la très jolie sponsor. Georgia ressent ceci comme une trahison, persuadée d'avoir été trompée, à la fois sur le plan personnel et professionnel. Richard Franklin met en avant cette ambiguïté de manière intelligente : la caméra laisse percevoir des regards, des mouvements, des tons de voix qui laissent planer un doute indicible. Mais sans jamais l'expliciter.
En cela, VISITORS est en phase avec ce que le cinéma australien a su apporter de doute bicéphale au genre. De PICNIC A HANGING ROCK à NEXT OF KIN en passant par LONG WEEKEND... Le privilège du bizarre qui génère des peurs insondables. Dommage que le scénario soit si confus, démonstratif et le rythme si languissant. La fracture que représente l'accident du père de l'héroïne est présenté, voire asséné au spectateur jusqu'à parasiter le récit. Inutile de recourir au sacro-saint ralenti pour faire comprendre l'importance de l'événement !
Des moments grotesques et décalés, comme les amies avinées de sa mère semblent être utiliser comme des soupapes de sécurité, mais au final ne servent à rien. Ce qui apparaît vain en comparaison avec l'apparition des soi-disant pirates car là aussi, la menace plane. Sont-ils mal intentionnés ? Réels ? le meurtre a-t-il vraiment eu lieu ? Il s'agit de ce type de scènes qui rendent VISITORS intéressant. Mais elles restent en nombre insuffisant, noyées dans un récit qui traîne en longueur. Jusqu'à un final montrant une femme qui prend son destin en main et renonçant à ce qui est attendu d'elle.
VISITORS, un film sur l'indépendance de la femme face à la société ? Pourquoi pas. Cela fait partie des nombreuses pistes empruntées par Radha Mitchell, combative et plus que crédible. A noter pour les complétistes que l'argument fantastique de la femme isolée en pleine mer sur un bateau a été repris récemment, de manière radicalement différente et bien plus réussie, par Christopher Smith dans TRIANGLE. Mais que pour mieux se rendre compte de la folie qui peut dévorer un être perdu en mer, il faudra se diriger vers DEEP WATER, le documentaire à propos de la tragédie maritime de Donald Crowhurst en 1968. Au final, VISITORS est une expérience insatisfaisante mais non dénuée d'intérêt.
Le DVD sorti par StudioCanal offre le minimum syndical. Une copie au format 2.35:1 avec 16/9ème et deux pistes audio : l'une anglaise, l'autre française mixées en 5.1 avec sous-titres français amovibles. Le minutage exact fait état de 86 minutes et 42 secondes. Force est de reconnaître que nous sommes face à un joli transfert qui domine avec de robustes couleurs et une gestion des scènes sombres du meilleur effet, compte tenu des conditions de tournage. Pas de trace de compression alors que les contrastes sont gérés d'une excellente manière : voir en cela les scènes tournées en extérieur nuit (vers le huitième minute, entre autres). Une définition agréable pour un DVD, peu de grain notable, une piste audio anglaise dynamique et non envahissante sur les effets : on se trouve ne présence d'une édition tout à fait recommandable.
En termes de bonus, la frustration est de mise : seul le film annonce original se trouve directement rattaché au film. D'autres publicités pour des films du catalogue StudioCanal se trouvent mises bout à bout sur un peu plus de cinq minutes. Maigre, d'autant plus que l'édition australienne comportait plusieurs éléments relatifs à la création de VISITORS (interviews, storyboards, scènes coupées et biographies).