Une petite bourgade thaïlandaise, en bord de rivière, vient de perdre l'un de ses pécheurs. Les recherches débutent donc et bien vite, sa vétuste embarcation est retrouvée en pièces. Après avoir écarté la thèse de l'accident, les villageois évoquent la potentialité d'une attaque animale, celle d'un crocodile d'une taille tout à fait hors norme…
Quelque peu ravagée par le tourisme et une forte tendance à l'occidentalisation, la Thaïlande n'en demeure pas moins un pays magnifique et, par endroits, encore très sauvage. Ainsi, vous pourrez au détour d'une balade dans Lumphini Park (le plus beau parc de Bangkok) croiser d'étonnants lézards dont la taille peut atteindre un mètre cinquante. De même, un rapide tour en bateau-taxi vous permettra peut être de voir quelques crocodiles paraissant sur la rive du Mae Nam Chao Phraya, fleuve traversant la capitale. Lopburi, petite ville située au nord de Bangkok, est pour sa part envahie par des centaines de singes à tendance cleptomane… En s'éloignant des villes, la faune s'intensifie tout autant que la flore et le pays révèle davantage encore de richesses. En plus des chiens galeux et des poulets filiformes, la Thaïlande abrite donc naturellement des éléphants, des serpents, d'étranges insectes mais aussi des tigres, crocodiles, hippo-gloutons, singes et quantité d'autres bestioles plus ou moins avenantes… Riche d'une production cinématographique locale plutôt active, la Thaïlande a par conséquent toutes les billes en mains pour quelques métrages mettant en scène les fameux animaux tueurs que nous affectionnons tant…
Les Thaïs n'ont bien évidemment pas attendu la parution de cette chronique pour en prendre conscience et ont donc à leur actif quelques titres, notamment dans le domaine crocodilien qui nous intéresse ici. Passons rapidement sur le AGOWA GONGPO de Won-se Lee en 1978 qui, bien qu'intégralement tourné en Thaïlande, dispose d'un casting quasi-exclusivement coréen. Triste resucée du chef-d'œuvre de Spielberg, LES DENTS DE LA MER, le métrage fût retitré à l'international CROCODILE. Il convient dès lors de ne pas le confondre avec le CHORAKE de Sompote Sands, sorti trois ans plus tard. Doté du même titre international et connu chez nous sous le nom de LES MACHOIRES DE LA MORT, cette coproduction américano-thaïlandaise est née de l'impulsion du «producteur» Dick Randall, spécialiste de la bruceploitation (BRUCE CONTRE ATTAQUE, L'IMPLACABLE DEFI, CONTRAT POUR LA MORT), des pellicules érotiques fauchées (LE JOURNAL EROTIQUE D'UNE THAILANDAISE) et des improbables bisseries (le bien connu FOR YOUR HEIGHT ONLY). Terrifiant de laideur et d'incompétence, LES MACHOIRES DE LA MORT confrontait en toute simplicité de pauvres villageois à un crocodile géant exposé aux radiations atomiques… Si les amoureux de cinéma «expérimental» se jeteront sans doute sur ce clone thaïlandais et risible de GODZILLA aux forts relents de LES DENTS DE LA MER, les amateurs de légendes exotiques opteront en revanche pour la saga des KRAI THONG.
Portée à l'écran de nombreuse fois, la légende de Krai Thong est encore une fois celle d'un village soumis aux caprices culinaires d'un crocodile dodu. Terrifiés, les locaux font donc appel aux meilleurs chasseurs parmi lesquels le fameux Krai Thong qui se rendra bien vite compte de la supercherie : l'animal est en réalité Charavan, un sorcier capable de modifier son apparence pour croquer les villageois et kidnapper les demoiselles ! La légende sera adaptée au milieu des années 70 via un métrage connu sous le nom CROCODILE MEN et mettant en vedette la célèbre actrice cambodgienne Dy Saveth. Difficile à la vue du casting de découvrir les origines d'un métrage qui pourrait fort bien être le fruit d'une collaboration entre Hong-Kong et la Thaïlande (ou le Cambodge ?)… Moins obscures seront en revanche les mises en images thaïlandaises de la décennie suivante. KRAI THONG voit donc le jour en 1980 alors que sa suite déboulera en 1985. Tous deux mettront en vedette le célèbre acteur Thaï Sorapong Chatree. Nous noterons par ailleurs que bon nombre d'images du second opus seront «ré-employées» en 1988 dans l'incroyable navet hongkongais qu'est le CROCODILE FURY de Tomas Tang… Le nouveau millénaire verra ensuite apparaître en 2001 un remake de KRAI THONG mais aussi une suite sobrement nommée KRAI THONG 2 (2005). Une variante légèrement érotique, suite non-officielle du remake, verra enfin le jour en 2002 sous le nom fort original de KRAI THONG 2002. Terminons enfin ce rapide historique, de manière bien évidemment non exhaustive, en citant rapidement quelques titres exotiques tels que DONG CHA LA WAN, KHUNPHAEN : TO CLEAR THE CROCODILE ou encore GHOST CROCODILE. Voilà donc résumé trois décennies de morsures à l'écran, ce qui nous amènent finalement en 2005 avec l'apparition sur les écrans thaïlandais du crocodilien THE BRUTAL RIVER dont il est question dans ces lignes…
Réalisé par un Anat Youngngoun n'ayant alors qu'un seul métrage à son actif, THE BRUTAL RIVER opte pour l'éternelle même trame, celle nous contant l'attaque d'un village thaï par un crocodile d'une taille et d'une puissance hors norme. A l'heure actuelle, un tel souci serait sans aucun doute réglé de manière énergique par l'armée et c'est pourquoi il sera décidé de situer cette triste histoire en 2507… Petite précision toutefois, les dates annoncées en début de métrage sont celles du calendrier Suriyakati, en avance de 543 années par rapport à notre calendrier grégorien ! C'est donc en 1964 que le monstre commencera à sévir activement. Un pécheur, un chien puis un dragueur de pacotille seront ses premières victimes mais bien vite, la bestiole passera à la vitesse supérieure, aidée en cela par des villageois quelque peu patauds… En effet, le métrage adopte une approche très singulière et multiplie du début à la fin les séquences basées sur un principe d'action/réaction. Le schéma est dès lors fort simple : L'animal attaque, les villageois se réunissent et, galvanisés par le sosie nasal de Karl Malden, trouvent une nouvelle technique d'approche qui se soldera irrémédiablement par la consommation de nouveaux individus. THE BRUTAL RIVER s'avère donc pour le moins simpliste et rappelle même dans son déroulement la logique systématique des cartoons tels que Beep Bee et le Coyote.
Bien évidemment, l'humour trouvera sa place et l'air étonné des villageois face à la disparition brutale de leur moine ne saurait laisser indifférent. La fin tragique d'un adepte des explosifs aura le même effet sur nos zygomatiques mais ne nous leurrons pas : Si certains personnages ou situations relèvent à l'évidence du comique, THE BRUTAL RIVER reste un film qui se veut méchant et émotionnellement puissant… Cependant, ce n'est pas parce qu'il le veut qu'il l'est forcément ! Attachons nous donc tout d'abord à l'aspect «humain» du métrage qui se voit ici assuré par le biais de deux sympathiques duos. Le premier est constitué de deux frères si unis que l'un a décidé d'exhausser le rêve de l'autre en devenant militaire à sa place. Quant au second duo, il s'agit en réalité d'un couple que nous verrons naître et prendre son envol avant qu'un tragique coup de croc n'y mette brutalement fin. Via ces quatre personnages, le réalisateur tente fort classiquement d'impliquer le spectateur sur le plan affectif. Malheureusement, l'approche simpliste et même naïve dont il use ici n'obtiendra au mieux que quelques bâillements pour écho. L'accumulation de ralentis sur des visages songeurs et des accolades viriles s'associe à une partition musicale incroyablement mièvre pour un résultat évoquant indiscutablement les instants les plus tendus des FEUX DE L'AMOUR. Notons toutefois que, sans pour autant généraliser, cette manière «candide» d'aborder à l'écran les sentiments humains est une chose assez récurrente au sein des oeuvres thaïlandaises, notamment lorsqu'elles sont destinées au marché local. Dans le même ordre d'idée, l'admiration pour l'armée ainsi que le sens de l'honneur et du sacrifice pourront fort logiquement apparaître comme «décalés» ou «exagérés». Il s'agit cependant bien là de notions réelles et profondément ancrées dans l'esprits des Thaïs…
THE BRUTAL RIVER dégage donc un certain parfum d'«authenticité», d'autant plus agréable qu'il tranche clairement avec les productions thaïlandaises à vocation internationale. Bien que filmé sans réel talent, le métrage nous dévoile ainsi brièvement quelques coutumes, croyances et autres habitudes qui donnent à l'œuvre un charme et une fraîcheur indiscutables. Le cour de la rivière est lui aussi particulièrement mis en avant et sa beauté naturelle tranche en tous points avec l'artificiel danger qui s'y tapi… En effet, dans un pays peuplé de crocodiles, nous aurions sans aucun doute préféré voir évoluer un véritable animal, fusse t'il de taille plus modeste… Reste qu'il est toujours délicat de se frotter à l'une de ces bestioles, comme en témoigne le fort taux d'amputations accidentelles dont souffre la ferme aux crocodiles de Samut Prakan (30 kilomètres au sud de Bangkok). Préférant éviter ce type de désagrément aux acteurs, la production a donc eu recours aux effets spéciaux. Le rapport coût/possibilités étant actuellement à l'avantage des effets numériques, nous nous retrouvons dans THE BRUTAL RIVER avec une créature au look étonnamment futuriste évoluant au cœur d'un modeste village thaï des années 60… Inutile de dire que le choc est violent et que le croco de synthèse (dans la plupart des cas) porte à chacune de ses apparitions un coup fatal à l'esthétique globale du métrage…
Ce constat est en réalité d'autant plus dommageable que les actions du monstre sont globalement assez peu crédibles. N'allez pas croire pour autant que nous sommes là en présence d'un concurrent à CROCODILE FURY dans lequel l'animal furieux du titre grimpait aux arbres… Non, bien évidemment, mais celui de THE BRUTAL RIVER se permet tout de même le luxe de nager à une vitesse digne d'un hors-bord. Pas si mal pour un gros pépère… A cela, nous ajouterons un découpage des séquences d'action particulièrement confus, à tel point qu'il ne convient plus d'évoquer la table de montage mais plutôt le billot de boucher ! Là encore, le style est en totale opposition avec le propos du métrage et l'on ne pourra qu'être déçu par les assauts crocodiliens, finalement assez nombreux mais généralement incompréhensibles. Les amateurs de gore resteront en outre sur leur faim puisque, au-delà d'une eau légèrement rougeoyante, ils n'auront à se mettre sous la dent qu'une bien pâle ablation de jambes…
Malgré son cadre idéal et son authenticité rafraîchissante, THE BRUTAL RIVER n'est donc pas le film d'attaques animales espéré. Si le mélange des tons (comédie, action, horreur, nunucherie…) fonctionne plutôt bien, la structure même du film s'avère extrêmement laborieuse sur la durée. Le spectateur se voit ainsi contraint d'attendre patiemment chaque nouvelle trouvaille des villageois et chaque décevant carnage pour un canevas finalement bien pauvre que les amourettes ou autres ressorts comiques ne parviendront en aucun cas à masquer. Le métrage ennuie et, malgré son ambiance dépaysante, décevra à n'en pas douter les amateurs du genre. S'il ne fait aucun doute que le cinéma thaïlandais a de bien jolies choses à nous offrir, la vision de THE BRUTAL RIVER (et des autres métrages précités) semble nous indiquer que ce n'est pas pour le moment du côté des films crocodiliens que nous les trouverons !
Les chances pour que le métrage de Anat Youngngoun arrive un jour dans nos contrées étant particulièrement minces, il est fortement conseillé aux curieux de se tourner vers l'import pour le découvrir. L'acheteur pourra dès lors s'orienter vers Hong Kong (réputé pour ses tarifs avantageux) et la Thaïlande, berceau du métrage connu pour la piètre qualité générale de ses disques. Pour les besoins de cette chronique, nous avons opté pour la seconde option, plus riche sur le plan éditorial. Le DVDphile attentif pourra par ailleurs s'interroger quant aux durées annoncées sur les disques. En effet, la jaquette du DVD thaïlandais annonce fièrement une durée de 110 minutes alors que le disque hongkongais ne semble disposer que de 89 minutes de métrage. En réalité, les jaquettes sont erronées et le métrage s'étend sur moins de 87 minutes dans les deux cas.
Du point de vu de l'image, c'est sans surprise que la déception pointe le bout de son museau. Encodé à la truelle, le DVD thaïlandais laisse assez régulièrement apparaître d'énormes pâtés de pixels. Si ceux-ci s'avèrent tolérables la plupart du temps, ils relèvent en revanche du terrifiant lors des séquences nocturnes. Fort heureusement, la nuit se fait rare et seule l'introduction, nous familiarisant avec un pécheur somnambule exerçant son dur métier, peut à elle seule donner l'envie d'arracher brutalement le disque du lecteur… Les couleurs sont par ailleurs très ternes et ne rendent en aucun cas justice aux paysages locaux. Ajoutons de plus que les contrastes sont mous et que la définition est très insuffisante malgré l'encodage 16/9ème ici proposé. La copie s'avère en revanche assez propre et nous n'aurons à déplorer qu'une très faible quantité de soucis de pellicule. Terminons sur une touche positive en abordant le ratio 1.77 de l'image qui respecte à peu de choses près celui d'origine… Si le disque chinois dispose a priori de la même copie que le disque thaïlandais (mêmes défauts), il dispose en revanche d'une particularité des plus étranges. En effet, l'image s'est vue tronquée en haut et en bas puis étirée afin de remplir le cadre au ratio 1.77. De fait, le spectateur n'aura d'autre choix que d'assister à un spectacle déformé et ce quelque soit le mode enclenché sur son diffuseur…
Sur le plan sonore maintenant, le DVD thaïlandais, nous propose une première piste originale sur deux canaux ainsi qu'une seconde, mixée pour sa part en Dolby Digital 5.1. Difficile en réalité de faire la différence entre les deux options tant le résultat se révèle fade et sans relief. Les voix sont relativement claires, la bande originale est audible et les bruitages écoutables mais l'ensemble manque très nettement de précision. Le choix du multi-canal n'apportera strictement rien et si vos enceintes arrières sont par instant sollicitées, ce n'est que pour transmettre un duplicata du signal avant. Le constat n'est donc pas glorieux… A titre informatif, sachez que le disque hongkongais n'est en rien meilleur. Ce dernier fait toutefois l'impasse sur la piste thaïlandaise stéréo afin de privilégier un doublage cantonais fort peu d'à propos. Quelque soit le disque choisit, des sous-titres anglais clairs viendront vous épauler dans la compréhension du métrage.
Comme nous l'avons dit plus haut, le disque thaïlandais est seul à offrir quelques suppléments. Le premier d'entre eux n'est en fait qu'un petit Teaser étrangement destiné à mettre en valeur les deux personnages féminins du film. Aucun intérêt donc, ce qui nous permet d'enchaîner très vite sur un Making Of d'une durée supérieure à six minutes. La chose n'est a priori pas captivante mais il est vrai que l'absence totale de sous-titres ne simplifie pas sa compréhension ! Plus intéressant sera en revanche le dernier bonus dédiés aux crocodiles thaïlandais. Sur une durée avoisinant les neuf minutes, nous pourrons ainsi voir quelques spécimens en liberté mais aussi en captivité, évoluant au cœur de la fameuse ferme des crocodiles. Ce reportage est l'occasion pour le spectateur de voir quelques dresseurs entrer leur tête ou leur bras dans la gueule ouverte d'un monstre. Le résultat est indiscutablement impressionnant et ce même si l'on ne nous montre bien évidemment que quelques démonstrations réussies. Une rapide recherche sur internet nous permettra cependant de constater que ce show ne connaît pas toujours une fin heureuse et qu'en Thaïlande, l'argent des touristes peu parfois justifier les pires mutilations…