Jeune réalisateur espagnol, Pacos Cabezas se fait d'abord remarquer grâce à des courts et moyens métrages. Puis, il réalise, durant l'été 2006, son premier long métrage : LES DISPARUS, s'inscrivant dans la tradition très vivace du cinéma fantastique espagnol contemporain. Si les deux rôles principaux sont confiés à Javier Pereira et Ruth Diaz, deux jeunes acteurs eux aussi espagnols, le métrage est tourné en Argentine, lieu où se déroule l'action. En effet, LES DISPARUS est une co-production entre les deux pays.
LES DISPARUS nous raconte l'histoire de Malena et Pablo, frère et sœur, qui, en 2001, se retrouvent à un hôpital de Buenos Aires pour assister aux derniers instants de leur père, cliniquement mort suite à un cancer. Malena et Pablo doivent signer la décharge autorisant le médecin à arrêter les machines qui maintiennent le corps artificiellement en vie. Si Malena semble très pressée d'en finir, Pablo veut, avant de prendre cette décision irréversible, faire un voyage à la petite maison de campagne familiale. A contre-cœur, Malena accepte. Les voici partis pour un périple qui les amènera sur les traces d'un passé terrible. Le passé de leur famille et de leur pays...
Au cours de leur voyage, Malena et Pablo sont témoins de l'agression d'une famille, harcelée et martyrisée par des criminels dans la chambre d'un hôtel. Les deux jeunes gens comprennent qu'il ne s'agit pas d'êtres vivants, mais de spectres répétant les tragiques évènements d'une nuit s'étant déroulée plus de vingt ans auparavant.
Depuis le succès de LES AUTRES, le cinéma espagnol a fait son fond de commerce d'histoires de fantômes gothique et de maisons hantées par des spectres d'enfants martyrisés. LES DISPARUS se distingue toutefois par son contexte particulier, à savoir celui de l'Argentine, avec une toile de fond très imposante, les crimes politiques de la dictature militaire durant les années 70. Tortures et exécutions s'y sont multipliés hors de toute légalité, entraînant la disparition tragique de 30.000 personnes...
LES DISPARUS n'est pas le premier film fantastique à employer ce cadre historique. Nous nous rappelons de DISPARITIONS (à ne pas confondre, donc !) de Christopher Hampton, dans lequel Antonio Banderas incarne un homme tentant de sauver, au moyen de ses pouvoirs surnaturels, une journaliste tombée dans les griffes d'un escadron de la mort. Cette intrication de Fantastique et d'Histoire politique troublée nous rappelle évidemment les films espagnols de Guillermo Del Toro : L'ECHINE DU DIABLE et surtout LE LABYRINTHE DE PAN, tout deux se déroulant durant la guerre civile espagnole.
LES DISPARUS part d'un motif a priori classique dans les histoires de fantômes. A savoir : des spectres revivent chaque nuit les mêmes évènements (voir, par exemple, CELINE ET JULIE VONT DANS UN BATEAU de Jacques Rivette !). Toutefois, ce poncif se voit en partie renouvelé par la faculté que les vivants ont ici d'agir sur le passé, de le modifier et de s'y immiscer, tentant au péril de leurs vies de sauver les morts, de racheter les fautes d'un passé pourtant révolu.
LES DISPARUS se distingue aussi par la grande diversité de ses situations, ainsi que par sa richesse thématique et stylistique. Contenant de nombreux rebondissements, il traverse tout un registre de tons variés, allant du Fantastique au gothique, du thriller façon DUEL au témoignage politique sobre, du film de torture cru au mélo familial, en passant même par des histoires de voyage dans le temps.
En cela, il évite les écueils de certains métrages espagnols trop semblables, comme peuvent l'être DARKNESS, FRAGILE et autres L'ORPHELINAT. Autant de métrages sans grande imagination ni surprise auxquels nous préférons des titres plus inventifs tels LES ENFANTS D'ABRAHAM ou INTACTO. A notre sens, LES DISPARUS a le mérite de s'inscrire dans la seconde catégorie, celle des œuvres créatives, renouvelant un style de films aux conventions parfois trop pesantes.
Néanmoins, LES DISPARUS souffre paradoxalement de son trop plein d'inventions. Bourré d'idées et d'ambition, il relie difficilement ses différentes composantes. Le spectateur se voit ballotté au gré de séquences aux tons et aux ambiances très variées, de façon souvent trop abrupte. Il risque ainsi de perdre le fil émotionnel qui devrait le rattacher au récit. Qui plus est, ce manque de cohérence stylistique se ressent encore dans un récit dont les mécanismes surnaturels ne sont pas toujours ni très clairs, ni très convaincants.
Heureusement, sur son fond, LES DISPARUS convainc mieux. Au moyen du Fantastique, son histoire illustre, au gré de métaphores pertinentes, le rapport au passé entretenu par les générations actuelles vivant dans des pays au passé tumultueux. Pablo et Malena incarnent chacun deux attitudes face à un drame que leur pays tente d'enterrer, au gré d'opérations «réconciliations» plus ou moins exhaustives. Pablo est optimiste pour l'avenir, mais il refuse de se couper du passé, quitte à se mettre en grand danger personnel. Sa sœur, à la personnalité plus dure, s'avère pressée de tourner la page, d'ignorer les fantômes du passé et de (littéralement) l'enterrer. Des attitudes contradictoires en apparence, mais peut-être aussi complémentaires semble nous dire LES DISPARUS. Se confronter au passé permet de mieux pouvoir aborder l'avenir, une fois libéré de nos hantises.
Sorti en Espagne tardivement (plus de deux ans après la fin de son tournage), LES DISPARUS y rencontre un échec commercial cinglant, loin des accueils dithyrambiques recueillis par L'ORPHELINAT et autres [REC]. S'il est exact qu'il ne s'agit pas d'un métrage totalement accompli et qu'il souffre d'un certain manque de cohérence, LES DISPARUS, original et créatif, mérite néanmoins un coup d'œil attentif et respectueux.
En France, LES DISPARUS n'a pas eu droit à une sortie dans les salles. Il arrive directement en DVD chez CTV. Le disque testé est un exemplaire locatif. Les disques distribués à la vente devraient proposer des caractéristiques identiques, mais nous vous invitons à effectuer les vérifications nécessaires pour vous en assurer au moment d'un éventuel achat !
L'image proposée par ce DVD s'avère d'un très bon niveau : la copie au format 2.35 (encodée en 16/9) est très propre et ne souffre d'aucune trace de compression. Elle offre un rendu cinéma très agréable. Nous apprécions en particulier la netteté irréprochable des plans d'ensemble (les vues des grands paysages montagnards), révélatrice d'un travail de numérisation sain et réussi.
Nous sommes plus déçus par les bandes-son. En effet, pour la version originale, nous ne trouvons qu'une piste Stéréo sous-titrée en français. Une piste certes honorable, mais n'empêchant pas de regretter l'absence étonnante du mixage Dolby Digital d'origine. La version française, artistiquement passable, est quant à elle disponible aussi bien en Dolby Digital 5.1 qu'en Stéréo.
La section supplément est inexistante : même la bande annonce indiquée sur la jaquette reste introuvable ! Ce film ambitieux se prêtait pourtant à une interactivité fournie...
Nous avons donc affaire à une édition DVD seulement à moitié convaincante, dont le mérite essentiel est de nous faire découvrir ce film intrigant et ambitieux.