Le 18 février 1967, la deuxième chaîne de l'ORTF proposait au public une nouvelle adaptation du roman de Gustav Meyrink, intitulée LE GOLEM. Diffusé en prime time, le téléfilm succède à des oeuvres telles LE TESTAMENT DU DOCTEUR CORDELIER (1961, Jean Renoir), LE PUITS ET LE PENDULE (1964, Alexandre Astruc) ou BELPHÉGOR (1965, Claude Barma), pour illustrer l'engouement suscité par le genre fantastique durant cette époque. À l'origine de plusieurs pièces télévisées, le réalisateur Jean Kerchbron (BRITANNICUS, 1959 ; LE ROI LEAR, 1965) s'adjoint les services d'une équipe particulièrement talentueuse. L'excellente photographie en noir et blanc d'Albert Schimel (L'ÎLE AUX TRENTE CERCUEILS, 1979), la musique lancinante composée par Jean Wiener (TOUCHEZ PAS AU GRISBI, Jacques Becker, 1954 ; LA FEMME ET LE PANTIN, Jean Duvivier, 1959) et les décors expressionnistes créés par Jean Gourmelin contribuent à transcrire fidèlement l'atmosphère angoissante développée par le texte original. La prestation des comédiens André Reybaz, Douking, François Vibert, Magali Noël et Robert Etcheverry explique également la réussite d'un métrage lequel bénéficiera d'une seconde diffusion en septembre 1971.
Deux hommes assis sur un banc échangent malencontreusement leur chapeau. Rentré chez lui, l'un d'entre eux s'endort et rêve... Il est Athanase Pernath (André Reybaz), tailleur de gemmes dans le ghetto de Prague. Après avoir résisté aux avances d'une voisine nommée Rosina (Françoise Winskill), le héros décide de venir en aide à la comtesse Angélina (Magali Noël) qui, amoureuse du docteur Savioli, espère duper son mari. Apparemment vaudevillesque, l'aventure prend rapidement une autre tournure entre autres inhérente à des rencontres singulières comme celles du ténébreux Wassertrum (François Vibert), du bienveillant Hillel (Robert Etcheverry), du virulent Charouzek (Pierre Tabard), de la belle Myriam (Marika Green) ou du Golem...
Par définition fédérateur, le téléfilm de Jean Kerchbron emprunte au roman-feuilleton les formules narratives qui, des “Mystères de Paris” (Eugène Sue, 1842-1843) aux “Misérables” (Victor Hugo, 1862), assurèrent le succès de maints ouvrages du genre. En multipliant quelques stéréotypes, le cinéaste parvient d'abord à théâtraliser l'enjeu allégorique de l'histoire. Nulle ambiguïté ne vient troubler notre compréhension des personnages dont la fonction tant diégétique que symbolique, s'impose clairement au fil des événements. Évidemment manichéenne, la relation entre les êtres s'agence autour d'une figure du Bien (Hillel) et de sa némésis (Wassertrum), antagonisme qui se décline au féminin via la présence simultanée de l'ingénue Myriam et d'une comtesse aux mœurs légères (Angélina). Ainsi l'interaction entre chaque protagoniste prime-t-elle sur le portrait psychologique pour octroyer au déroulement des épisodes un rôle primordial. Fort dynamique, la trame admet divers décors, plusieurs saisons et de multiples rebondissements. Méditation au sein d'une chambre austère, déambulations urbaines, conversations à l'intérieur d'une taverne, promenades romantiques en calèche ou expérience de la prison ; notre héros ne nous permet jamais de souffler, reproduisant de cette façon l'intense agitation des émotions qui l'assaillent. La mise en scène du parcours spirituel permet de simplifier sans éluder le soubassement métaphysique de l'intertexte. Suivant ce principe, Kerchbron retient notre attention en jouant sur des registres très différents. Dignes du mélodrame, certaines scènes d'amour conduisent à d'effrayantes hallucinations lesquelles peuvent être suivies par des séquences chantées (décrites par Meyrink dans le sixième chapitre du roman). De manière générale, le métrage se plie aux exigences induites par son statut de téléfilm et facilite l'accès du plus grand nombre au certes célèbre mais compliqué chef-d'oeuvre de Meyrink. Ce parti pris n'empêche guère le réalisateur de convoquer ici des thématiques somme toute assez complexes.
Pour l'écrivain autrichien, la marche du quotidien reflète l'activité de l'âme humaine et par élargissement la dynamique cosmique. Emprunte de symboles, notre réalité imiterait “la loi du monde extérieur (...) une octave en dessous”. À ce titre, le scénario a priori rocambolesque du film implique une lecture philosophique. De prime abord, cette adaptation du “Golem” s'avère celle qui demeure la plus fidèle au texte original. Contrairement aux trois DER GOLEM de Paul Wegener (1915, 1917 et 1920), cette version télévisée accorde une importance toute relative au monstre même. En effet, les oeuvres antérieures choisissaient de se concentrer sur l'instance folklorique au détriment des aventures adjuvantes. Si Gustav Meyrink mentionne ladite légende dans le cinquième chapitre de son écrit, la digression conserve un minimum de mythèmes : “L'origine de l'histoire remonte au XVIIème siècle, dit-on. Un rabbi de cette époque aurait créé un homme d'après des formules aujourd'hui perdues de la Cabbale pour lui servir de domestique, sonner les cloches de la synagogue et faire le gros des travaux. Mais ce n'était pas un homme véritable et seule une vie végétative, à demi-consciente l'animait. Elle ne subsistait même qu'au jour le jour, entretenue par la puissance d'un parchemin magique glissé derrière ses dents et qui attirait les forces sidérales libres de l'univers. Et lorsqu'un soir, avant la prière, le rabbi oublia de le retirer de la bouche du Golem, celui-ci fut pris d'un accès de folie furieuse et se mit à courir dans les ruelles en massacrant tout ce qui lui tombait sous la main.” (“Le Golem”, Gustav Meyrink, Stock, 1998, p. 38-39). Le rabbi se jeta sur la créature, retira le parchemin et l'homme de glaise s'effondra. Passé ce résumé, le monstre n'interviendra dans la fiction qu'à deux ou trois reprises.
En premier lieu allégorique, le Phénomène ne provoque pas vraiment la peur mais constitue explicitement un comparant métaphorique. Alliées ou subséquentes à l'étrangeté du monde environnant, les hallucinations de Pernath visent en revanche à susciter un indéniable malaise chez le lecteur / spectateur. Aussi, les déhanchements provocateurs de Rosina, l'errance silencieuse de citadins vêtus de noir, les danses orgiaques de silhouettes cagoulées ou bien l'apparition d'une femme fantomatique alimenteront l'évanescence du cadre référentiel qui, de ce fait, n'est pas sans rappeler certains métrages d'André Delvaux. L'opposition classique entre réalité et présence surnaturelle s'efface pour nous faire éprouver le désespoir d'un être apparemment plongé dans un cauchemar sempiternel. Pierre angulaire de la fiction, l'identification souhaitée explique l'omniprésence d'une voix off encline à indiquer les doutes, espoirs et découvertes du héros. Outre l'emploi restreint du Golem, la production télévisée colle au plus près de l'intertexte en soumettant sa propre diégèse à une logique peut-être plus symbolique que vraisemblable. La belle et pure Myriam se couvre d'ombre tandis que sa rivale entre dans la pièce. Il arrive à Athanase d'être projeté d'un lieu à l'autre et notamment dans une salle exempte de porte. Redéfinie par un esprit malade ou bien lucide, la mimèsis accuse une distorsion de l'espace-temps. Parachevée par l'esthétique expressionniste qui détermine le paysage urbain, la transcription cinématographique des univers propres à l'auteur du “Visage vert” acquière une portée mystique.
LE GOLEM relate le cheminement spirituel d'un homme qui, découvrant le Livre Ibbour, commence à entrevoir la signification du monde visible et en cela le véritable sens de l'existence. La vie de tous les jours comprend une foule de signes chargés de révéler au Sage la grande puissance du destin. Inapte à percevoir l'Idée dans sa globalité, le quidam subordonnera chaque incident à l'exercice du hasard. Aveuglés, les êtres s'apparentent donc à de vulgaires pantins, évoluant sans conviction ni âme au sein d'une cité dont ils ne saisissent pas l'intelligibilité. Danses macabres de silhouettes courbées, visage figé de Pernath, démarche articulée du monstre ; le motif de la pétrification gouverne l'excellent jeu des comédiens. À l'image du Golem, les citoyens se heurtent au mur de leur propre ignorance, sans même penser à s'élever vers les sommets insoupçonnés du Savoir. Ce dernier se gagne par l'esprit qui “désintègre le monde” et “c'est alors et alors seulement que commence la vie.” (“Le Golem”, idem, p. 123). Le caractère occulte du cosmos se dévoilera à l'initié pour emprunter l'obscure langage d'une alchimie laquelle associera la quête du passé à quelque transcendance. Un fois instruit, le personnage se trouve dans l'impossibilité de revenir en arrière. Dès lors débute pour lui — et le public — une aventure toute à la fois euphorisante et douloureuse, recherche mystique et artistique d'un idéal si proche et loin de nous.
Les éditions de l'INA nous offrent la possibilité de visionner le téléfilm dans d'excellentes conditions. En 1.33 et 4/3, l'image bien définie supporte de beaux contrastes. Seules quelques cassures suivies de poussières pourront heurter l'esthète et encore... Exempte de grain, cette image (tournée en 35mm et non en 16mm) présente un encodage sans faille. Encodé sur deux canaux mais, la piste son en mono admet de faibles variations mais reste claire dans l'ensemble. Un travail de restauration fort appréciable singularise ainsi un DVD qui, au regard des qualités propres au métrage, fait regretter l'absence de bonus si l'on excepte une bande promotionnelle dédiée à la collection "Les Grandes Fictions de la Télévision". Un petit documentaire chargé de replacer le film dans le contexte télévisuel de l'époque aurait été le bienvenu.