Claire travaille de nuit dans une station-service. Le matin, son petit ami Jimmy a pour habitude de passer la chercher pour la reconduire chez elle. Mais un matin, ce n'est pas lui, c'est un prétendu ami, Duke, qui ramène Claire. Duke laisse rapidement apparaitre un comportement menaçant envers la jeune femme et ne tarde pas à l'agresser une fois qu'elle est rentrée chez elle. Au moment de mourir, Claire se réveille à la station-service. Cette fois, c'est bien Jimmy qui vient la chercher mais la journée sera ponctuée de visions étranges et répétées où Claire finit toujours par mourir des mains de Duke…
GRUESOME est une production indépendante écrite et réalisée par les frères Crook, Jeff et Josh, pour qui c'est le quatrième long métrage. Leurs œuvres précédentes appartiennent aux comédies dramatiques mais pour leur première incursion dans le film d'horreur, ils s'en sortent drôlement bien. Loin d'être l'énième métrage horrifique s'inspirant de HOSTEL et consorts que nous promet la jaquette, GRUESOME se révèle plutôt intelligent et astucieux, autant dans son développement que dans l'explication finale. Nous ne révélerons pas la fin, cela va de soi, mais elle incite clairement à la réflexion plutôt qu'au dégoût devant des kilos de tripaille humaine qui n'ont de toute façon rien à faire ici.
Bien que le film débute de façon classique avec cette jeune femme se faisant méchamment trucider par un tueur des plus malsains, l'histoire bifurque rapidement vers le cauchemar éveillé. Les visions se révèlent particulièrement intrigantes ; sont-ce des prémonitions ? Des souvenirs ? Des flash-backs ? Elles surviennent à n'importe quel moment et le spectateur est soit perdu au risque de se désintéresser du reste, soit happé par l'intrigue en pressentant que les réalisateurs nous emmèneront vers l'inattendu. GRUESOME n'a aucune prétention mais a surtout le mérite de surprendre constamment et ainsi de déstabiliser son public qui pense avoir tout deviné à l'avance. Les frères Crook abattent alors leur dernière carte que certains jugeront moralisatrice mais qui paraîtra aux yeux d'autres comme l'ultime punition ou encore mieux, une justice poétique.
A défaut d'être gore (petit budget oblige), l'ambiance penche vers le psychologiquement tordu à travers le personnage du tueur. Incarné par Chris Ferry ayant déjà travaillé avec les frères Crook sur leur premier film, l'acteur insuffle un certain sadisme à son personnage et bien que ses œuvres se déroulent hors champ, voire par ellipse, cela en ajoute à notre imagination qui fonctionne dès lors à plein régime quant aux atrocités dont il est capable. Quelques images furtives nous en fournissent la preuve, en particulier lors d'un sympathique arrachage de visage accompagné de hurlements très douloureux à écouter.
Sa victime éternelle, Claire, est jouée par la toute jeune Lauren Currie Lewis qui possède une ressemblance presque déroutante avec Alicia Silverstone. Bien que l'actrice n'a qu'une apparition dans un court métrage à son actif à ce moment là, elle porte GRUESOME sur ses épaules avec un talent évident. Jeune femme ressemblant à tant d'autres de par sa vie de famille avec une mère que l'on suppose divorcée (le père n'est même pas mentionné), un petit ami immature, un travail alimentaire et des cours universitaires, l'horreur s'invite dans son quotidien sans crier gare et sans la lâcher d'une semelle. Son destin implacable prendra une tournure d'autant plus tragique au vu de cette vie si ordinaire dans une ville anonyme, se plaçant en parallèle à tant d'autres faits divers réels du même acabit.
Les seules touches d'humour du film viennent de Jimmy, le petit ami. Le jeune homme tourmenté par ses hormones n'hésitera pas à fantasmer ouvertement sur Jennifer, la meilleure amie de Claire, allant même jusqu'à leur proposer une partie à trois. Un joli rêve détruit dans l'œuf par Jennifer de façon plutôt humiliante pour le jeune homme mais comique pour le spectateur. Jimmy a également pour habitude de demander à Claire de pousser sa voiture quand elle refuse de démarrer mais en dépit de ces petits travers de caractère, on ne ressent pas d'animosité envers son personnage à qui l'acteur Cody Darbe insuffle plus de tendresse et maladresse que de méchanceté.
Le film tire entièrement parti de l'influence évidente d'UN JOUR SANS FIN en y ajoutant une dimension horrifique tout à fait intéressante. Visuellement, on n'est pas loin du troisième segment de l'excellent FAMILY PORTRAITS et bien que le métrage ne souffre pas du syndrome montage frénétique de tant de bandes récentes, il ne partage pas non plus le rythme alanguissant de l'œuvre de Douglas Buck. Toutefois, on ne peut nier certaines longueurs dues au fait qu'il manque un peu de matière pour satisfaire la durée d'un long métrage. On regrette également que le personnage de la mère n'ait pas plus de consistance alors qu'elle semble instrumentale dans le dénouement. Sélectionné au festival de Sundance en 2006 qui ne recule jamais devant les productions décalées, l'œuvre des frères Crook s'avère infiniment plus intéressante que les produits formatés sortis de Hollywood où l'argent a remplacé la créativité depuis bien longtemps et mériterait de trouver son public auprès de ceux qui préfèrent l'aspect cérébral au gore.
GRUESOME est proposé dans son format d'origine 1.78 dotée d'un transfert 16/9ème compatible 4/3. Le manque de budget se fait un peu ressentir au niveau de la qualité technique qui est bien loin des images léchées qu'on nous donne l'habitude de voir ces dernières années. Cependant, l'aspect un peu brut de décoffrage ne nuit en rien à l'ensemble et fait plutôt ressortir les qualités de l'histoire sans chercher à masquer ses défauts par des flots d'effets numériques. Les pistes sonores vont mettre tout le monde d'accord (ou presque) puisqu'il y en a deux, l'anglais sous-titré français et un doublage français tout à fait correct. Le seul format proposé est la Stéréo et bien que nous ayons un l'impression d'un retour aux sources avec une édition objectivement pauvre techniquement et au niveau du contenu, il est encore appréciable de voir que certains cinéastes privilégient le fond à la forme pour livrer un produit de qualité.
