"- Salut, c'est Arioch. Ca te branche une projo ?
- Ouais, c'est quoi ?
- Ca s'appelle BOOGIE.
- Ah.
- Ouais, c'est argentin.
- Oh.
- C'est un dessin animé.
- Euh...
- Et c'est en 3D.
- ...
- Y a du cul et du sang.
- Vendu !"
Totalement inconnu chez nous, BOOGIE est avant tout une BD argentine de Roberto "El Negro" Fontanarrosa, ultra-violente, drôlatique et destroy. On pense beaucoup à un croisement entre SIN CITY (pour le cadre urbain et le personnage-titre), Fluide Glacial (pour l'humour caustique bien débile) et Métal Hurlant (pour cet esprit provocateur typique, acide comme il faut). Evidemment, partant de ce postulat, il fallait que le personnage soit à la hauteur. Heureusement, il l'est.
Boogie le Visqueux, c'est un peu le mec de toutes les guerres. Il les a toutes faites, elles se sont toutes terminées à un moment, il les regrette toutes aujourd'hui. Meilleur tueur de la ville, il ne s'embarrasse pas de principes ou d'éthique, la seule loi faisant foi étant celle de l'argent. Phallocrate comme c'est pas permis, sadique et violent, il est craint par tous les gangs, par la police, par la petite vieille qui traverse la rue. Bref, Boogie, faut pas lui baver sur les rouleaux. Alors quand le caïd Sonny Calabria fait appel à un autre tueur, Blackburn, pour éliminer un témoin gênant (et lui ayant refusé le boulot parce qu'il demandait trop d'argent), Boogie se met en tête de kidnapper la cible et de la séquestrer, histoire de prouver qu'il reste le meilleur. Et dans cette croisade, il trouvera du cul (un peu) et du sang (beaucoup).
Forcément, un héros comme ça appelle un film "autre", chaotique, soutenu, efficace. Manque de bol, l'essai n'est qu'à moitié transformé. On part d'un synopsis de film noir des années 40 avec tous ses incontournables (la moiteur de la ville, le héros renfrogné, la femme fatale) on le détourne bien comme il faut (la ville est le paradis du héros, il est très heureux comme ça, la femme fatale est une ancienne obèse qu'il savate régulièrement) et on obtient un matériau intéressant, malheureusement plombé par un concours de punchlines qui devient rapidement lourdingue tant les dialogues en deviennent ampoulés. Mais les personnages sont intéressants, bien que clichés au possible (Blackburn est un psychopathe, le caïd mange forcément des pâtes avec un accent italien à couper au couteau), ce qui fait que l'on suit avec un certain plaisir leurs péripéties et il faut attendre la seconde moitié du film pour constater une réelle baisse de rythme, où le scénario et les personnages s'embourbent dans le remplissage, l'inintéressant, avant de repartir du feu de dieu pour un final dantesque et particulièrement jouissif. Pourtant le ton décalé et satyrique voulu par Gustavo Cova, le réalisateur, ne prend jamais vraiment, la faute à un scénario beaucoup trop timide pour y aller franchement. En définitive, si Boogie dégomme femmes, enfants et vieillards, le film reste inoffensif de bout en bout, si l'on excepte la critique des médias plutôt bien sentie mais malheureusement bien trop appuyée pour faire mouche. Dommage, il y avait là tout le nécessaire pour livrer un véritable brûlot contre la société actuelle, la corruption, le libéralisme, la misère sociale, bref tout ce qui passe. Mais non, Cova reste à la limite de la pantalonnade et se perd régulièrement dans ses accès de violence graphique qui, si ils sont drôles et bien amenés, souffrent du même problème que la boucherie de JOHN RAMBO : trop cartoon, too much, ils perdent leur sens, leur nature à déranger.
Mais le principal problème du film se situe dans sa réalisation. L'intégration des éléments 2D (les personnages) dans un environnement 3D ne fonctionne pas toujours. La caméra de Cova bougeant régulièrement dans tous les sens, le confort du spectateur en pâtit grandement, ça pique les yeux, on n'arrive plus à lire l'image, bref on ne comprend rien à ce qui se passe. Par contre, dès qu'il y a un plan fixe, la magie du cinéma fait une fois de plus des merveilles, 2D et 3D se mariant à la perfection, l'immersion est garantie. Un point faible bien gênant, qui enlève une bonne partie du plaisir que l'on peut prendre en regardant BOOGIE, car, malgré ses défauts, il n'en reste pas moins très sympathique, efficace et suffisamment enlevé pour nous faire passer un bon moment. Mais on ne peut s'empêcher de penser que, fait il y a trente ans, par des mecs de la trempe d'un Liberatore ou d'un Corben, le résultat aurait été prodigieux. Un rendez-vous manqué donc, mais un excellent film du samedi soir, entre un KFC bien gras et une mousse frelatée. Et c'est déjà pas mal.