Winnipeg, province du Manitoba, Canada... Une ville qui n'évoque au spectateur français que de vagues impressions du nord de l'Amérique. Elle se voit ici dédiée un documentaire complet, réalisé par un de ses plus illustres citoyens : le cinéaste d'avant-garde Guy Maddin.
En effet, WINNIPEG MON AMOUR est un documentaire de commande, effectué pour la chaîne canadienne Documentary Channel. Guy Maddin, cinéaste expérimental depuis plus de vingt ans, s'est distingué en signant des œuvres iconoclastes et ironiques, brassant des souvenirs de diverses époques de l'Histoire du Cinéma, au moyen de bricolages techniques astucieux et surprenants.
Forte personnalité, il ne va évidemment pas exécuté une commande de façon servile et attendue. Disons-le tout net, si le sujet de Winnipeg, sa ville natale, est bien abordé, il n'en fait, pour le reste, qu'à sa tête !
La présentation du documentaire en elle-même n'est pas anodine. Un acteur, incarnant Guy Maddin, se trouve dans un train supposé quitter Winnipeg... Mais ce train semble voyager immobile. Ou alors, comme dans un vieil épisode de «LA QUATRIEME DIMENSION», il part de sa gare d'origine pour toujours y revenir. A bord, Guy et les autres passagers luttent difficilement contre le sommeil. Ils effectuent ce trajet dans un état de semi conscience. Car, dans la Winnipeg de Guy Maddin, la séparation entre sommeil et éveil s'avère floue et ambiguë. Ainsi, les dormeurs déambulent-ils nuitamment dans les rues…
Souvenirs, rêveries, fantasmes et pures inventions se mêlent alors dans l'imaginaire de Guy. Si un documentaire classique énonce des faits sinon vérifiés, au moins considérés comme exacts et réels, WINNIPEG MON AMOUR se plaît à égrainer les témoignages les plus farfelus, les statistiques les plus imaginaires, les faits historiques les moins vérifiés. Certains détails sont authentiques, tel la grande grève du 21 juin 1919. D'autres sont à l'évidence de pures inventions, telles ces allées baptisées de prénoms des prostituées les plus influentes de la ville !
Qu'importe le vrai, qu'importe le faux... Ce qui compte, c'est la façon dont Winnipeg nourrit l'imaginaire fantastique de Guy Maddin, et comment celui-ci, en retour, dresse un portrait hors du commun de sa cité natale. Un portrait de Winnipeg non pas tel qu'elle est dans les simples faits, mais telle qu'il la voit en profondeur, à travers ses yeux de poètes du cinéma.
Winnipeg devient alors une cité peuplée de fantômes, de ponts qui rêvent, un labyrinthe inextricable de rues et d'allées, un réseau souterrain encore plus complexe d'influences magiques et ésotériques. S'y croisent mémoire prolétaire, spiritisme, légendes indiennes et franc maçonnerie, dans un enchevêtrement de correspondances aussi bien verticales que horizontales.
La forme de WINNIPEG MON AMOUR reste dans la tradition des films précédents de Guy Maddin. Dans ce collage frénétique se mêlent divers styles, largement influencés par le cinéma muet ainsi que par la série B américaine des années 40.
Nous n'irons pas jusqu'à considérer ce documentaire fantastique comme le plus abordable des longs métrages de Guy Maddin. Certains passage vraiment/faussement autobiographiques restent plus hermétiques, tels les considérations sur sa famille et le hockey sur glace – réminiscences de ET LES LACHES S'AGENOUILLENT... WINNIPEG MON AMOUR n'en reste pas moins une nouvelle œuvre réussie, drôle et fascinante d'un metteur en scène toujours inspiré et surprenant !