Header Critique : MEUTE, LA (THE PACK) ERIC DINKIAN

Critique du film
LA MEUTE 2010

THE PACK 

Poursuivie par des bikers, Charlotte (Emilie Duquenne) prend en autostop un certain Max (Benjamin Biolay). Faisant une pause dans un restoroute miteux tenue par La Spack (Yolande Moreau), Max disparaît subitement dans les toilettes. En tentant de le retrouver, Charlotte est faîtes prisonnière par la tenancière des lieux qui la destine à servir d'en-cas à des créatures vivants sous la terre.

On vous avait déjà parlé de LA MEUTE à l'occasion de sa présentation au Festival de Cannes de 2010. Le texte que nous vous proposions dévoilait une critique négative du film, le présentant comme un nouvel échec du cinéma de genre made in France. Pourtant, ce premier film signé Franck Richard mérite un second avis tant LA MEUTE est une proposition singulière dans notre paysage cinématographique. Une proposition que l'on a du mal à rattacher à cette famille de films de genre français (comme FRONTIERE(S), VERTIGE, MUTANTS ou encore LA HORDE) dont le but avoué n'était que de transposer le modèle américain dans le décorum hexagonal. Contrairement à ces derniers, LA MEUTE n'a pas pour ambition de suivre un modèle ou d'aligner les références. Au contraire. Le film est une véritable tentative de création d'univers, d'ambiance, où le fantastique pourrait s'insérer naturellement dans une scénographie qui n'a pas honte de ses origines et les assume pleinement.

Comme le souligne notre premier avis, LA MEUTE a des défauts. Sa limite se situe dans son scénario, intéressant mais pas atteint sa maturité, il aurait pu être plus travaillé. On sent clairement à la vision du film que ce dernier a été produit trop vite, que les quelques mois supplémentaires d'écriture indispensables à un scénario solide et bien fini n'ont pas été honoré. En résulte une ligne narrative chaotique, avec des séquences tirant parfois en longueurs tandis que d'autres (comme la scène de torture de Charlotte où l'on va prélever massivement son sang) arrive comme un cheveu sur la soupe. Certains personnages changent brutalement d'attitude tandis que d'autres apparaissent et disparaissent du film comme des courants d'air. Le scénario accumule donc les trous et les cabossages, générant un manque de fluidité qui empêche LA MEUTE de prétendre au titre de la grande réussite de genre à la française qu'il aurait pu pourtant briguer.

Car, hormis les problèmes narratifs, LA MEUTE est un film étonnant et soufflant les tons antinomiques pour créer une formule de cohérence qui tient du miracle. Grâce à sa superbe photographie et sa mise en scène très soignée, la campagne francophone devient un espace de néo-western à la MAD MAX version déglinguée. Et c'est à l'intérieur de ce cadre, à la fois familier et alternatif, que l'un des casting les plus étonnant du cinéma français va évoluer. La réussite de LA MEUTE tient beaucoup dans la réunion de ces quatre acteurs principaux, alliance improbable de quatre figures pourtant très identifiables de leur milieu respectifs : Yolande Moreau (symbole de l'humour décalé typique du cinéma belge), Emilie Duquenne (associée au cinéma d'auteur depuis son prix d'interprétation à Cannes chez les frères Dardenne), Philippe Nahon (coqueluche malgré lui du film de genre à la française) et enfin Benjamin Biolay (pilier du dandysme parisien) ici dans son premier rôle au cinéma.

Servi par ce casting de luxe parfaitement au service du film, Franck Richard se permet de jouer l'ouverture cross-genre. LA MEUTE est un film surréaliste avec ses goules sortant lentement de terre. C'est un film d'horreur où les membres sont arrachés et consommés sous une pluie battante au détour d'images iconiques. C'est un film comique avec ses dialogues emplis de gouaille et de vulgarité «recherchée» et érigée en bons mots. C'est aussi et surtout un film d'ambiance où la nature caverneuse des terrils devient peu à peu le personnage principal sous l'impulsion de la formidable musique de Chris Spencer (du groupe Unsane) et de Ari Benjamin Meyers (du groupe Einstürzende Neubaten). Alors que l'on rit franchement devant une Yolande Moreau armée d'un fusil menaçant des bikers grotesques de «repeindre son lino avec le jus de leurs couilles», on est l'instant d'après subjugué par la beauté vénéneuse des goules s'extirpant d'une terre grise et désolée sous la lumière blafarde de la pleine lune. Franck Richard fait le pari d'un fantastique posé et lancinant, à mille lieux de la mode actuelle de la «shaky-cam» ou encore du torture porn graisseux. La fin du film ose même perdre son spectateur dans une succession de scénettes mentales où la limite entre la réalité et l'onirique s'estompe au fil de la tentative désespérée de l'héroïne de survivre à l'ultime assaut des créatures.

Pour apprécier comme il se doit LA MEUTE, il ne faut donc pas chercher à se focaliser uniquement sur les monstres, ou sur le côté horreur, ou même seulement sur l'humour. Le film tire son intérêt de sa mixité. Les amateurs purs et durs de film de genre ne sont donc peut-être pas les mieux placés pour juger ce film atypique, frustrés de constaté que l'élément fantastique ne suffit pas au métrage. En jouant le rôle de l'ouverture, en proposant le contre-emploi à des figures bien connues du cinéma français, en faisant le pari d'un regard personnel faisant fi des modes actuelles, LA MEUTE se pose comme un premier film extrêmement intéressant dont les sons et les images nous hante après vision. Souhaitons à Franck Richard un scénario plus charpenté pour son prochain film, afin que nous puissions défendre sans modération son statut très prometteur de jeune talent.

Rédacteur : Eric Dinkian
Photo Eric Dinkian
Monteur professionnel pour la télévision et le cinéma, Eric Dinkian enseigne en parallèle le montage en écoles. Il est auteur-réalisateur de trois courts-métrages remarqués dans les festivals internationaux (Kaojikara, Precut Girl et Yukiko) et prépare actuellement son premier long-métrage. Il collabore à DeVilDead depuis 2003.
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