Fort d'un statut de film oublié depuis presque trente ans, SI J'AVAIS 1000 ANS se nimbe d'une aura quelque peu mystérieuse (ça tombe bien, c'est un film fantastique) et brumeuse (ça tombe bien, ça se passe en Bretagne). Mais tant de mystère et de brume, cela rend bien évidemment difficile la tâche d'en résumer l'intrigue...
Donc bon, en gros (et sauf erreur), voici ce que l'on peut en comprendre :
On a donc une petite île au large des côtes bretonnes, sous le joug d'une terrible malédiction : 1000 ans plus tôt le seigneur du village exigea une fille à sacrifier mais les pêcheurs, pas super chauds quant à la finalité du projet, refusèrent de la lui livrer. Et depuis ce jour, quand vient le froid de novembre («gare à ton membre» disait je-sais-plus-qui), cinq chevaliers hantent l'île et, chaque fois, une jeune femme périt noyée. Guillaume, habitant de l'île mais Irlandais de naissance (et polonais d'accent), ramasse des moules sur la plage quand soudain, il découvre un tonneau. C'est le début d'une enquête qui le fera peu à peu basculer dans la folie.
Bon, la dernière phrase c'est pour intriguer et susciter l'intérêt du lecteur, parce qu'en fait l'enquête (s'il y a vraiment enquête d'ailleurs) contient autant de tension que la scène d'ouverture (Guillaume qui ramasse des moules, donc). On se retrouve face à un film que l'on peut qualifier de «autre» sans aucune hésitation, où l'on voit une gamine réciter un poème breton, Dominique Pinon préparer une tarte aux pommes et Jean Bouise proposer des pastilles rafraîchissantes dans une taverne à trois heures du mat'. Mais, de par son statut de film fantastique breton, SI J'AVAIS 1000 ANS, c'est avant tout un témoignage sincère de la vie rurale, le quotidien difficile d'où émerge l'horreur. Et pour vous, pauvres citadins ignorants, voilà la vie de la campagne : une cabine téléphonique pour le village tout entier, un café surpeuplé, quatre femmes (dont une gamine et une vieille), une topographie incertaine et mouvante (où la fenêtre donne sur, successivement, la ruelle en pente et la plage), des moutons, plein de vieux, des pétrolettes et une infirmière en 2CV. Mais surtout, surtout, une mémoire on ne peut plus sélective. Et c'est là le gros défaut du scénario : à aucun moment les villageois ne font le lien entre ce qu'il se passe et la légende des chevaliers fantômes. Pourtant ils n'ont jamais quitté leurs terres, et jamais, jamais, ils ne se disent que la gonzesse qu'ils retrouvent à un moment correspond à la photo d'une meuf accrochée à une pierre tombale, décédée 25 ans plus tôt, affaire bien connue puisqu'il suffit qu'un des acteurs du drame se pointe pour qu'en trente secondes tout le monde en parle. Troublant, mais ce n'est rien comparé à la légende/malédiction/histoire pour s'endormir (on ne sait jamais vraiment) qui, elle, n'a absolument aucun sens. Au début, le carton d'introduction précise qu'en novembre c'est le bordel (ce qui suggère donc un rythme annuel) et voilà-t-y pas qu'à la quasi fin on nous dit que ça arrive tous les 25 ans. Pire encore : Elle est où la nana qui doit se noyer cette année ? Hein ? Les chevaliers sont-ils revenus pour choper quelqu'un qu'ils ont DEJA tué, et un quart de siècle plus tôt en plus ?
Bref, ça n'a strictement aucun sens, et ce serait très énervant si cela n'ajoutait pas au film une petite tonalité presque lynchienne, qui est pour beaucoup dans le plaisir que l'on peut prendre à regarder ce... truc.
Parce qu'il ne faut pas se leurrer. Face à la qualité plus que discutable du métrage, SI J'AVAIS 1000 ANS (faudrait aussi une explication du titre tiens) se regarde comme une hallucination, comme une expérience, à vous décoller la rétine par son ambiance poisseuse et naturelle (si on en croit les bonus), ses deux-trois plans léchés (une femme sur une plage, une famille dans le brouillard, y a pas, c'est super joli) et son interprétation mi-pro, mi-amateur, un brin surréaliste. Et il n'y a pas que les yeux, il y a aussi les oreilles. Et là, mes amis, c'est un festival : Alan Stivell à la musique, déjà y a respect. Oui, mais Alan Stivell qui a trop vu les films de Lucio Fulci, ça n'a pas de prix. Et ces dialogues ! Entre «S'il respire c'est qu'il est vivant» et «Que nous reste-il ? – La mémoire, la mémoire !», l'amateur de belles phrases défaillira tant la scénariste-réalisatrice Monique Enckell l'a gâté.
SI J'AVAIS 1000 ANS est donc un film raté de bout en bout mais qui n'énerve et ne lasse jamais. Son contenu hautement improbable, son histoire et son interprétation d'un autre monde, en font un objet étrange et charmant qui, s'il ne mérite clairement pas une vision régulière et répétée, vaut quand même qu'on y jette un œil, ne serait-ce que pour lui rendre justice. Après tout, c'est un film, il fait partie de l'histoire du cinéma et si le résultat est très, très loin d'être probant, l'intention, elle, est sincère et le spectateur n'est jamais pris de haut. Rien que pour ça, merci Monique Enckell.
Côté technique et DVD, Artus Films a fait les choses sobrement mais efficacement. On passera très rapidement sur le master à peine regardable, rippé d'une vieille VHS pourrie en mono pour se concentrer sur la section bonus. L'éditeur nous propose un entretien exclusif de près d'une demi-heure avec Monique Enckell qui revient sur la genèse du projet, visiblement très émue que son film sorte en DVD et qu'il ait la chance, enfin, de trouver un public. Et comme on la comprend au vue des diverses péripéties qu'elle a traversé, des problèmes de production à l'accident de l'acteur principal qui recula la suite du tournage de presque un an, en passant par les énormes soucis financiers qui ont conduit le film dans un placard pendant toutes ces années. Un module fort sympathique, à la fois informatif et touchant, sans langue de bois. Suit un diaporama commenté par la réalisatrice plus anecdotique mais qui pourra intéresser les amateurs de photos de tournage. Vient ensuite le court-métrage «ALLER-RETOUR». Une petite coquetterie de treize minutes très imprégnée du cinéma de Jacques Tati où Rufus campe un provincial s'installant à Paris et en subit le décalage attendu. Encore une fois, le bonus est sympathique et léger, se suit avec plaisir mais prouve que la réalisatrice est bien plus à l'aise dans ce type de récit plutôt que dans la légende bretonne qui veut foutre les jetons. Enfin, pas moins de huit bandes-annonces présentant les nouveautés d'Artus Film, non sous-titrées malheureusement, clôturent cette section Suppléments, qui surprend par son intérêt et contribue à nous rendre le long-métrage encore plus attachant.