A peine sommes nous remis des suicides répétés de l'héroïne de PRECUT GIRL qu'Eric Dinkian revient déjà avec un troisième court-métrage ! N'allez pas croire cependant que le jeune réalisateur cède à la facilité puisque la réalité est toute autre. YUKIKO est un projet de longue date, ambitieux et mis en chantier suite au bouclage de KAOJIKARA. Réalisé de manière professionnelle et bien évidemment soumis aux contraintes des différents intervenants, la production de YUKIKO a laissé à son réalisateur une fenêtre durant laquelle fut conçu PRECUT GIRL. Impulsif, ce dernier est effectivement et avec le recul sous l'influence de son grand frère. Les deux métrages partagent ainsi des thématiques fondamentales proches et, avec elles, c'est un peu de la personnalité de son auteur qui se matérialise enfin clairement. Eric Dinkian se libère donc peu à peu de ses respectables influences (Shinya Tsukamoto, Mamoru Oshii…) et affine son univers, mettant à nouveau en scène la mort pour mieux nous parler de la Vie.
La vie, YUKIKO va tout d'abord nous la dévoiler de manière organique par le biais de son héros, médecin de profession. L'homme dispense son savoir en donnant des cours et, parallèlement, manie le bistouri avec aisance. Il est la main de Dieu, l'individu capable de maîtriser les rouages de l'être et de dompter la mécanique du corps. Il domine sa vie et celle des autres, par la seule force de sa connaissance. C'est du moins ce qu'il pensait, jusqu'à ce que tout bascule. Et c'est alors qu'un beau jour, alors qu'il est seul, une mystérieuse femme l'agresse en pleine rue et lui assène plusieurs coups de poignards…
Vous l'aurez compris, YUKIKO semble donc épouser la forme d'un film de vengeance dont le héros serait le déclencheur et bien évidemment la victime. Doté d'une narration non linéaire, le film nous plonge du reste très rapidement dans le chaos par le biais d'images de notre toubib subissant les foudres de son assaillante. Durant ses quinze minutes, YUKIKO mettra ainsi en parallèle cette présumée vengeance et l'histoire d'un homme qui, par ses actes et son mode de pensée, appellera son dramatique destin. Habile dans sa structure, le film se montre ainsi particulièrement dynamique et nous brosse avec fluidité le portrait d'un homme profondément humain, jusque dans sa faiblesse. Loin d'être évident, ce rôle est tenu par un Thomas Jouannet que l'on n'hésitera pas à qualifier de brillant. Tour à tour froid ou au bord de la crise de nerfs, l'acteur offre à son personnage une crédibilité indiscutable et par là même une base solide à l'ensemble du métrage.
A ses côtés, bien que plus discrète, nous retrouverons Karin Shibata, laquelle tenait les rôles principaux de KAOJIKARA et PRECUT GIRL. Mystérieuse et déterminée, elle est ici le bras armé de la «vengeance», évoquant par sa froideur les personnages de Nami Matsushima (LA FEMME SCORPION) ou Yuki Kashima (LADY SNOWBLOOD). Nous retrouvons d'ailleurs la poésie macabre de ces deux sagas dans l'étonnant plan final, aboutissement d'un YUKIKO à l'esthétique plutôt léchée. Cadres réfléchis, photographie soignée et grain agréable sont en effet de la partie dans ce court au rendu définitivement très «cinéma». En cela notamment, ce troisième film marque un bond notable dans le travail du metteur en scène et de son équipe.
L'autre «rupture» avec les deux précédents courts se situe pour sa part au niveau du récit. De par leur étrangeté et même leur dureté, KAOJIKARA et PRECUT GIRL pouvaient être perçus comme des errances psychologiques appréhendables sous l'angle unique de la métaphore. Ce n'est pas le cas de YUKIKO qui s'avère de prime abord bien plus accessible. Malgré sa «narration-puzzle», le film propose en effet un récit de base clair et totalement autonome. Reste qu'encore une fois, les images sont avant tout pour Eric Dinkian le vecteur d'un propos et peuvent à ce titre se montrer trompeuses. S'arrêter aux seules apparences serait donc une erreur et, comme c'est le cas par exemple dans un métrage de David Lynch, une réalité trop simplement perçue ne peut être qu'un leurre. Car l'évolution psychologique du personnage principal est bien ici le véritable sujet. La destruction de sa vie passera non pas par l'anéantissement de ce en quoi il croit (le corps), mais par l'avènement de ce qu'il avait jusqu'ici pris soin d'ignorer (le mental)…
Avec YUKIKO, Eric Dinkian décide donc de ne plus «forcer» l'implication du spectateur et propose par conséquent un métrage moins rude, moins déstabilisant. Libre, le spectateur pourra dès lors goûter le film simplement, pour son esthétique ou la force de ses personnages. Reste qu'on ne se débarrasse pas de YUKIKO aussi simplement et qu'à l'issue du visionnage, l'étrangeté de certaines séquences appellera à une remise en question agréable, ouvrant des perspectives intéressantes. Encore une fois, le cinéaste nous offre donc un court métrage riche et à l'écriture parfaitement maîtrisée, des qualités que bien des longs peuvent lui envier…