James et Catherine forment un couple uni mais blasé par une sexualité
trop commune. Pour pimenter leurs ébats, ils se donnent à
d'autres, font l'amour à la recherche de sensations différentes
qu'ils partagent ensuite pendant leurs étreintes, avec force
de détails. Un accident de voiture va tout précipiter,
donnant une nouvelle dimension à cette quête quasi désespérée
du plaisir. James rencontre le Docteur Remington, dont le mari a péri
lors de la collision. Pendant sa convalescence, celle-ci rencontre Vaughan,
un photographe qui semble vouer un véritable culte aux accidents
de la route.
Tout le monde connaît le tollé général qu'a provoqué la projection de CRASH sur les écrans du Festival de Cannes en 1996, surtout lorsqu'il remporta le prix spécial du Jury. Il aura eu droit aux qualificatifs les plus méprisants. On comprend aisément l'indignation de ceux qui ont découvert ce film sur grand écran : voyeuriste, froid, vide de sens, dénué d'intérêt, pornographique... A première vue.
On peut encore ici féliciter Cronenberg, qui nous fait découvrir à chacune de ses réalisations, un nouveau cinéma, qui force le respect. Sa fascination pour les choses du corps et de l'esprit l'ont tout naturellement conduit à faire CRASH, adapté d'un roman de J. G. Ballard, publié dans les années 70. Enfin, pas si naturellement que ça, puisque lorsque une journaliste lui a envoyé le livre en lui suggérant d'en faire une adaptation, il n'a pas pu le lire tellement il l'avait trouvé choquant. Ce n'est que deux ans plus tard qu'il envisagera d'en faire un film, un peu par hasard, de son propre aveu, et même s'il n'avait aucune idée de la façon de procéder pour mettre en images cette oeuvre si troublante. Mais Cronenberg n'en est pas à ses premiers pas et très vite, le schéma se met en place. Il rencontre l'auteur avant d'écrire le scénario dont J.G. Ballard dira plus tard qu'il est une vision incroyablement réussie de son oeuvre, démarrant là où s'achevait Crash, d'une façon encore plus érotique et excessivement troublante, selon les termes d'une lettre que l'auteur lui adressa après avoir visionné CRASH.
CRASH peut paraître
gratuit, dénué de sens et d'intérêt, hormis
celui de choquer son public. Un visionnage au premier degré est
à exclure. Il faut pour le comprendre, ou en tous cas pour l'accepter,
le considérer comme une réflexion sur le rapport entre
l'Homme et la machine, et plus particulièrement la voiture. Engin
de mort, de puissance, la voiture est devenue un prolongement naturel
de la virilité de nombreux hommes, qui préfèrent
"astiquer" leur mécanique plutôt que leur dulcinée.
L'influence de l'automobile sur nos comportements n'est plus à
démontrer ; elle est devenu un instrument de pouvoir et procure
inconsciemment un plaisir évident lié au sentiment de
domination que l'on ressent au volant. Il n'est pas rare par exemple
de voir de jeunes conducteurs désireux d'affirmer leur identité
conduire dangereusement, comme s'il s'agissait pour eux de prouver qu'ils
sont dignes de respect parce qu'ils risquent leur vie. Ce plaisir, qui
doit stimuler les mêmes glandes et produire des endorphines semblables
à celles que procure le plaisir sexuel, a été traduit,
d'une façon non métaphorique par l'auteur du livre. C'est
sa vision sociale du rôle de la machine qu'il nous livre, une
vision du monde moderne, comme une critique amère sur l'union
contre nature que l'industrialisation et la modernité ont fait
naître.
Les pistons, les cuirs des sièges, les lubrifiants, le levier de vitesse... autant d'objets, de matières, de mécanismes qui ne sont pas sans rappeler des corps qui se mélangent dans une étreinte torride... Et que dire du passage lascif de la peau de chamois humide sur la carrosserie que nombre d'hommes se plaisent à caresser le week-end ? Dans CRASH, la relation fusionnelle avec la voiture n'est pas suggérée, elle est démontrée, retranscrivant avec une grande maîtrise le désir que fait naître le sentiment de toute-puissance que procure un véhicule. Mais la véritable osmose se fait au moment de l'accident, quand les corps sont projetés, écrasés, mutilés par la machine. Au moment du crash, ces êtres désabusés trouvent enfin de quoi remplir leur vide intérieur, réussissant à épancher leur soif d'un bonheur qui leur semble désormais inaccessible. Ballard et Catherine sont à la recherche de ce bonheur, dès le début du film, ils cherchent à se stimuler pour fuir une routine assassine, un ennui qui finit par flétrir les plus grandes passions. C'est grâce à la rencontre de Vaughan qu'ils trouvent une nouvelle voie pour continuer leur quête désespérée : ne serait-ce qu'une minuscule lueur d'espoir de se retrouver dans cette passion qui les a quittés...
Les acteurs choisis par Cronenberg sont remarquables, faisant preuve d'une grande dignité dans des scènes que nombre de bien-pensants peuvent être tentés de qualifier de pornographiques, ou en tous cas d'outrageuses. Ils ont tous parfaitement accepté le script et se sont engagés dans cette production avec un intérêt artistique évident, à des années-lumière d'une quelconque considération commerciale. Ils ont fait ce film comme un voyage initiatique à la limite d'eux-mêmes, avec une pudeur qui les honore. Ce casting étonnant assorti du talent indéniable du réalisateur donne un film dérangeant, comme Cronenberg sait si bien les faire, s'arrangeant toujours pour nous faire réfléchir à ce que nous sommes vraiment, dans un univers que nous croyons maîtriser et apprivoiser, mais qui en réalité nous domine totalement.
Le DVD édité par Studio Canal propose une image moins bien définie que celle du zone 1, dont les couleurs sont mieux étalonnées, donnant un rendu plus froid et plus proche de la photographie d'origine. Cela s'explique peut-être par le fait que CRASH avait déjà fait l'objet d'une édition en 1999 et ressort aujourd'hui dans la collection Kulte. C'est donc le même disque, seuls ont changé la jaquette et le prix du disque, qui est aujourd'hui moins cher que lors de la première sortie. En guise de suppléments, il faudra se contenter d'une bande-annonce et des filmographies des acteurs.