John Trent (Sam Neill), ancien détective privé maintenant patient dans un asile, explique à un psychiatre (David Warner) les évènements qui l'ont amené dans ce lieu. Durant une enquête sur la disparition du grand écrivain Sutter Cane (Jurgen Prochnow), il a vu toutes ses certitudes s'écrouler, compris que le monde n'est qu'une illusion contaminée par les écrits de ce romancier, et que lui-même n'est qu'un personnage de fiction. La folie est désormais son seul refuge.
Ce film rend directement hommage à H.P. Lovecraft. Dans FOG, THE THING et PRINCE DES TENEBRES, John Carpenter pointait déjà vers l'univers angoissé et désespérant de cet écrivain hors-norme. Mais cette fois un personnage, Sutter Cane, rappelle sous de nombreux points la figure tutélaire de Lovecraft. Comme dans tout texte "lovecraftien", ceux de Cane (mais également le film) décrivent un monde (le nôtre) hanté par des créatures innommables et indescriptibles. Ces êtres existent depuis la nuit des temps et attendent patiemment de revenir sur terre, et justement, le moment est venu. Comme il se doit, le narrateur se trouve au bord de la folie et raconte un événement passé. Le film reprend exactement les mêmes schémas et les mêmes thèmes, ce qui en fait quasiment une adaptation.
Mais si John Carpenter s'inspire de cet écrivain majeur, c'est pour mieux triturer le genre fantastique afin de le ramener à son essence principale, la peur. La peur liée à la mort, à l'inconnu, aux questionnements métaphysiques. Quasiment au même moment, Wes Craven avec FREDDY SORT DE LA NUIT se questionne sur le devenir du cinéma fantastique mais avec beaucoup moins de pertinence. Contrairement à lui, Carpenter a appréhendé l'évolution du public devenant de plus en plus cynique et blasé par le cinéma d'horreur. Ce qui fait que ce type de spectateur s'identifie beaucoup plus que d'autres à John Trent, personnage cynique par excellence qui ne croit que ce qu'il voit. Les seuls moments où il peut respirer restent certains passages humoristiques. Un conseil, montrez L'ANTRE DE LA FOLIE à toutes les personnes sevrées aux néo-slashers insipides ou à celles prenant de haut tout film fantastique ; après visionnage ils respecteront un peu plus ce genre majeur et finiront dans le même état que John Trent (j'exagère un peu). Mais bon, ce film s'adresse avant tout, quand même, à tout cinéphile qui se respecte.
Tout en s'inspirant de l'univers de Lovecraft, Carpenter réfléchit sur le genre fantastique afin de trouver de nouvelles voies. Tout au long de sa carrière il n'a de cesse de créer de nouvelles icônes du fantastique (Michael Myers, Snake Plissken principalement), de reprendre certains thèmes principaux du genre, comme l'invasion extraterrestre et les vampires, afin de les moderniser, ou bien de réaliser des remakes de grands classiques avec la même optique de renouvellement. Tout ceci afin d'appréhender le fantastiques de manière différente. C'est dans cette recherche perpétuelle que se situe, peut être, la qualité première de John Carpenter, même si le résultat n'est pas toujours à la hauteur - de toute façon, n'importe quelle filmographie de grand réalisateur comporte des films moyens voire médiocres, à l'exception de Charles Laughton avec son unique film LA NUIT DU CHASSEUR. L'ANTRE DE LA FOLIE reste l'œuvre de Carpenter, pour l'instant, qui va plus loin dans cette quête d'innovations et de réflexions sur le fantastique.
Ce film reste l'un des plus personnels de sa carrière alors que paradoxalement il n'en a pas écrit le scénario. Le scénariste, Michael de Luca (l'un des dirigeants de New Line), a pensé cette histoire spécialement pour Carpenter. On retrouve de nombreux thèmes "carpenterien" : le western, le héros solitaire, un mal indicible, la paranoïa etc. Reste à savoir ce qu'a retouché le réalisateur du matériau original, car rappelons qu'il refusa plusieurs fois le scénario avant de l'accepter. En tout cas, il n'était jamais allé aussi loin dans ses interrogations sur la nature du fantastique et sur la représentation de l'horreur, de l'indicible ou même de l'invisible. Contrairement à Lovecraft, il évolue dans un art visuel, tout le problème repose là, comment filmer ce qui ne peut l'être par définition. Montrer ou ne pas montrer reste le dilemme principal du cinéma fantastique. Carpenter sait pertinemment qu'il ne peut revenir à l'époque révolue de Jacques Tourneur (LA FELINE, L'HOMME LEOPARD et RENDEZ-VOUS AVEC LA PEUR principalement) où l'on pouvait situer le mal hors-cadre ou bien l'envelopper dans l'obscurité. Mais en même temps il se refuse à tout montrer, le mal se dissimule souvent dans la nuit (ASSAUT), dans le brouillard (FOG), derrière un miroir (PRINCE DES TENEBRES), ou bien le héros du film ne peut être vu (AVENTURES D'UN HOMME INVISIBLE). Même dans un film comme THE THING où le monstre apparaît de nombreuses fois dans des endroits éclairés (le test sanguin et le massage cardiaque), il reste difficile de véritablement le distinguer, principalement à cause de son caractère protéiforme qui lui permet de devenir un chien, un humain ou bien un mélange de ces deux espèces le rendant ainsi parfaitement indescriptible. Comme les films précités, dans L'ANTRE DE LA FOLIE, Carpenter montre l'élément fantastique du film, mais se permet de le camoufler (sans jamais le faire disparaître complètement) afin de laisser travailler l'imagination du spectateur (pour exemple regardez la scène où Mrs. Pickman se transforme et celle où John Trent emprunte le passage reliant les deux univers). Ainsi Carpenter cherche, de manière plus poussée encore que dans ses films précédents, de nouvelles voies pour le fantastique. Il semble bien qu'il y soit arrivé, mais hélas, personne ne semble l'avoir suivi depuis.
Ces questionnements sur le fantastique amènent comme nombre de films de Carpenter des interrogations sur la perception de la réalité. John Trent se trouve dans l'impossibilité de comprendre le pourquoi de son existence, il comprend juste son statut de personnage de fiction privé de tout libre arbitre. Ne pouvant supporter cet état de fait, il se réfugie dans la folie. John Carpenter explique, de la même manière que Lovecraft, que la condition humaine ne peut être que pitoyable à cause de notre intellect limité, et de notre faible durée de vie face l'immensité du temps et de l'Univers.
A film unique, DVD unique ? Clairement non. A l'exception d'une bande annonce et de filmographies très détaillées, heureusement se trouve un commentaire audio. Le réalisateur est accompagné de son directeur de la photographie Garry B. Kibbe compagnon de route depuis PRINCE DES TENEBRES (à l'exception de AVENTURES D'UN HOMME INVISIBLE auquel il ne participe pas). Les propos des deux compères se concentrent principalement sur l'aspect technique, ce qui reste toujours intéressant vu leur talent dans ce domaine, mais attention, pour cause de zone 1 pas de sous titre. Sinon malgré un menu particulièrement laid, l'image est parfaitement restituée (tout simplement la meilleure d'un film de Carpenter avec celle du zone 2 de LOS ANGELES 2013). Et un 5.1 absolument monstrueux ainsi qu'une excellente stéréo complètent le tout. Vos yeux et vos oreilles seront enchantés, ou plutôt terrifiés.
Dommage tout de même que l'un des films majeurs de la fin du siècle dernier se retrouve avec un seul supplément intéressant, alors que d'autres films du maître sont vendus dans de superbes éditions. Mais bon, il reste toutefois l'œuvre, totalement respectée par les éditeurs, ce qui est tout de même le plus important. Au delà du fantastique (auquel il appartient pleinement) L'ANTRE DE LA FOLIE restera une œuvre majeure du cinéma, d'une incroyable modernité.