En 1970 et 1971, le jeune Dario Argento lance sa carrière de façon fracassante, en réalisant trois films policiers qui entraînent la mode frénétique du Giallo sur les écrans transalpins. L'OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL et LE CHAT A NEUF QUEUES rencontrent des succès retentissants, tandis qu'arrive un troisième titre du même style en hiver 1971 : QUATRE MOUCHES DE VELOURS GRIS.
Le casting reste international. Le jeune acteur américain Michael Brandon tient la vedette, en compagnie de Mimsy Farmer, révélée deux ans avant par le drame hippie MORE de Barbet Schroeder. Plus étonnant, nous croisons au générique Carlo Pedersoli, alias Bud Spencer, figure déjà populaire du western spaghetti rigolard. Plus surprenant encore, le français Jean-Pierre Marielle, alors second rôle récurrent de la comédie hexagonale, apporte sa collaboration inattendue !
Pour la troisième et dernière fois avant LE SYNDROME DE STENDHAL, Argento confie la musique de son film à Ennio Morricone. Mais c'est aussi la première fois qu'il travaille avec un jeune passionné de science-fiction nommé Luigi Cozzi (ici en tant que scénariste), appelé à devenir un de ses collaborateurs réguliers et un réalisateur au service du cinéma populaire italien.
Roberto Tobias, batteur dans un groupe de rock, se rend compte qu'il est suivi par un individu louche. Pour obtenir des explications, il poursuit l'inconnu dans un théâtre et l'y poignarde par accident. Un personnage masqué a photographié la scène. Roberto est par la suite harcelé : un inconnu s'introduit dans sa maison et y laisse des messages inquiétants. La situation devient tragique lorsqu'un maniaque assassine la domestique de Roberto dans un parc public...
A nouveau, comme dans L'OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL, la résolution de QUATRE MOUCHES DE VELOURS GRIS ainsi que le développement de son intrigue dépendent de la compréhension d'une scène clé située au début du métrage. Ici, il s'agit du meurtre accidentel commis par Roberto et photographié par une mystérieuse silhouette masquée. Ce que Roberto pense avoir vu, ce que le spectateur croit avoir vu, s'avère en partie trompeur et biaisé. Si dans L'OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL, la mauvaise lecture de la scène s'avère accidentelle, elle est ici le fruit d'une manipulation délibérée, d'une mise en scène orchestrée dans le but de tromper la victime d'un complot.
Manipulation et persécution vont donc main dans la main pour le héros et son bourreau. Quelle est la part de réalité du complot dont Roberto se croit victime ? Ne se laisse-t-il pas déborder par sa paranoïa quand il s'en prend à un inoffensif facteur qu'il confond avec un malfaiteur ? Tout cela fait de QUATRE MOUCHES DE VELOURS GRIS le métrage d'Argento le plus orienté vers l'étude de la paranoïa.
Si l'image perçue par l'œil est trompeuse, il faut voir au-delà du visible pour trouver la vérité. Parfois en recourant à des moyens technologiques permettant de la décomposer, comme le ralenti par exemple, exploité avec virtuosité au cours d'un spectaculaire accident de voiture ou lorsqu'une balle tirée par un revolver est captée par filmage à très haute vitesse.
Mais aussi au moyen d'un scan rétinien permettant de reconstituer la dernière image perçue par un défunt lors de son dernier soupir. Cette «technologie» qu'emploient ici les enquêteurs repose sur une ancienne croyance de la criminologie, datant des débuts de la photographie, et qui n'a jamais été avérée. Argento n'est pas novice dans l'emploi de telles théories fumeuses : dans LE CHAT A NEUF QUEUES, nous trouvons l'idée selon laquelle les tueurs psychopathes sont reconnaissables à un arrangement particulier de leur génome.
Si la science et la technologie permettent de voir au-delà des mensonges du visible, il en est de même pour des sciences plus occultes. Argento introduit un soupçon de fantastique dans son univers avec la présence d'un rêve récurrent et prémonitoire. Les facultés extrasensorielles seront mise en avant de manière encore plus flagrante dans LES FRISSONS DE L'ANGOISSE, qui marque le basculement de Dario Argento vers le fantastique pur.
Entre paranoïa et horreur, QUATRE MOUCHES DE VELOURS GRIS paraît donc un métrage bien sombre. Mais il est aussi le film de son metteur en scène qui se permet les incartades les plus comiques, au gré de l'apparition d'un Bud Spencer en vagabond philosophe et surtout de Jean-Pierre Marielle en détective privé homosexuel maniéré, dont les méthodes et les intuitions s'avèreront efficaces. Ces moments légers ne sont pas forcément ratés, mais ils se montrent en porte-à-faux avec le reste d'un métrage très orienté vers les névroses et une ambiance nocturne tourmentée.
Le style cinématographique est quant à lui excessivement soigné et inventif. Les cadrages les plus audacieux, les découpages les plus risqués, Dario Argento les décline avec une assurance impressionnante, marquant ainsi QUATRE MOUCHES DE VELOURS GRIS de sa très forte personnalité. L'architecture de la ville dans laquelle se déroule l'intrigue crée une atmosphère particulière, en contraste avec l'appartement contemporain de Roberto Tobias. Un lieu anodin comme un parc devient inquiétant quand les buissons s'agitent mystérieusement et les haies forment un labyrinthe effrayant. Pour la première fois, mais pas pour la dernière, Argento emploie le décor d'un théâtre, lieu permettant au réalisateur de jouer avec virtuosité de l'idée de mise en scène (celle mise en place par le mystérieux ennemi de Roberto) dans la mise en scène (celle de Dario Argento)
Malgré de grandes qualités artistiques, QUATRE MOUCHES DE VELOURS GRIS peine à se montrer à la hauteur des meilleurs Giallo de son auteur. Argento reconnaîtra plus tard que la réalisation de trois films en deux ans a été un rythme excessif. L'essoufflement de son inspiration est perceptible, tout du moins en ce qui concerne son scénario policier souffrant de quelques incohérences flagrantes et de facilités, telle cette façon artificielle et balourde de créer quelques suspects supplémentaires. Enfin, le personnage de Roberto Tobias nous est présenté comme agressif et buté, voire machiste, ce qui ne le rend pas attachant ou sympathique.
Restent évidemment, une grande qualité de mise en scène, une ambiance très réussie, ainsi que des séquences tout à fait mémorables, qui font de ce QUATRE MOUCHES DE VELOURS GRIS une semi-réussite, ou un semi-échec selon la moitié du verre d'eau vers laquelle le spectateur voudra bien pencher.
Le film ne connaîtra pas un succès commercial égal à celui de ses deux prédécesseurs, et, alors que la mode Giallo commence petit à petit à se tarir en terme de quantité, Dario Argento s'offre l'année suivante une pause télévisuelle avec la série à suspense «LA PORTA SUL BUIO» qu'il produit et dont il réalise deux épisodes. S'en suit la comédie historique CINQ JOURS DE REVOLUTION avant qu'il ne renoue avec le giallo cinématographique, en 1975, avec LES FRISSONS DE L'ANGOISSE.
En DVD, QUATRE MOUCHES DE VELOURS GRIS se fera longtemps désirer. Malgré des campagnes insistantes auprès de Paramount (théoriquement détenteur des droits de distribution aux USA), il faudra attendre début 2009 pour voir enfin arriver, chez Mya Communications, un vrai DVD officiel, conçu de manière professionnelle. Et encore, cette sortie donne lieu à une entourloupe judiciaire, la famille Argento l'ayant contestée pour des raisons légales. Malgré cela, le DVD de Mya Communications est toujours en vente dans le commerce traditionnel.
Il s'agit d'un DVD multizone, encodé en en NTSC, qui propose une copie au format d'origine 2.35 16/9 respecté. Théoriquement tirée du négatif original par les laboratoires Technicolor en Italie, cette copie s'avère extrêmement propre. La granulation de l'image, assez abondante, est restituée proprement, avec une définition assez douce qui ne donne jamais l'impression d'avoir été bidouillée numériquement. Il faut aussi noter qu'il s'agit d'une version intégrale du métrage, rajoutant certains passages n'apparaissant pas dans toutes les copies, comme le flashback à l'asile ou des explications supplémentaires dans le dénouement.
Il a été relevé à la sortie de ce DVD que certains plans situés avant et après les changements de bobines ont été raccourcis de quelques secondes, donnant lieu à des transitions parfois abruptes. L'explication donnée par l'éditeur est que ces passages étaient très endommagés. Ce n'est pas la première fois que cela arrive, les détenteurs du DVD TF1 vidéo de LE CHAT A NEUF QUEUES ayant eu l'occasion de comparer avec une vieille VHS française ont pu constater de telles coupures cosmétiques, plus ou moins discrètes.
Côté oreille, nous trouvons la bande son italienne d'origine en mono encodée sur deux canaux, très acceptable. Petit problème : ce disque ne propose pas de sous-titres anglais, ce qui pour une sortie sur le marché américain s'avère tout à fait insatisfaisant ! Nous, les anglophones, devons donc nous rabattre sur la bande-son anglaise, de mauvaise qualité technique, sonnant bouchée, distordue, et aux dialogues parfois difficiles à distinguer. Qui plus est, ce doublage anglais en mono, toujours encodé sur deux canaux, est artistiquement déplorable, les acteurs jouent pour la plupart excessivement faux. Enfin, certains passages du dialogue final ne sont disponibles qu'en italien (heureusement sous-titrés pour ceux-là), ce qui souligne encore plus l'aspect irritant de la situation !
Pour compléter le tout, nous avons une petite sélection de suppléments. Celle-ci commence par une bande annonce italienne en 2.35 [16/9], dénué de dialogues et en excellent état, assez recherchée dans sa mise en forme et incluant des images exclusivement filmées pour la promotion, telle le masque du tueur massacré à coup de hachoir, ou un couteau énucléant une poupée.
Nous trouvons également un Teaser US (1.33 [4/3]) dans un état moyen, déclinaison raccourcie de la bande annonce italienne. Une bande annonce américaine plus longue en (1.66 [4/3]) est également fournie, mais dans une qualité épouvantable, avec une compression digne du pire de YouTube !
Nous trouvons également en 2.35 [16/9] les génériques de début et de fin d'une copie anglophone du métrage, ainsi qu'une sympathique galerie de matériel promotionnel (affiches et photos d'exploitation) venu des USA d'Italie et de France. Bref, nous avons affaire à une interactivité modeste, sans doute trop pour un film de Dario Argento, mais finalement sympathique.
Avouons-le, malgré quelques faiblesses, la plus regrettable étant l'inexcusable absence du sous-titrage anglais, il nous est difficile de faire la fine bouche face à cette sortie tant attendue de QUATRE MOUCHES DE VELOURS GRIS. Ce DVD nous permet de découvrir ce film dans son format respecté et dans une très bonne copie pour l'image, bien éloignée des VHS médiocres et excessivement sombres qui ont longtemps été la seule façon de visionner ce métrage, un brin maudit dans la filmographie de Dario Argento.