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Critique du film
WATCHMEN 2009

LES GARDIENS 

Nous sommes en 1985 et la guerre froide est plus que jamais d'actualité. La menace d'une troisième guerre mondiale gronde et l'apocalypse nucléaire semble approcher à grands pas. Dans ce monde à la dérive, la mort d'un super-héros vieillissant pourrait passer inaperçue mais ce serait sans compter sur Rorschach, dernier héros masqué a n'avoir pas pris sa retraite. Reclus, associable et paranoïaque, Rorschach flaire le complot, mène son enquête et tente alors de prévenir ses anciens associés, une confrérie de justiciers connue sous le nom des Watchmen, les Gardiens...

Actif depuis le début des années 80 dans l'univers de la bande-dessinée, l'auteur-scénariste Alan Moore n'entretient pas de très bons rapports avec le monde du cinéma. Difficile de lui en tenir rigueur si l'on juge par exemple le résultat hollywoodien de l'adaptation de son FROM HELL écrit entre 1991 et 1998. Lorsque les frères Allen et Albert Hughes s'emparent du matériau, ce n'est que pour le vider de sa substance et nous livrer un énième «Jack l'éventreur» privilégiant exclusivement la forme au détriment du fond. FROM HELL, le film, est ainsi l'exact opposé de ce qu'est «From Hell», le roman graphique écrit par Moore et dessiné par Eddie Campbell. Deux ans plus tard, en 2003, c'est au tour de Stephen Norrington de détruire l'une des perles de Moore. Alors qu'il faisait preuve d'une grande audace scénaristique et d'une étonnante violence, «La ligue des gentlemen extraordinaires» deviendra au cinéma un bien triste métrage d'action à destination d'un public familial. CONSTANTINE ne fera guère mieux, trahissant l'esprit du personnage initialement inventé par Moore alors qu'il oeuvrait sur «Swamp Thing». Totalement détaché des adaptations cinéma de ses oeuvres, Alan Moore n'apparaîtra donc pas au générique du V POUR VENDETTA qui verra le jour en 2005. Bien dommage car pour la première fois, Hollywood tente enfin de reprendre l'essence du matériau de base et ce pour un résultat des plus honorables. Après cette réussite orchestrée par les frères Wachowski, le projet «Watchmen» prend enfin son envol et ce alors qu'il était en gestation depuis des années.

Publié pour la première fois entre 1986 et 1987, «Watchmen» est un roman graphique de plus de 400 pages abordant moult thématiques au travers d'une quarantaine d'années. De par son étonnante richesse, ce comics d'une densité hors norme c'était rapidement vu collé l'étiquette de «bande dessinée inadaptable au cinéma». La chose est en partie vraie et ni Snyder, ni ses scénaristes, ne s'y tromperont. Alors que le jeune réalisateur avait offert à 300 un virage fantastique surprenant, il décide pour WATCHMEN de jouer la carte de l'humble respect en n'«adaptant» pas mais en se contentant de «porter» l'œuvre de Moore à l'écran. Dès lors, on pourra peut-être reprocher à Snyder de ne faire que du simple «copier/coller» mais la chose n'était pas si simple… Robert Rodriguez par exemple c'était ainsi essayé à ce petit jeu via son SIN CITY qui, s'il était honnête, avait cependant dû faire de nombreuses et dommageables concessions sur les plans graphique et érotique. Ce genre de petites «trahisons», vous n'en trouverez pas dans WATCHMEN car contre toutes attentes, Snyder n'hésite pas une seconde à coller au plus près au matériau d'origine. Pour quelqu'un n'ayant pas lu le roman graphique, cette remarque peut bien évidemment paraître anodine mais lorsque l'on connaît l'ouvrage, l'entreprise WATCHMEN prend rapidement une dimension quasi-suicidaire. Comment l'industrie hollywoodienne pourrait-elle ainsi miser sur une œuvre aussi nostalgique, désespérée, dure et profondément humaine que «Watchmen» ? Comment la Warner pourrait-elle aligner plusieurs dizaines de millions de dollars pour un projet aussi cru et engagé politiquement ? Aucune chance. Et pourtant…

Très vite, les premières images rassurent. Le générique d'introduction, magnifique, nous compte en quelques photographies la naissance des premiers super-héros dans l'une des ces réalités alternatives dont Moore à le secret. Premières gloires, premiers espoirs, premières tragédies, les années passent et les générations de héros se succèdent non sans nostalgie… Le métrage débute alors sur la mort du Comédien, personnage extrême et semble-t-il apprécié de Snyder. La séquence étonne de par sa violence, son action parfaitement lisible, sa mise en scène maîtrisée et le choix de l'acteur Jeffrey Dean Morgan pour le rôle. Tout est là et semble réuni pour faire vivre «Les gardiens» tels que nous les avions imaginé. Entre alors en scène Rorschach, doté d'un masque superbe, reflet exact des planches dessinées par Dave Gibbons. Puis vient le tour des Hiboux, Spectres Soyeux et bien évidemment Dr. Manhattan, totalement nu et inexpressif comme il se doit. Tous prennent vie et substance, conformément à ce nous espérions sans trop y croire. La famille «Watchmen» nous apparaît au grand complet et malgré un choix discutable concernant le personnage d'Ozimandias, tous les acteurs se prêtent avec talent à la double vie imposée par le statut de justicier.

Les thématiques foisonnantes du roman graphique trouvent ici échos, qu'il s'agisse de la légitimité même des super-héros (à l'image du récent THE DARK KNIGHT), de la destruction en règle des notions de bien et de mal, ou encore du sous-texte politique usant régulièrement de la métaphore. Avec cette version «Live» de WATCHMEN, l'amoureux du travail de Moore retrouvera indiscutablement ses marques, l'ambiance et l'intelligence du récit. Le spectateur étranger du Comics pourra en goûter toute la richesse en 163 minutes mais pourrait tout aussi bien s'avérer désappointé par un métrage qui, bien que vendu comme un blockbuster, n'en affiche pas forcément les caractéristiques. En effet et suite à la vision de 300, nous pouvions craindre l'ajout ou l'amplification de séquences d'action au détriment des longs dialogues que comportent la version papier. Il n'en est rien, bien au contraire. Si les rares scènes d'action portent effectivement la griffe de Zack Snyder (ralentis, attitudes poseuses, etc.), elles n'empiètent en rien sur le récit et l'on pourrait même leur reprocher un certain manque de démesure. Nul doute par exemple que le final aurait gagné à être plus graphique et plus démonstratif. Au chapitre des «boulettes», mineures certes mais notables tout de même, nous citerons par ailleurs une bande originale par instant pesante, voire inappropriée (le «Hallelujah» de Rufus Wainwright accompagnant un acte sexuel précédé d'une «panne» !). La relation entre Laurie Jupiter (Spectre Soyeux II) et Dan Dreiberg (le Hibou II) manque elle aussi quelque peu d'entrain et de crédibilité… Reste que ce ne sont là que de bien maigres défauts face à l'ampleur du travail accompli.

WATCHMEN succède donc à THE DARK KNIGHT et V POUR VENDETTA dans le registre des films de super-héros intelligents. Comme eux, il fait passer l'action au second plan pour mieux privilégier son scénario, ses thématiques et ses personnages. Comme eux encore, il pourra laisser sur le carreau les amateurs de «super-pouvoirs» aux effets dévastateurs. Pour les autres en revanche, WATCHMEN sera une belle (re)découverte amenant indiscutablement l'envie de se (re)plonger dans le pavé d'Alan Moore. Ils y retrouveront une fin légèrement différente (celle du film s'avère être une variante théologique intéressante) ainsi que quelques sous-intrigues supplémentaires (le buraliste et l'enfant) qui, nous l'espérons, seront incluses dans la version longue du film annoncée en DVD et Blu-Ray. Reste qu'en l'état, le film de Snyder est déjà une œuvre respectueuse et étonnante, une perle qu'il convient sans aucun doute d'aller saluer en salle.

Rédacteur : Xavier Desbarats
Photo Xavier Desbarats
Biberonné au cinéma d'action des années 80, traumatisé par les dents du jeune Spielberg et nourri en chemin par une horde de Kickboxers et de Geishas, Xavier Desbarats ne pourra que porter les stigmates d'une jeunesse dédiée au cinéma de divertissement. Pour lui, la puberté n'aura été qu'une occasion de rendre hommage à la pilosité de Chuck Norris. Aussi, ne soyons pas surpris si le bougre consacre depuis 2006 ses chroniques DeViDeadiennes à des métrages Bis de tous horizons, des animaux morfales ou des nanas dévêtues armées de katanas. Pardonnez-lui, il sait très bien ce qu'il fait...
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