Sanjay Singhania est un homme dont la mémoire à court terme a été gravement affectée suite à un violent choc à la tête. Comment s'est déroulé l'incident ? Quelles en étaient les causes ? Sanjay n'en sait malheureusement rien mais il lui reste toutefois un nom. Celui de Ghajini. Celui que sa femme lui a murmuré à l'oreille alors qu'elle était en train de mourir et que lui-même se vidait de son sang. Ce nom, Sanjay ne l'oubliera pas. D'ailleurs, comme toutes les choses qu'il ne doit pas oublier, il l'a tatoué sur son corps et inscrit sur une photographie instantanée. Grâce à ces maigres indices, Sanjay entend bien mener son enquête, traquer la source de tous ses maux et tuer cet inconnu du nom de Ghajini…
Difficile à la lecture du synopsis de ne pas se remémorer l'excellent MEMENTO qui révéla Christopher Nolan en 2000. GHAJINI ne serait-il ainsi que le remake indien d'un film américain ? Non, assurément pas. Dire que A. R. Murugadoss, scénariste et réalisateur du film, ne s'est pas inspiré du film de Nolan serait en revanche idiot puisqu'il en reprend l'intrigue de base et notamment l'étrange idée qu'un individu puisse voir sa mémoire instantanée calibrée à quinze volatiles minute. En réalité, une telle chose n'a bien évidemment aucun fondement médical. La mémoire instantanée est en fait bien plus courte (quelques secondes seulement) et si ce type d'oublis pourrait s'apparenter à une grosse fatigue ou des signes avant-coureur d'Alzheimer, un tel «minutage» rend quoi qu'il arrive le postulat improbable, voire impensable. Reste que l'idée du film de Nolan était suffisamment curieuse et passionnante pour que l'on puisse avoir envie de l'accepter comme acquise. A. R. Murugadoss la reprend donc, de même que la technique du tatouage ou encore celle des polaroïds. De même, le réalisateur indien usera de ces différents éléments pour mettre sur pied un thriller dont l'aboutissement doit être la mort d'un présumé criminel… Au-delà de cela et si GHAJINI n'a finalement pas grand chose à voir avec MEMENTO, il n'en demeure pas moins un remake !
En effet, le GHAJINI que nous évoquons ici n'est autre que le remake en hindi (industrie Bollywoodienne de Bombay) d'un film de 2005 originellement tourné en tamoul (industrie Kollywoodienne de Chennai, sud de l'Inde) et répondant au nom de GHAJINI ! Doté d'un scénario identique et même de dialogues repiqués, GHAJINI version 2008 est donc une resucée d'autant plus officielle qu'elle est mise en scène par le même réalisateur et offre le premier rôle féminin à la même actrice. Une telle démarche s'explique assez simplement par le succès public de la première version et une «codification» différente d'une industrie cinématographique indienne à l'autre. Un re-tournage en hindi s'imposait donc afin de toucher un public local plus large (le cinéma de Kollywood n'est «que» le troisième d'Inde) et de maximiser les possibilités d'export à l'international.
Au final, GHAJINI version 2008 est donc, comme beaucoup de métrages indiens, ce que l'on appelle un Masala, un mélange de plusieurs genres cinématographiques. Poussant ce schéma à l'extrême, GHAJINI propose en son sein deux histoires distinctes aux tonalités totalement antagoniques. En effet, si la trame «principale» est un thriller dur au postulat légèrement Fantastique, l'autre facette du métrage est une comédie romantique à l'accent particulièrement léger. La cohabitation des deux pourrait apparaître comme dissonante mais il n'en est rien et nous pourrions même dire que c'est là que réside l'une des forces du film. Présentée sous forme de longs flash-backs (l'un d'eux fait près de trois quarts d'heure !), la portion «fleur bleue» du métrage met en vedette Asin Thottumkal, célèbre actrice tamoule qui reprend donc ici le rôle qu'elle tenait trois ans plus tôt dans le GHAJINI original. Particulièrement à l'aise, souriante et «fraîche», Asin incarne Kalpana, une jeune mannequin publicitaire à la carrière branlante mais au quotidien pavé de simplicité, de belles attentions et de compassion pour les autres. Nous noterons à ce titre que l'une des séquences illustrant ce caractère avenant est directement reprise de notre FABULEUX DESTIN D'AMELIE POULAIN national ! Au-delà de cela et sans déflorer l'amusant cheminement de la romance naissante entre les personnages de Kalpana et Sanjay, ajoutons que ce segment du film s'avère particulièrement efficace. D'une part parce qu'il fonctionne à plein régime en se montrant drôle, et d'autre part parce qu'il permet de poser les bases de la partie «Thriller» du métrage. Grâce à cette romance, le spectateur apprend en effet à aimer les deux personnages ainsi que leur couple. La disparition brutale de Kalpana sera ainsi perçue comme une véritable tragédie, amenant et même appelant une vengeance que l'on souhaite la plus expéditive possible.
Ce sera le cas et ce contre toute attente. Car pour une grosse production Bollywoodienne, GHAJINI est un film plutôt méchant, faisant régulièrement la part belle à la hargne et aux empoignades musclées. Le film n'hésite par ailleurs pas à évoquer le trafic d'organes ainsi que le trafic d'enfants, deux maux qui sévissent malheureusement en Inde depuis plusieurs années. Malgré cela, la commission de classification indienne optera pour une recommandation en demi-teinte, autorisant le visionnage du film aux enfants accompagnés d'un adulte. Ce choix curieux s'est fait au prix de quelques coupes mais la dureté de certaines séquences demeure bel et bien… La tonalité sombre de la trame principale du film sert par ailleurs le jeu impressionnant de l'acteur Aamir Khan (LAGAAN). D'homme d'affaire avisé et amoureux hébété, Sanjay passe du tout au tout pour devenir une bête enragée au physique monolithique. Si le surjeu tend à poindre par instants, la composition reste étonnante et certaines séquences (Sanjay redécouvrant la mort de sa femme par l'intermédiaire de ses tatouages) se montrent aussi émouvantes que bien senties. La carrure du bonhomme, sa coupe de cheveux minimaliste et sa large cicatrice finissent de faire de Sanjay un autre homme, un individu inébranlable répondant bestialement à la violence par la violence. Le final en sera du reste le parfait exemple avec des altercations nombreuses, sèches et minimalistes. Nous regretterons le fait qu'elles soient pour la plupart «accélérées», ce qui tend paradoxalement à en amoindrir l'impact. Malgré cela, GHAJINI est, tout comme son aîné du reste, un triller disposant d'une action brutale assez peu commune à Bollywood…
Au final, GHAJINI nous apparaît comme un film à la dualité maîtrisée et non «forcée». A. R. Murugadoss use du flashback pour jongler habilement avec les codes du cinéma Bollywoodien et faire passer le spectateur d'une émotion à l'autre avec un certain succès. Si les transitions sont relativement douces en début de métrage, elles s'intensifient en revanche au fil du récit pour finir brutales et violentes, à l'image du héros revanchard. GHAJINI repose en outre sur un scénario relativement simple et linéaire, évitant volontairement toute complexité à la MEMENTO pour s'orienter vers un public plus large, tant en terme d'âge qu'en terme d'horizon. Avec GHAJINI, A. R. Murugadoss propose un film qui se pose comme une possible porte d'entrée aux spectateurs sceptiques voir hermétiques aux codes du cinéma indien. Les jeux de regards sont ainsi présents mais discrets, la durée de trois heures semble naturelle (car présentant grosso modo deux histoires de 90 minutes) et les séquences dansées sont rares bien que présentes. Notons que ces dernières s'invitent bien évidemment dans la portion romantique du métrage et ne nuisent donc pas à son aspect «thriller», bien plus dramatique. Leur intégration est par ailleurs assez naturelle et les chorégraphies sont de qualité, dispensant aux passages de bien belles images…
A sa sortie dans les salles indiennes, GHAJINI provoqua un véritable raz de marrée en devenant très rapidement l'un des plus grands succès locaux, amassant davantage en quelques semaines que SHOLAY (le Western-Curry culte) en trente ans ! Plus étonnant encore, le film engrangea quatre millions de dollars en une semaine d'exploitation internationale. Rappelons que si la France reste malheureusement étanche au cinéma Indien, les Etats-Unis et de nombreux pays d'Europe lui accordent une place semblable à celle des cinémas japonais ou hongkongais. Aucune sortie française n'étant à l'ordre du jour pour l'instant, GHAJINI ne sera peut être pas encore LE film Indien qui parviendra à franchir nos frontières pour s'installer de manière significative dans nos salles obscures. Gageons cependant qu'il ouvrira une brèche et que d'autres pellicules d'une trempe similaire parviendront à s'y engouffrer dans un avenir proche…
Même si l'espoir reste permis, l'amateur averti comme le cinéphile curieux n'attendront sans doute pas un hypothétique DVD français et se tourneront donc vers l'import. Nombreux sont cependant les magasins parisiens (ou autres) et sites web qui commercialisent sans le moindre scrupule des DVD «pirates» aux prix attractifs mais aux spécificités plus que douteuses. Au-delà de l'aspect illégal de la chose, ces disques proposent systématiquement des sous-titrages incompréhensibles (fruit d'une traduction «Google»), des spécificités incertaines et surtout une image atroce, conséquence logique de la compression d'un film de trois heures sur un DVD simple couche... Pour notre part, nous avons naturellement opté pour le disque indien édité par Big Pictures. Il s'agit d'une édition double DVD proposée dans un digipack plutôt classe et disposant d'un sous-titrage français très correct...
Mais commençons tout d'abord notre tour d'horizon par l'image qui nous est offerte dans son ratio 2.35 d'origine via un encodage en 16/9ème. La copie est propre, les couleurs belles et les contrastes plutôt convaincants. Les noirs manquent un peu de profondeur mais c'est là du pinaillage car en réalité, le seul véritable défaut de cette image vient d'une compression parfois visible. Bien évidemment, sa longue durée est en cause et l'idéal aurait été de placer le film sur deux disques. Il s'avère que c'est très rarement le cas des films indiens et ce malgré leur durée généralement très longue. GHAJINI ne déroge pas à la règle et paye donc le prix de ce choix éditorial, dans des proportions cependant très acceptables. Ajoutons par ailleurs que l'éditeur Big Pictures a pour habitude de «faire sa pub» en cours de métrage. Vous aurez donc la surprise de voir apparaître, en quatre ou cinq occasions, le logo de l'éditeur en surimpression dans le coin supérieur droit. La chose est regrettable mais la démarche est courante et finalement pas (trop) gênante...
Sur le plan sonore, nous n'aurons guère de choix puisque seule la piste originale Hindi nous sera offerte et ce en Dolby Digital 5.1. Cette option se montre convaincante, dynamique et même très enveloppante lors de certaines séquences. Les dialogues sont clairs et les quelques chansons du film sortent grandis de ce traitement en multi-canaux. Comme nous le disions, le film est rendu accessible au plus grand nombre grâce à l'ajout de sous-titres français mais aussi anglais, allemand, arabe, espagnol et autres. L'option francophone n'est pas parfaite (l'orthographe...) mais elle retranscrit parfaitement les dialogues et il est clair qu'il ne s'agit pas d'une bête traduction des sous-titres anglais. Sans doute épuisée en fin de métrage, la personne chargée du sous-titrage se donne un peu moins de mal sur la dernière demi-heure et deux ou trois phrases passeront même à la trappe. Reste que globalement et pour un disque d'origine indienne, la qualité est tout de même inattendue.
L'interactivité de cette édition double débute sur le premier disque avec un chapitrage classique mais aussi un chapitrage par chanson. L'option est assez commune sur les disques indiens mais reste amusante, d'autant qu'il nous est ici possible de visualiser les cinq intermèdes musicaux à la suite...
Le second disque est quant à lui gorgé de documentaires jusqu'à l'explosion. Nous ne tenterons même pas de vous bluffer et admettrons sans détour que notre hindi laisse à désirer. Cette langue reste cependant minoritaire puisque l'acteur Aamir Khan s'exprime dans un anglais très abordable, rendant assez simple l'appréhension de son calvaire qui débutera dès 2006... Khan est en effet connu pour être un acteur extrêmement sélectif dans ses choix de rôles. De fait, il tourne peu (un film par an en moyenne contre quinze pour d'autres stars) mais s'investit énormément. C'est essentiellement ce qui ressortira de ce making-of d'une centaine de minutes décomposé en moult parties et sous-parties. Près de vingt minutes seront ainsi consacrées à l'entraînement physique de l'acteur, ou comment transformer un homme quasi-ordinaire en monstrueuse boule de muscles en douze mois ! Le chapitre intitulé «Ghajini's look» s'intéressera aux coiffures et vêtements alors que le suivant, plus pertinent mais moins abordable, traitera des séquences d'actions. Cinq minutes seront par ailleurs dédiées aux quelques cascades du film. Quatre des cinq clips musicaux de GHAJINI se verront offrir un véritable et passionnant making-of de six à dix minutes chacun. Un documentaire fourre-tout de plus de vingt minutes viendra clore l'ensemble, offrant quelques images redondantes mais aussi de courtes interventions des réalisateur et producteur.
Passons maintenant aux séquences dites «coupées» et dont l'intérêt demeure finalement assez anecdotique. La première est une version alternative de la séquence ouvrant le film, légèrement plus longue et sauvage que celle retenue. Il en sera de même pour la quatrième qui présente pour sa part un final légèrement différent. Les deux autres scènes sont effectivement des séquences coupées mais leur durée (26 secondes chacune) et leur contenu ne justifiait pas, effectivement, qu'elles survivent au montage.
A côté de cela, Big Pictures vend ses films et nous sert neuf bandes-annonces de titres issus de son catalogue, toutes sans sous-titre et encodées en 4/3. Nous noterons la présence de 13B que nous avions évoqué lors d'une news, ainsi que de LOVE STORY 2050, une comédie romantique sur fond de voyage dans le temps...