Inédit en France et sorti en Belgique sous le titre LA MONTAGNE MYSTERIEUSE, THE BEAST OF HOLLOW MOUNTAIN appartient à un sous-genre assez peu couru, croisant le Western et le film de monstres. Idée à priori ingénieuse, les deux genres étant particulièrement populaires au milieu des années 50. Mais cette «bête de la montagne creuse» à la langue pendante cache aussi une curieuse co-production mexicano-américaine tournée au Mexique et dans les studios Nassour de Californie. Donc permettant avec un budget étriqué de donner quelque peu de grandeur et de figurants à cette histoire de cow-boy américain (Guy Madison) élevant son troupeau au Mexique. Notre héros ne tardera pas à constater que ses animaux se font dévorer par un monstre préhistorique.
Le grand Willis O'Brien, maître de la stop motion et créateur de KING KONG, vendit l'histoire de BEAST OF HOLLOW MOUNTAIN au producteur, spécialiste des effets spéciaux et réalisateur Edward Nassour. Les plus cinéphiles verront de suite la similarité du sujet, qui donnera un bien meilleur résultat avec LA VALLEE DE GWANGI de Jim O'Connolly, de surcroit avec une animation en stop motion par Ray Harryhausen – disciple de Willis O'Brien.
Là où la technique prend le pas sur le film : le générique annonce également un très pompeux «Nassour Regiscope» qui faisait en réalité référence au procédé de stop motion utilisé pour l'animation de la bestiole. Le «Scope» fut ajouté pour d'évidentes questions de marketing, («Scope» étant largement à la mode en 1956 !) mais certainement pas pour des raisons qualitatives, comme on va le voir par la suite.
Tout ce qui faisait la fluidité des animations pour MONSIEUR JOE, par exemple, fait cruellement défaut ici. Le monstre, très rigide et animé de manière saccadée, ne tient pas la route en terme de comparaison. L'un des responsables des effets spéciaux du film se nomme Louis DeWitt, autre homme à tout faire de la série B fantastique. Il créa les effets pour le KRONOS de Kurt Neumann, ou encore pour THE GIANT BEHEMOTH, ainsi que les effets photographiques de THE 30 FOOT BRIDE OF CANDY ROCK et le ATOMIC SUBMARINE de Spencer Gordon Bennett. Mais parler de véritable stop motion paraît un poil exagéré tant les modèles miniatures ne semblent pas être parfaitement animés pour recréer le mouvement. Cela donne l'impression d'assister à une succession de modèles rigides sur certaines séquences – dont de ce fait l'autre composante du fameux «Regiscope» : à savoir une marionnette animée. Qui plus est, les éclairages n'aident en rien : aucune ambiance particulière ni de poésie (voire d'effroi) ne se dégage de l'ensemble. Ce que Willis O'Brien avait pourtant su si bien faire avec KING KONG et MONSIEUR JOE, par exemple. Des métrages où les créatures paraissaient sortir de l'ombre à la lumière au propre, comme au figuré.
Ici, le pauvre dinosaure – dont on ne saura jamais ce qu'il est, se trimballe comme il peut. Il aura pu provoquer quelques cris il y a 60 ans mais là, il demeure un témoin d'un autre temps. Symbole d'une technologie balbutiante, toujours émouvante et sympathique à voir – mais le trop-plein d'amateurisme accompagné du manque de professionnalisme donne à rire (et non pas à Sommer).
Enfin, à parti de la 56ème minute (56mn44 pour être exact), une troisième technique fait son apparition : celle choisie par les créateurs de GODZILLA, à savoir un homme dans un costume. Enfin ici, il s'agit plutôt des pieds du monstre qui sont filmés, signalant l'attaque imminente de deux cowboys soiffards. Les problèmes de raccords et d'échelle achèvent la peu de crédibilité de l'entreprise et il s'agit uniquement d'un œil nostalgique (et bienveillant) qui pourra apprécier le travail.
A noter par ailleurs qu'Edward Nassour a produit un autre film avec la technique stop motion et présent dans le coffret DVD édité par Artus contenant THE BEAST OF HOLLOW MOUNTAIN : LOST CONTINENT.
Si THE BEAST OF HOLLOW MOUNTAIN se distingue du lot, c'est surtout parce qu'il s'agit du premier film à avoir été tourné en stop motion ET au format anamorphique. Un choix complexe et audacieux, qui sera en fait très peu repris – Ray Harryhausen tentera le coup avec LES PREMIERS HOMMES DANS LA LUNE de Nathan Juran en choisissant la technique Panavision (2.35 :1), avant de se rabattre sur du format panoramique (1.85:1).
Ambiance western, méchant d'opérette, amours contrariées, échappée de buffles (ou «stampede» en version originale), cavalcades, liesse populaire, sables mouvants, cantina joyeuse, héros aux grosses «cojones», second couteau à moitié ivre... On sent comme une réminiscence du SIGNE DE ZORRO avec Tyrone Power, tout comme on retrouvera par ailleurs ces influences dans la très populaire série télévisée ZORRO entre 1957 et 1961. On y rajoute un enfant courageux mais en danger, des mariachis qui dansent, on agite le shaker et hop ! le monstre arrive un quart d'heure avant la fin pour tout bousculer. Une spectacle d'une naïveté aujourd'hui désarmante qui donne dans le stéréotype le plus 50's qui soit. Ce qui donne toutefois une scène de panique en pleine fête villageoise du plus bel effet (environ à la 60ème minute).
Mais concrètement, on se contrefiche un peu de cet aspect western qui traîne en longueur. Ce qu'on veut, c'est le monstre !
Le plus intéressant du film demeure donc ses dernières vingt minutes. La première heure se révèle molle et dotée d'un scénario de Western des plus convenus. En tous cas, rien qui n'ait pas déjà été vu et revu – rien ne sortant des westerns de séries B ordinaires. Ce ne sont pas les joutes amoureuses entre Jimmy (Guy Madison), le lonesome cowboy qui se pâme d'amour pour la beauté électrique locale nommée Sarita (Patricia Medina). Ce qui est vu d'un très mauvais œil par le baron local Enrique (Carlos Rivas). Tout cela va se précipiter en drame Westerno-dramatico-guacamolo-vas-y-mollo imbibé d'alcool via le tandem Pacho/Panchito – le père alcoolo et son fils courageux qui vont se mêler de l'ensemble pour donner à la fois le ressort comique et le courage de lutter. C'est beau... En fait, les réalisateurs en oublient jusqu'à nous présenter la bébête. En fait, c'est bien le monstre qui va sauver le film de l'ennui total. Parce que qu'on est quand même au bord de sombrer dans les bras de Morphée.
Les amateurs de film de genre peuvent ainsi aisément faire avance rapide/sauter les chapitres jusqu'au dernier quart du métrage. L'attaque du monstre subitement trépidante sort le spectateur de sa torpeur. Les rebondissements abondent, les mises en danger, mises à mort, cavalcades et autres cascades se succèdent à un rythme effréné ! Jusqu'à se permettre des plans mobiles étonnants (la scène où Guy Madison se balance le long d'une corde à 1h13mn)... c'est là où on se dit que deux réalisateurs ont mis la main à la pâte. Ismael Rodriguez pour les scènes d'exposition et Nassour pour les scènes avec effets spéciaux. La différence est criante, autant que les stocks de films utilisés.
THE BEAST OF HOLLOW MOUNTAIN arrive chez Artus Films via leur coffret LES DINOSAURES ATTAQUENT !, avec trois autres dinosaureries : LOST CONTINENT, KING DINOSAUR et TWO LOST WORLDS.
L'énorme bémol reste la qualité de la copie présentée. Le film est au format 2.35:1 avec transfert 16/9e, respectant ainsi le véritable CinémaScope d'origine. Notons que le film n'a pas été mixé en 4 pistes stéréophoniques, à notre connaissance. Reste que la copie fait très mal aux yeux car positivement abominable : plans flous, moirage en abondance, définition médiocrissime, couleurs passées... un vrai massacre. On ne sait pas où Artus s'est procuré le master, mais c'est une des pires choses qui puisse être faite. Ce parasitage permanent de l'image rend la vision parfois difficile.
Un paradoxe de taille : même la copie présente sur le Laserdisc NTSC du film intégré dans le coffret «United Artists SciFi Matinee, Vol 2» sorti en mai 1997 donnait aussi un format 2.35:1, mais de qualité largement meilleure. Des couleurs plus éclatantes et à la fixité évidente, des plans clairs malgré une définition moindre, des contours de personnages mieux perceptibles : clairement, une vision bien plus agréable à l'œil et à l'oreille – sans les sous-titres français amovibles que propose l'édition DVD française. La version anglaise en mono encodé sur deux canaux (Dolby Digital) reste de qualité honorable, bien que certains dialogues semblent parfois hachés.
L'abominable bête des bonus rôde également sur la galette ! Car THE BEAST OF HOLLOW MOUNTAIN est sur le même disque que KING DINOSAUR où le menu permet d'accéder aux deux métrages. Comme pour l'autre disque du coffret (LOST CONTINENT et TWO LOST WORLDS) on retrouve les mêmes films annonces de chez Artus, un diaporama consacré à chacun des films gravés, le tout glissé dans le coffret à quatre films doublé du livret de 12 pages (voir la chronique du DVD de TWO LOST WORLDS pour cela)... Et, également, un court métrage de Willis O'Brien, largement cité ci-dessus.
THE GHOST OF SLUMBER MOUNTAIN (1918) débarque donc ici. Et l'on constate le chemin parcouru entre ses premiers courts métrages (PREHISTORIC POULTRY, THE DINOSAUR AND THE MISSING LINK, ...) et celui-ci. Une narration mieux intégrée, tout comme les humains mais surtout une stop motion déjà bien maîtrisée et à faire pâlir d'envie par moments avec les effets de THE BEAST OF HOLLOW MOUTAIN, notamment sur la poésie se dégageant de l'apparition du brontosaure, la bataille des tricératops (vers la 13ème minute des 16mn04 totale) ou l'apparition du T-Rex à la 14ème minute. Là aussi, un comble. Mais la complétude des travaux de Willis O'Brien et de ceux effectués par Edward Nassour et ses équipes 40 ans après montrent cette volonté de prolonger l'imagination via des moyens quasi artisanaux. C'est bien là l'un des pouvoirs de la série B, de défricher le terrain de l'imagination et d'en repousser les frontières.