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Critique du film
MELANCHOLIA 2011

 

Au centre des attentions durant son mariage, Justine (Kirsten Dunst) ne parvient pas à entrer dans l'euphorie de l'événement malgré les efforts de sa sœur Claire (Charlotte Gainsbourg). Les deux femmes vont voir le sens de leur existence leur filer entre les doigts tandis qu'une planète nommée Melancholia menace d'entrer en collision avec la Terre.

Il y a maintenant deux ans qu'ANTICHRIST, le précédent film de Lars von Trier, avait secoué la croisette avec son histoire ultra agressive de couple se déchirant autour du deuil de leur enfant. Les réactions très vives des premières projections avaient littéralement asphyxié le cinéaste, alors encore fragilisé par une dépression. A la stupeur générale, Lars von Trier avait fini par s'enfuir au milieu de la projection de son film le soir de la montée des marches. Annoncé comme plus accessible, MELANCHOLIA aura pourtant à nouveau crée la polémique. Non pas par le contenu cinématographique du film, mais par les propos tenus par Lars von Trier durant la conférence de presse donnée sur place. En voulant répondre à une question d'un journaliste, le cinéaste s'est embourbé dans des propos grossièrement provocateurs, exprimant sa sympathie pour Hitler et critiquant l'état d'Israël. Assise à ses côtés, l'actrice Kirsten Dunst peine à retenir son malaise. Très médiatisé, cet incident fait réagir immédiatement la direction du festival de Cannes qui décide de bannir sur le champs le metteur en scène. Lars von Trier est désormais «persona non grata» dans un festival qui l'a pourtant soutenu depuis ses débuts. Heureusement, MELANCHOLIA reste en compétition afin de signifier aux cinéphiles que l'on peut encore juger une œuvre indépendamment de son auteur.

Annoncé comme un film de science-fiction ou encore comme un film catastrophe, MELANCHOLIA n'est bien entendu ni l'un ni l'autre. C'est un film d'auteur explorant à nouveau l'épisode dépressif qui a récemment ébranlé Lars von Trier. La planète Melancholia qui menace de balayer la Terre dans un grondement sourd et absolu est la métaphore de la dépossession de l'être qu'expérimentent les malades psychiques. Signe d'une nouvelle maturité, Lars von Trier ne cherche pas ici à renier son propre cinéma, comme à l'époque du dogme qui venait violemment contredire un début de carrière basé sur les tours de force techniques et esthétiques. MELANCHOLIA conserve le rendu visuel expérimenté sur ANTICHRIST tout en creusant sa thématique dépressive, se laisse aller à une mise en scène basée sur une improvisation capturée à l'épaule comme dans BREAKING THE WAVES, et s'autoréférence en empruntant à quelques reprises l'étalonnage monochrome si particulier d'ELEMENT OF CRIME. Réconcilié avec son propre cinéma, Lars von Trier convoque autour de Kirsten Dunst un casting somptueux où les habitués (Charlotte Gainsbourg, Stellan Skarsgard, Udo Kier) se mélangent aux nouvelles recrues (Kiefer Sutherland, John Hurt ou encore Charlotte Rampling).

A l'instar de BLACK SWAN de Darren Aronofsky qui condensait tout le concept du film à venir dans une introduction en plan séquence, MELANCHOLIA débute en résumant ses deux heures en 8 minutes constituée de tableaux aux mouvements ralentis à l'extrême. Sur l'ouverture du «Tristan & Yseult» de Richard Wagner, nous voyons successivement des scènes clef du film sans être capable encore de les interpréter. La stupéfiante beauté des images et la force bouleversante de la musique suffisent à nous immerger dans un monde en fin de règne, au crépuscule de sa disparition tragique. L'explosion de la Terre par la planète Melancholia, dernier tableau avant le carton titre, nous indique d'emblée que les personnages sont déjà mort quand bien même l'histoire n'a pas encore commencée.

La première partie du film est centré sur le personnage de Justine, parfaitement campée par Kirsten Dunst. Nous sommes plongé dans un mariage fastueux, où l'euphorie de la fête est parfois gâché par quelques parents trop sarcastiques. Impossible de ne pas penser au formidable FESTEN de Thomas Vinterberg, premier film a avoir adopté la chartre du «dogme» inventé par Lars von Trier. Mais dans cette histoire de mariée qui ne veut pas de cette fête, allant jusqu'à vouloir tout gâcher en s'enfermant dans sa chambre ou en couchant avec un invité dans le dos de son mari, on pense aussi à l'expérience cannoise de Lars von Trier durant la présentation d'ANTICHRIST. Justine semble être l'alter ego du cinéaste, lui aussi prisonnier d'une grande célébration vécue comme la mise en scène outrancière de la vacuité. Justine fuit son mariage tout comme Lars von Trier a fui la présentation de son film, de manière inconsidérée et maladive. Superbement réalisé, avec une caméra volage laissant le champ totalement libre aux acteurs tout en soignant le moindre détail photographique, cette première partie est un régal de cinéma saupoudré d'une infinie tristesse.

La deuxième partie s'articule davantage sur le personnage de la sœur de Justine, Claire, interprétée par Charlotte Gainsbourg. Nous sommes projeté quelques temps après ce mariage avorté. Justine s'est tellement enfoncée dans la dépression qu'elle a besoin de la présence de sa sœur pour enjamber la baignoire et prendre un bain. Elément solide et apaisant, Claire souffre cependant d'une angoisse de plus en plus sourde tandis que la planète Melancholia va frôler la Terre. Le risque d'impact est annoncé comme nul. Mais est-ce réellement la vérité ? Plus aride, cette deuxième partie est dévouée à la représentation de la dépression au cinéma. Claire panique, utilise un jouet d'enfant pour apaiser son angoisse, tente de fuir, mais se retrouve inéluctablement acculée à la catastrophe annoncée et l'idée de la mort qui nous est tous promise.

Passé l'ultime plan du film, d'une puissance émotionnelle à couper le souffle, on ressort de l'expérience MELANCHOLIA avec beaucoup de difficulté à formuler et à rationaliser ce que nous venons de ressentir. Il faudra sans aucun doute du temps (et d'autres visionnages) pour digérer ce film somme, que l'on peut aisément considérer comme l'apogée de son metteur en scène. Un film d'excellence, fascinant et épuisant à la fois. Malgré les sinistres déclarations de Lars von Trier, le palmarès du festival de Cannes n'oubliera pas le film en réservant le prix d'interprétation féminine à Kirsten Dunst. Une récompense qui ne réconfortera pas longtemps le metteur en scène qui risque d'essuyer d'autres revers suite à ses provocations. La direction de la chaîne franco-allemande Arte, acteur financier très actif sur la majorité des films du cinéaste, vient d'annoncer ne plus vouloir collaborer avec ce dernier.

Rédacteur : Eric Dinkian
Photo Eric Dinkian
Monteur professionnel pour la télévision et le cinéma, Eric Dinkian enseigne en parallèle le montage en écoles. Il est auteur-réalisateur de trois courts-métrages remarqués dans les festivals internationaux (Kaojikara, Precut Girl et Yukiko) et prépare actuellement son premier long-métrage. Il collabore à DeVilDead depuis 2003.
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