Dave est un jeune chômeur vivant chez son père. Son frère Lenny est l'amant d'une top modèle ne supportant pas la pilosité corporelle. Albert est un vieillard veuf et bavard que personne ne veut écouter. Ron, qui vient d'être largué par sa petite amie, voit son quotidien envahit par trois lilliputiens ados et immatures. Quant à Zack, un enfant de moins de dix ans, il économise patiemment dans une tirelire en forme de cochon pour s'acheter le jouet objet de ses rêves. Tous ces personnages, tous aspirant au bonheur, ont en commun d'habiter le même immeuble. Un jour, une brochure publicitaire tombe dans les mains de Dave. Cette dernière vante les mérites d'un livre censé résoudre le sens de la vie pour la modique somme de 9,99 $. Le destin de tous ces gens s'en trouvera bouleversé.
LE SENS DE LA VIE POUR 9,99 $ est un film d'animation coproduit entre l'Israël et l'Australie et réalisé par Tatia Rosenthal pour qui c'est le premier long-métrage. D'origine israélite, Rosenthal fait des études d'arts et de cinéma à New York. Fascinée par l'animation, elle réalise dans le cadre universitaire un essai nommé BREAKING THE PIG avant de monter en indépendant le court-métrage CRAZY GLUE en 1998. Pour ce dernier, Rosenthal choisi d'adapter une nouvelle de l'écrivain Etgar Keret. Lui aussi israélien, Keret est connu dans le monde entier pour son style surréaliste et décalé. Auteur surtout de nouvelles (dont certaines sont traduites et éditées en France), Keret est aussi un cinéaste récompensé par la prestigieuse Caméra d'Or au Festival de Cannes en 2007 pour son film LES MEDUSES (coréalisé avec sa femme Shira Geffen). Etgar Keret est habitué à ce que de jeunes cinéastes lui demandent la permission d'adapter ses nouvelles pour des courts-métrages. Il fait cependant la découverte, avec CRAZY GLUE, que l'animation est une technique idéale pour retranscrire à l'écran son univers si particulier. Une collaboration plus ténue va alors naître entre lui et Tatia Rosenthal.
En 2005, Rosenthal réalise un nouveau court d'animation, A BUCK'S WORTH, coécrit avec Keret depuis l'une de ses nouvelles. Le film est un brouillon de la toute première scène du SENS DE LA VIE POUR 9,99$ et sert de «bande-démo» à l'attention des investisseurs pour lancer le long-métrage. On y voit un brave homme (doublé par Tom Noonan, le tueur du SIXIEME SENS de Michael Mann) se faire accoster par un SDF lui demandant une cigarette et un café (personnage bénéficiant de la voix de Philip Baker Hall, le présentateur télé de MAGNOLIA de Paul Thomas Anderson). La scène pourrait être banale si le SDF ne sortait pas, à un moment donné, un pistolet pour menacer de se suicider si le café lui était refusé. Présenté à Sundance pour sa première, A BUCK'S WORTH est très remarqué et attire des financements australiens. Tatia Rosenthal et Etgar Keret écrivent le scénario du SENS DE LA VIE POUR 9,99$ en fusionnant plusieurs nouvelles de l'écrivain. Le tournage du film s'étalera au final sur quarante semaines de laborieuses prises de vue en image par image. Les voix sont assurées par des comédiens australiens comme Geoffrey Rush (le capitaine pirate et mort-vivant de PIRATES DES CARAIBES) ou encore Anthony LaPlagia qui a été distingué en 2004 d'un Golden Globe pour son rôle dans la série FBI : PORTES DISPARUS. Pour que les dialogues soient joués avec un naturel optimal, Tatia Rosenthal a une idée aussi brillante qu'originale : elle parvient à réunir en même temps tous les comédiens dans deux studios différents. Grâce à une liaison internet, les acteurs parviennent à enregistrer leurs textes tous ensemble comme s'ils jouaient une pièce de théâtre.
LE SENS DE LA VIE POUR 9,99$ est ainsi un film d'animation pour adultes à ranger dans la catégorie «auteur» à l'instar de MARY ET MAX de Adam Elliot ou encore VALSE AVEC BASHIR de Ari Folman. La direction artistique est volontairement rugueuse, comme si les sculptures des personnages ou les décors voulaient s'inscrire dans une sorte de quotidien, souvent déprimant d'ailleurs. Le film se permet même de la nudité masculine frontale, chose très étonnante pour le genre. Débarrassée de sa «poésie» intrinsèque, l'animation sert ici à s'affranchir des contraintes réalistes pour mieux nous plonger dans un univers de fable moderne qui n'hésite pas à verser dans le fantastique (l'invasion des lilliputiens), le surréalisme (le SDF s'étant suicidé revient sous la forme d'un ange), voire même le grotesque (en mettant en scène des transformations physiques).
La recherche du bonheur, quête avouée des différents personnages, représente le cœur du film et concentre son message. Bien entendu, tous seront mis face à des échecs plus ou moins cinglants. Cependant, chacun trouvera in fine autre chose, cet autre chose essentiel qu'il aspirait à trouver sous la masse de ses tocs ou autres fantasmes stupides. Quand Dave commande le livre sur «le sens de la vie», il recevra en lieu et place un ouvrage sur les dauphins pour cause de rupture de stock. Quand notre petit garçon aura assez d'argent pour s'acheter son jouet, il ne pourra se résoudre à briser sa tirelire en forme de cochon, ce dernier étant devenu son compagnon de jeu. Ces destins croisés, LE SENS DE LA VIE POUR 9,99$ les organise sous la forme d'un film chorale. Tatia Rosenthal est une grande admiratrice de SHORT CUTS de Robert Altman, qu'elle ambitionne d'ailleurs de remaker en animation. L'architecture de son film en est grandement inspirée, même si la faible durée de ce dernier ne permet pas la même profondeur que le chef d'œuvre d'Altman. LE SENS DE LA VIE POUR 9,99$ reste à son niveau de conte pour adulte, décalé, brillamment écrit, parfois déroutant aussi. Porté par la musique très envoûtante de Christopher Bowen, le film saura séduire les curieux et les cinéphiles friands de films d'animation différents.
Après une carrière en salle réduite au cinéma d'art et essai, LE SENS DE LA VIE POUR 9,99$ prend un second souffle grâce à sa sortie DVD. Le disque est conforme aux exigences techniques du moment, à savoir image impeccable, format et pistes sonores de qualité (même si le mixage du film est plutôt discret). Outre quelques bandes-annonces de l'éditeur lancées automatiquement au démarrage du disque, le disque propose en bonus une série d'interviews avec Tatia Rosenthal et Etgar Keret. Les deux artistes reviennent en quelques minutes sur leur relation de travail et la qualité de leurs univers qui se complètent si bien. Plus anecdotique, Geoffrey Rush et Anthony LaPlagia sont alpagués en salle d'enregistrement des voix pour quelques mots plus dispensables sur leurs personnages.
La section bonus du disque devient bien plus pertinente avec la présentation des deux courts-métrages écrits et réalisés par le duo avant LE SENS DE LA VIE POUR 9,99$. CRAZY GLUE raconte sur quelques petites minutes les doutes d'un couple, doutes qui se ressouderont de manière étonnante avec de la colle extra-forte. Touchant et poétique, le film est néanmoins doté d'une animation rudimentaire qui le rendra difficile à regarder pour les non-initiés. Beaucoup plus sophistiqué, A BUCK'S WORTH reprend donc les cinq premières minutes du SENS DE LA VIE POUR 9,99$, y compris la musique et le plan générique de l'immeuble où les lumières des appartements s'allument sur le tempo. Même si cette séquence est plus réussie (car mieux maîtrisée) dans le long-métrage, A BUCK'S WORTH est un complément idéal pour nous plonger dans les prémisses du projet et mesurer le chemin parcouru.