Un étudiant en cinéma décide de consacrer son film à un autre jeune homme, actuellement en recherche d'emploi. Bien que vague et a priori anodine, cette idée va rapidement aboutir à quelque chose de plus hors normes, de plus douteux. Car en réalité, Eric Nahon, l'homme filmé, a pour ambition de devenir lui-même réalisateur. Son domaine ? La pornographie. Nahon souhaite en effet mettre en boite un monument du genre et fait rapidement état de ses grandes ambitions. Mais au fur et à mesure que le projet avance, c'est avant tout l'instabilité émotionnelle du bonhomme qui refait surface...
Etudiant en cinéma à l'EICAR de 99 à 2002, Maxime Kermagoret apprend la réalisation et, après de nombreux courts-métrages, décide de se lancer dans la conception d'un long. Ce sera DESTRUCTION MASSIVE, un film auto-produit, tourné en DV et finalisé en 2004. En 2006, la copie sera revue, corrigée, complétée et malheureusement délaissée à nouveau durant quelques années. Il faudra donc attendre juin 2010 pour que Maxime Kermagoret achève enfin le double DVD gorgé de suppléments qu'il avait envisagés pour son film. C'est cette «édition» que nous avons eu entre les mains et que nous chroniquons via ces quelques lignes. L'objectif n'est pas ici de juger techniquement les disques, lesquels ne disposent par exemple pas de menus, mais bien d'évoquer l'œuvre et le travail éditorial abattu par le jeune réalisateur…
Commençons tout d'abord en précisant que le film n'est pas forcément accessible à tous en raison de son propos régulièrement cru et fleuri, mais également et surtout, de certaines images peu ragoûtantes. Bien que très marginales et brèves, voire subliminales, ces quelques séquences peuvent en effet relever de la pornographie, ou de la scatophilie. Ce sera le cas par exemple du générique d'introduction dans sa version «Director's Cut», franchement direct et peu engageant. Fort heureusement, passés ces quelques shots, nous opérons un retour à la normale avec une présentation d'Eric Nahon, l'anti-héros du métrage. Maxime Kermagoret rassure alors et démontre qu'il n'a pas comme unique but d'aligner les séquences «choc». Son flashback usant d'un cadre dans le cadre est plus que convaincant. L'utilisation de la voix-off, procédé souvent scabreux, est ici parfaitement maîtrisée et garde un ton neutre, documentaire, tout à fait adapté.
Les présentations faites, nous basculons rapidement dans l'univers du film, celui d'Eric Nahon et celui de Maxime Kermagoret. Difficile alors de ne pas rapprocher DESTRUCTION MASSIVE du C'EST ARRIVÉ PRÉS DE CHEZ VOUS de Rémy Belvaux, André Bonzel et Benoît Poelvoorde. Nous retrouvons là le concept du film dans le film, le choix du noir et blanc ainsi qu'un protagoniste socialement décalé, à l'évidence inadapté au monde qui l'entoure. S'arrêter à ce simple constat serait cependant très réducteur car les ambitions ne sont à l'évidence pas les mêmes. Point d'humour noir ici, pas plus que de grandes tirades balancées au spectateur. Nahon est un personnage stressé, impulsif, perpétuellement dans le mouvement et doté d'ambitions aussi démesurées que décalées. Cette hargne à peine contenue contrebalance avec une certaine justesse la manière qu'a le réalisateur de filmer. En effet, Maxime Kermagoret use en très grande majorité du plan séquence, fixe ou en mouvement. Encore une fois, il s'agit là d'un choix artistique difficile, audacieux et sans aucun doute éprouvant pour les acteurs.
De ce choix découlent bien évidemment deux ou trois imperfections. Quelques dialogues sonnent par exemple moins justes que d'autres, mais finissent heureusement par se noyer dans les dix minutes que peuvent durer certaines scènes. D'autres séquences apparaissent à l'évidence trop longues et nous pensons ici en particulier à l'apprentissage de la guitare... Mais au-delà de ces quelques points, force est de constater que DESTRUCTION MASSIVE et ses choix fondateurs nous délivrent quelques séquences d'une efficacité rare. Nous pensons là au Casting, qui voit défiler quelques individus face à la caméra. Les personnages apprennent un à un qu'on ne leur propose non pas un film «classique» mais bel et bien une prestation d'ordre pornographique. Les réactions sont alors variées mais étonnamment justes, spontanées. Rage, colère, mépris prennent clairement vie par le biais d'acteurs convaincus et convaincants. Le couple, en particulier, se montre réellement bien vu et nous saluerons donc les compositions franchement amusantes de Mathieu Merrien en jeune homme protectionniste, et de sa compagne "open" !
Plus tard dans le film, nous assisterons logiquement au premier jour de tournage du porno élitiste tel que pensé par Nahon. Egalement filmée en plan séquence, cette longue scène est là encore une belle réussite, aussi drôle que dégénérée, parfaitement révélatrice du caractère emporté du protagoniste. Valérie Robic, alors enceinte, y apparaît comme très juste, tentant d'absorber les humeurs de son conjoint hystérique. Pendant presque un quart d'heure, le film tend davantage encore à amoindrir la barrière entre fiction et réalité. Les acteurs semblent aussi amusés qu'affligés par Nahon (habité par un Mathieu Vicente gueulard et vulgaire) et il devient difficile de faire le distinguo entre mise en scène et improvisation. Maxime Kermagoret semble se jouer des travers de son personnage, mais aussi de ceux de certains réalisateurs. La direction d'acteur est au cœur du problème de Nahon alors qu'elle est justement l'un des points forts de DESTRUCTION MASSIVE...
Sans surprise, le métrage ira par la suite crescendo, menant son protagoniste jusqu'à la destruction du titre. Eric Nahon perd peu à peu son humanité, ou laisse plutôt filtrer l'inhumanité qui était en lui. Le bonhomme est enragé, incontrôlable et le film prend sur la fin des allures de hurlement. En cela, DESTRUCTION MASSIVE est semblable à l'exutoire d'une colère incontrôlable. Celle du réalisateur ? Possible mais si tel est le cas, nous doutons fort qu'un film à l'évidence réfléchi ait pu répondre à ce besoin d'exprimer sa rage ! Quoi qu'il en soit et malgré une durée excédant les deux heures, le métrage de Maxime Kermagoret passe de manière globalement fluide. Les conditions de tournage «amateur» s'oublient assez rapidement au profit de séquences bien foutues et de prestations d'acteurs notables.
Bien que DESTRUCTION MASSIVE n'ait pas, de par son sujet et sa forme, de véritable potentiel commercial, cela n'a pas empêché Maxime Kermagoret, grand amoureux de l'ère Laserdisc, de concevoir de nombreux suppléments. C'est bien simple, les deux galettes qui nous ont été confiées sont bourrées jusqu'à l'extrême limite, jusqu'au dernier octet d'espace libre ! Reconnaissons cependant que certains suppléments ne sont pas d'un grand intérêt et que si l'on comprend l'envie de tout rassembler sur une «édition ultime», l'amateur de bonus lui-même en zappera certains. Bien évidemment, ce n'est pas notre cas même si la tentation fut grande durant la compilation des 52 minutes constituant le «Best-Of» de scènes alternatives du film. Outre l'intérêt parfois discutable de certaines séquences, le fait d'en reprendre ici une telle quantité nous semble assez exagéré. Dans le même ordre d'idée, les bandes annonces des courts de Maxime Kermagoret sont proposés dans une qualité si approximative qu'on aurait pu là encore s'en passer...
Fort heureusement, d'autres suppléments se montrent largement plus pertinents. Commençons tout d'abord par l'excellente interview de Mathieu Vicente qui porte sur son personnage un regard particulièrement intéressant. Le jeune acteur cite Tony Montana (Al Pacino dans SCARFACE) et Jake La Motta (Robert De Niro dans RAGING BULL) comme deux sources d'inspiration et nous reconnaîtrons qu'il y a effectivement de cela dans la violence et la vulgarité de son interprétation… Bien qu'intéressante, cette intervention semble cependant un peu vaine puisque globalement reprise dans une version au format audio, plus complète, dans la section DVD-ROM. Sur une durée totale de vingt deux minutes environ, nous pourrons donc réécouter Mathieu Vicente évoquer l'ensemble du développement du projet. Le propos n'ennuie jamais et se montre même très inspiré, car structuré et très représentatif de ce que peut être un tournage «amateur». Cette interview est découpée en sept segments (sept fichiers MP3) et chacun d'eux mérite l'écoute. Mention spéciale à l'anecdote, plutôt cocasse !
Toujours dans la section DVD-Rom, vos oreilles pourront être sollicitées par l'écoute de la bande originale, proposée au format AIFF. Un format que tout le monde ne pourra pas lire «simplement» puisque développé par Apple par opposition au WAV de MicroSoft. La volonté est, nous l'imaginons, d'offrir la qualité d'écoute optimale du PCM non compressé, ce qui sera le cas. Notons que le crédit des pistes sonores est joint au format texte. Louable.
Poursuivons dans la section dédiée aux ordinateurs avec un répertoire intitulé «Archives». On y trouve des scans de notes, de plannings, le descriptif des personnages tels que brossés par l'auteur et le séquencier du film. Un supplément assez peu commun qui intéressera toutefois les plus curieux. Ceux-ci pourront également compulser la filmographie de Maxime Kermagoret, toujours au format texte, et sa note d'intentions, s'étalant sur quatre pages dignes d'intérêt.
Mais revenons aux suppléments plus «classiques», lisibles sur les lecteurs de salon. Les scènes coupées ne revêtent que peu d'intérêt et il en va de même pour les deux minutes de la scène en couleur. La raison est relativement simple : Des séquences en couleur, nous en trouverons un bon nombre dans les séquences non-retenues ! Reconnaissons que cela permet tout de même de jauger de l'apport du noir et blanc, il est vrai assez salvateur pour le rendu global de l'oeuvre. Le making-of de la séquence finale, s'étalant sur environ dix sept minutes mérite pour sa part d'être regardé. Il fleure bon l'authenticité et la prise sur le vif, et se montre assez révélateur de l'ambiance de tournage. On constatera qu'une bonne part de la préparation se fait juste avant la mise en boite, en fonction de la topographie des lieux et des ustensiles à disposition. Outre cela, c'est l'occasion de faire connaissance avec le réalisateur, comme nous le ferons avec les deux acteurs principaux via le supplément suivant qui leur est entièrement consacré. Il s'agit donc de vingt minutes de séquences tests, durant lesquelles Valérie Robic et Mathieu Vicente font leur gammes et se glissent dans la peau de leur personnage...
Terminons le tour de cette «édition» en précisant que malgré son extraordinaire densité, elle n'est pas encore tout à fait complète. En effet, Maxime Kermagoret détient encore bon nombre d'anecdotes et d'informations qui n'ont pu trouver place dans les suppléments de cette édition. Des clins d'œil, des choix de mise en scène, des détails techniques et autres qui pourraient, à notre sens, faire l'objet d'un commentaire audio passionnant et élitiste. Encore un peu de boulot donc, peut-être également un poil d'élagage comme nous l'avons dit, et ce double disque pourrait sans doute devenir un objet de convoitise pour les cinéphiles amateurs de métrage «hors circuits».