Au risque de décrédibiliser le sérieux qui nous gouverne, autant mettre les choses au clair tout de suite : la sexualité des ornithorynques reste floue, la couche d'ozone demeure un mystère et la colère des grizzlys, aussi. Et ce n'est pas GRIZZLY RAGE qui nous apportera une once de début d'explication.
Il était une fois une société de production canadienne qui voulut faire une série de films fantastiques à destination de la télévision et des rayons de vidéoclubs. Peach Arch Productions donna ainsi naissance à une collection «Maneaters Films» ayant invariablement comme sujet la nature qui s'attaque aux humains. Jaquette rutilante, accroche prometteuse… Avec un accord de distribution nord-américain via Genius Products (la société des Frères Weinstein, dont le nom est astucieusement relégué en tout eptit et au dos du packaging… trop honte des produits, peut-être ?), l'invasion animale était prête.
En dégainant avec GRIZZLY RAGE, nous avons le droit à un récit classique d'attaque animale. quatre jeunes étudiants venant d'avoir leur diplôme décident de fêter cela par une virée en pleine nature. En plein Manitoba, ils pénètrent sur un terrain privé afin de faire un peu de gymkhana en 4x4. Ils écrasent involontairement un bébé grizzly. Forcément, maman revient et elle n'est pas contente.
Plus classique, on fait pas. "Jeunes en délire + fureur animale + pénétration sur un territoire interdit = massacre". Une équation qui a fait ses preuves. Un calcul imparable. Sauf que… sauf que malheureusement, le résultat n'est pas tout à fait à la hauteur de ce que Genius nous a vendu. Tout d'abord le scénario. Il est signé Arne Olsen, connu –si l'on peut dire- pour avoir écrit LE SCORPION ROUGE, POWER RANGERS LE FILM et UN FLIC ET DEMI. Aïe ! Mais avec un budget avoisinant le million de dollars, une femelle grizzly et quatre acteurs, il est raisonnable d'espérer…. Non. Il ne faut rien espérer : le miracle n'aura pas lieu. Une fois le bébé grizzly renversé et l'attaque de la mère, le scénario s'est définitivement enlisé. Il existe bien quelques tentatives de le sortir de l'ornière tel qu'un accident de voiture et une explosion. Logiquement, lorsqu'un moteur fait «boum», tout avec lui dit «boum». Ici, non. L'un des protagonistes entre dans une maison abandonnée avec pièges gigantesques et autres fioles multicolores sous-tendant des expériences au creux des bois (dont on ne saura jamais rien) ainsi que des tonneaux de déchets toxiques abandonnés dans une lac voisin (le grizzly est- il radioactif ?). Il existe un proverbe canadien qui dit bien «Tout corps plongé dans un lac contaminé ressort de matelas» mais le scénariste a du trouvé un bon sommier puisque la léthargie l'emporte sur le reste. Les péripéties sont calamiteuses, voire complètement ridicules lors de la scène finale.
GRIZZLY RAGE baigne dans des abysses de conneries. Incohérences permanentes, dialogues non-sensiques, comportement idiot des personnages, avec une fois de plus –la marque de fabrique du manque d'imagination des scénaristes- le téléphone qui ne capte pas. Mais quand est-ce qu'un film d'horreur ne va-t-il plus utiliser ce ressort dramatique usé jusqu'à la corde ? Quand ? Et quand est-ce que des lycéens venant tout juste d'avoir leur diplôme n'auront-ils plus l'air d'acteurs qui ont dix ans de plus ? Quel spécialiste a instauré le fait que les grizzlys ouvrent des coffres de voitures, marchent dessus et savent renverser un 4x4 en bas d'un talus ? Depuis quand une porte en bois résiste à un grizzly enfermé à l'intérieur d'une maison ? Les grizzlys ont-ils un don d'ubiquité ? Depuis quand courir en tongs (quelle terreur !) est-il la manière la plus facile d'échapper à un monstre sanguinaire –alors qu'il y a la possibilité de chausser des baskets- ? Pourquoi ces satanés teenagers lancent du «Dude» à tout bout de champ pour remplir les dialogues ? Pourquoi cette femelle grizzly met-elle 86 minutes à les étriper ? Pourquoi ? POURQUOI ?
Pour la mise en scène, Peace Arch a fait appel à David DeCoteau, vieux briscard de la série B vite torchée. Souviens-toi les étés derniers, ami lecteur, de CREEPOZOIDS, PUPPETMASTER III mais aussi VOODOO ACADEMY et la série des BROTHERHOOD. Voilà, c'est lui... Et on retrouve ça et là ses marques de fabrique. Tout d'abord un sens du cadre, un soin de l'image et une photographie recherchée. Le passage à la HDCam s'est effectué de la meilleure manière qu soit, car le rendu visuel de GRIZZLY RAGE demeure d'excellente facture, aussi travaillé que ses productions en 35mm. Eclairages, profondeur de champ, dynamisme des plans : DeCoteau n'a rien perdu de sa patte. Une caméra mobile, à l'épaule, donne aussi l'illusion de suspense l'espace de quelques scènes de traque. Et l'on retrouve l'inévitable scène d'éclairs orageux de nuit. Mais même si l'on peut louer qu'il ait laisser tomber son scénariste attitré Matthew Jason Walsh du fait de la redondance des dernières œuvres, il ne demeure pas sûr que DeCoteau ait gagné au change. Le scénario d'Arne Olsen étant un naufrage d'imagination, le film se traîne péniblement vers ses 86 minutes réglementaires.
Quelques scènes d'attaque surnagent au regard du reste. L'utilisation d'un véritable grizzly demeure judicieuse pour l'impact. Un, car même si le scénario parle d'une femelle, un mâle a été utilisé pour le tournage. Les scènes les plus délicates furent tournées avec des effets spéciaux mécaniques, parfois d'ailleurs assez réussis, notamment lorsque le 4x4 est assailli et renversé. La mise en appétit dans le premier quart d'heure montre une caméra inventive, des accélérations d'image… le budget a du être conséquent avec une steadycam qui donne des effets agréables en caméra subjective ou encore une grue apportant des angles de vues amples et diversifiés. La scène où Brody Harms découvre le lac contaminé reste en ce sens l'une des meilleures du film. Une sorte de calme avant la tempête avec un soupçon d'étrange baignant l'écran.
D'autre part, qui dit DeCoteau, dit mec à moitié à poil pour n'importe quelle raison… manqué, en fait. Le nombre d'acteurs restreint, il n'y en a guère qu'un qui réussit à trouver une excuse afin de se débarrasser de ses vêtements. Tyler Hoechlin a été révélé par LES CHEMINS DE LA PERDITION de Sam Mendes… jamais titre ne fut aussi prémonitoire. Il se retrouve ainsi en pleine nuit, abandonnant ses frusques avant de grimper en boxer sur un arbre en laissant maman Grizzly sniffer le tout. Curieusement, il se retrouvera projeté à quelques mètres de là (maman Grizzly devine qu'il faut secouer l'arbre pour faire tomber le gaillard), loin du statut de "Sur un arbre perché". Il a quand même eu le réflexe de garder ses chaussures afin de courir dans les bois. Petit galopin,va.
Mais bon, avec tout ça, on aurait pu se dire que le film puisse trouver une direction novatrice. Un soupçon de subversion. Une touche de transgression ? Absolument pas. GRIZZLY RAGE suit à la lettre un cahier des charges de stricte obédience calviniste. La règle, rien que la règle. Transgression d'un espace marqué interdit ? La mort. Rouler comme des dingues avec un 4x4 pollueur au milieu de la nature ? la mort. Le film est destiné à la télévision ? Pas de sang. Ou alors juste un peu d'effets spéciaux numériques tous moches afin de simuler le sang. Pas de quoi se fouetter jusqu'à l'os à grands coups d'orties. Le dépôt de déchets toxiques ? Pour faire beau. La maison abandonnée avec trois lits qui se battent en duels et des fioles remplies de saloperies tripatouillées ? Même pas peur. Et le pire, c'est que cela ne sert à rien. De quoi devenir enragé ? Le film a beau s'appeler GRIZZLY RAGE, il y a bien un grizzly, mais ça manque de rage ! Où sont nos acteurs déchiquetés à grands coups de griffes ? Nulle part. On se sent comme en manque de massacre d'acteurs canadiens idiots, étourdi par la bêtise d'un scénario abscons et le manque de hardiesse de l'ensemble.
Adieux veaux, vache, cochon, grizzly, ornithorynque, marmotte, coloquinte jaune. Pour visionner de vrais films intéressants avec ce même animal, autant se délecter du GRIZZLY de William Girdler, épatante série B en Scope ou encore le saisissant documentaire GRIZZLY MAN de Werner Herzog. GRIZZLY RAGE ne possède rien de rédempteur, rien d'original. Aucune transfiguration de quelque sorte que ce soit. Juste un produit de consommation courante destinée à remplir des cases télévisuelles vides de sens. Il reste bien une mise en image soignée, mais comparée au vide intersidéral qui compose le reste de ce film, le spectateur y a largement perdu au change.
A la rigueur… mais vraiment à la rigueur la section bonus pourra rattraper… rien. Il n'y a rien à se mettre sous la griffe. Quitte à vendre la peau du grizzly avant de l'avoir tué, il faut se farcir le lancement de la galette afin de voir quelques images des autres films de cette série. Qui semblent pitoyables du peu qu'il nous est donné de voir ! Cette édition offre à peine le format original 1.78 :1 avec transfert 16/9ème qui donne, il faut l'avouer, une compression honorable et un contraste des couleurs particulièrement riche. Notamment les couleurs chaudes qui possèdent une texture veloutée du plus bel effet. Tout comme les teintes sombres : les noirs ont un relief notoire dans les scènes de clair-obscur. Hormis un menu fixe avec huit chapitres, cette édition rachitique offre une piste sonore anglaise avec une stéréo médiocre… alors qu'il existe selon le générique final un ingénieur du son ayant travaillé sur le mixage 5.1. Et où est-il, notre mixage 5.1 ? Probablement bouffé par maman grizzly qui en avait peut être marre de s'entendre gueuler pour rien dans les haut-parleurs ?