«La vache». Un machiniste venant de terminer de placer un spot lumineux sur une scène d'intérieur vient de lâcher le mot. «La vache». Blanche, rousse, noire. Pas du made in Normandy. Mais… «La vache». KNIGHTS déboîte le genou, enclenche un tamouré et lève la guibole. «Kickboxing+PostNuke+Cyborg+Vampire = ouhlala». Sade a la rage, Masoch est au point mort et Pyun rempile. L'apocalypse a du bon, elle fleure le désert et l'Utah. Albert persiste et signe. Le futur sera sale. Il sera moche pour les humains . Il y aura de la dinde au menu, des stéroïdes en guise de sucette et le disco sera mort. La «Post-nuke» attitude, c'est pas du Lorie et encore moins l'autre gros Poitevin goitreux. C'est du Pyun.
Exit les salopes cuirettes bas de gamme de chez Castellari, enter le désert Mojave qui sent les pieds, la sueur et le travail de mec. Des vrais, ou presque, avec quelques morceaux de métal dedans. Pas du Mark Gregory qui marche après s'être fait violer debout par dix George Eastman. C'est l'héroïne, la drogue du spectateur. Elle s'appelle Nea et c'est la championne de kickboxing Kathy Long qui l'incarne. La chevelure L'Oréal Color radiation-proof au vent, elle a fait l'école Nadia Comaneci pour la forme et Surya Bonaly pour les fringues. Elle virevolte. Elle kicke. Elle a le regard mauvais. En fait, elle a pratiquement les yeux révolver mais elle manque d'avoine. Ca marque pour un avenir «No Future». Mais elle possède du ressort. Mate-la avec du ressort : elle sent la vengeance.
Lance Henricksen, le méchant qui veut faire de l'humain du bétail, a du cyborg dans la culotte. Pas de cheval, même s'il en monte un, mais le bras long et articulé. Aussi fort qu'un python réticulé. Fauve, souple, serein, louvoyant, il respire le pouvoir de demain. L'humain, c'est bon pour la traite. Le sang, c'est son pouvoir. Un cyborg vampire, fallait la trouver celle-là. L'asservissement de l'humain. La passion de la chasse, la soif du mal, version 1664 sans frigo. Il veut le pouvoir : il l'aura.
Combats aériens, combats avec presque rien. L'école HK a fait du chemin, jusque dans l'Utah. Le sable rouge, le ciel bleu et les mêlées brutales. Le péril post-apocalyptique qui tance l'humain en perdition. La douleur de la perte des repères. Tu la sens la douleur, hein, tu la sens ? Le spectateur, lui, ne sera pas privé de désert. Il n'aura que cela, d'ailleurs, comme dans NEMESIS 2. La vérité est ailleurs, comme le budget. Les acteurs également : la machinerie se concentre sur les combats, la grimace de l'effort qui burine les visages tordus de souffrance. C'est presque la quête du trésor. Presque l'effet de l'effort "Boyard". La tectonique de l'effort : bouger un corps afin d'en envoyer un autre dans le décor. C'est le secret de la pyunologie hégémonique. Avec deux qui la tiennent, l'héroïne s'en sort toujours mieux que la fois précédente.
Il ne manque plus, en gros, qu'un foutraquosaure pour piétiner un Kris Kristofferson en voie d'extinction. Que de chemin parcouru depuis LE CONVOI ou encore UNE FEMME D'AFFAIRES. La traversée du désert jusque BLADE passait par celui qui écrase KNIGHTS de sa chaleur rougeoyante. Albert, dont on a le bonjour, possède un secret imparable afin de débaucher des stars sur le déclin. Christophe Lambert, Burt Reynolds, Charlie Sheen, Mario van Peebles… ils les a tous récupérés et les a laissés en plus ou moins bon état.
Le stakhanoviste du 35mm frappa ainsi de plus belle en pulvérisant la limite cathodico-catholique du bon goût. Non seulement en adaptant ses cyborgs à une ombre stokerienne mais aussi en déstructurant la bible à grands renforts de savates en pleine poire. Si le cyborg sauveur se nomme Gabriel (Kristofferson les cloches, même à Pâques), le pauvre méchant est Job ( «a hell of a blow, Job» aurait dit Linda Lovelace) qui lance Henricksen sur les traces des humains-bétail sans gousse d'aïe en se prenant des coups. Les acolytes de Job sont, eux, dénommés David ou encore Matthieu. Une paire de saints peu catholique mais qui ne reste pas de glace en plein désert. Comme aurait dit Destop, cela débouche sur une sorte de constructivisme forcené de Nea qui tend à l'orgasmique lors d'affrontements quasi-séculaires avec kickboxing virevoltant. L'asservissement de l'humain en puissance parabolique chrétienne passe par l'avilissement du statut humaniste que confère l'âme apeurée d'un peuple en voie d'extinction. Un vrai JESUS DE MONTREAL made in «post-nuke». Du socioconstructivisme comme s'il en pleuvait, un véritable impact de la négociation de la pensée sur les actes... ah! Cette connaissance interpersonnelle qui ne peut être pleinement réalisée que via sa construction sociale ! Cette zone proximale du développement ! Seule Nea peut guider la révolte, montrer le chemin du combat vers la liberté. Une nouvelle Eve rouge flamboyante comme les filtres mooradiens qui irradient la pellicule d'un uranium enrichi d'une pléthore de microfibres ensanglantées !
Si la métaphore biblique tend à la stratégie d'enseignement post apocalyptique sur le devenir humain, elle s'accompagne du style Pyun. Le Roland Barthes de la série B. Le chantre de la dialectique hégélienne science-fictonnelle. Le Mozart de la cybernétique populaire. Réflexologie d'un monde déraciné, d'un humain en proie à sa culture diluée, à ses repères perdus, son héroïne aux mannes physiques innées. Sa solitude. Ses dialogues avec un pseudo archange métallique efficace, vieillissant et vomissant des actes prémâchés. Le paradis arty, avec ses grosses ficelles, est loin derrière et le répondeur d'un éventuel dieu prééminent ne prend plus de messages depuis longtemps.
Pyun, Pyun, Pyun... la philosophie de la rédemption accompagne tes pas perdus. CYBORG, NEMESIS, RAVEN HAWK et maintenant ces chevaliers du futur qui s'ébrouent à grands coups dans l'estomac. Les tripes luisent. Mais étant d'un état cyborg, ils demeurent sans foie, ni loi.
La caméra habile déshabille les mouvements de combats d'athlètes mécaniques ta mère. La photographie rutilante et les filtres composites compensent les billets verts manquants. Les artifices visuels rappellent qu'Albert peut être un virtuose quand il le veut. C'est donc au rouge que la caméra vire. Tu oses, Albert. C'est bien. Quand ton acteur à la sale trogne fétiche, Vince Klyn, s'énerve, tu le suis à la verticale, sans limite. Les grands espaces t'inspirent comme un monde perdu où tu erres en quête de savoir et d'inconnu. Comme le doute sur l'identité du Manufacturier, ordonnateur de cette aventure. Comme le destin de Nea. Comme des pâtes al dente qui ne vont plus le rester longtemps. Ce sont des éléments erratiques qui nous plongent dans le strict abysse de l'inconnu, dans le vertige de ta carrière évidée, oscillant sans cesse entre la recherche de ton origine et celle de l'exploitation foncière d'un fond de commerce sans cesse renouvelé. Mais qui conserve les stigmates d'une histoire similaire au fil des films. Le déracinement comme mode de vie, la nature humaine en question : le futur se croise d'électronique et la cybernétique fait un gros doigt à l'espèce humaine qui ne peut survivre sans consensus technologique et respect de son environnement.
Un DVD venu d'ailleurs sur le marché français il y a quelques années. Pas de mention d'éditeur, seul un nom en caractères d'imprimerie minuscules : «Bernard Dauman présente». Bernard Dauman. Pour les plus anciens lecteurs/lectrices, Bernard Dauman est un des Valhalla du bis. Une stratégie curieuse et nébuleuse pour le vulgus pecum basée sur la diversité de choix de production, de distribution cinéma et vidéo, la gestion de droits d'exploitation allant de LA CHEVAUCHEE DES MORTS VIVANTS à GIMME SHELTER, de PHENOMENA à, plus recemment, AVALANCHE. Les droits internationaux sont détenus par Icon, la société fondée par Mel Gibson. Entre la parabole simili-religieuse épousée par KNIGHTS et le goût notoire du chrétien renaissant patron d'Icon, on parlera de coïncidence. Voire de hasard. C'est Lelouch qui va être heureux de se retrouver coincé entre Pyun et Gibson. Mais le Dauman, que vient-il faire là ? Pourquoi aucun nom d'éditeur bien en vue ? Pour cause de largage de produit de fond de catalogue dans la nature des hypermarchés ? Pour cause de version française bricolée entre deux soirées ? Pour cause de plein cadre ? Absence de bonus ? Un télécinéma à peine acceptable qui rend (heureusement) magnifiques quelques éclairs transfigurés d'effets photographiques rougeoyants et bleutés ? KNIGHTS ? Aucune importance. C'est un produit bouche-trou, un fourre-bac, un mord-bac à DVD, une pleurésie involontaire qui empêche le formica des bacs à DVD de chez Intermarché de respirer. KNIGHTS, c'est le dindon de la farce. La résultante souffreteuse de politique de bourrage du mou des éditeurs sans idée mais avec débouchés (on en revient à Destop, tiens). C'est la dinde aux camélias.
Marguerite Gauthier, Claude Lelouch, Mel Gibson, Albert Pyun. Victimes d'un complot funeste destiné à contester le caractère irrésolu de leur destin, la force de leurs convictions, envers et contre tous. Mais si le contre tousse, il faut donc expectorer les éléments indésirables. Et comme nous sommes pour le Pyun, le DVD est à prendre, comme Brigitte Lahaie le fut un temps.
KNIGHTS, c'est bien.