En 2001, l'auteur de FAMILY PORTRAITS prenait la route de Cannes afin de présenter un court -métrage. Le jeune homme apprend alors qu'un remake du justement célèbre SŒURS DE SANG réalisé par Brian De Palma en 1973, est envisagé par Edward Pressman. Persuadé d'être l'homme de la situation, l'artiste tente d'approcher le producteur par l'entremise de son nouvel ami, Gaspar Noe. Peine perdue... du moins pour le moment. Quatre ans plus tard, Douglas Buck concrétise son rêve. Suite aux désistements respectifs d'Asia Argento et de Anna Mouglalis, la française Lou Doillon se voit offrir le rôle principal. Présente sur les plateaux de BLANCHE de Bernie Bonvoisin ou SAINT-ANGE de Pascal Laugier, la jeune actrice donne la réplique au chevronné Stephen Rea (LA COMPAGNIE DES LOUPS et ENTRETIEN AVEC UN VAMPIRE de Neil Jordan, V POUR VENDETTA de James Mc Teigue) et à la fort prometteuse Chloe Sevigny (AMERICAN PSYCHO de Mary Harron, DEMONLOVER d'Olivier Assayas, DOGVILLE et MANDERLAY de Lars von Triers). Si la reprise d'une oeuvre si personnelle bien qu'inhérente à une époque précise laisse d'abord dubitatif, les plus sceptiques, voire les puristes, ne peuvent passer outre ce qui, au vu des univers précédemment dépeints par notre cinéaste, devrait constituer une petite curiosité.
À l'occasion d'un spectacle organisé par une clinique psychiatrique, un jeune médecin (William B. Davis) fait la rencontre d'une belle femme, Angélique (Lou Doillon), dont l'existence ne paraît pas de tout repos. Soumise à un ancien mari (Stephen Rea) et une sœur jumelle tyranniques, le personnage semble cacher quelque secret. Grace Collier (Chloe Sevigny), une journaliste, tente de percer un mystère qui s'épaissit après le meurtre du pauvre amant.
La réinterprétation du chef-d'oeuvre de De Palma s'articule autour de trois postulats qui, loin de s'opposer, impliquent une progression tant diététique qu'intertextuelle. Relativement fidèle au film original, SISTERS emprunte ses topoi à d'autres pièces maîtresses du genre pour au final s'inscrire dans la continuité de FAMILY PORTRAITS. Ce premier mouvement illustre parallèlement l'incontestable évolution des protagonistes au sein d'une fiction qui, de ce fait, équivaudrait à une conclusion. Points centraux du métrage matriciel, la schizophrénie, le voyeurisme et l'outrecuidance du médecin fou motivent pareillement la caméra de Douglas Buck.
Ainsi la démence de l'héroine agence-t-elle l'ordonnance bipolaire du motif des jumeaux, tout à la fois appréhendé comme phénomène objectif (Angélique/Annabelle) et métaphorique (Angélique/Grace Collier). Engrangeant maintes interprétations, le double demeure une figure affectionnée par De Palma. D'abord inadmissible, la scission de l'être révèle l'inquiétante étrangeté d'une conscience découvrant l'existence de pulsions et fantasmes morbides au sein de sa propre psyché. Le géniteur de HOME conserve ladite trame et ses principaux adjuvants. Origine de la demoiselle, coupe de cheveux significative, regards ambigus ou polyphonie énonciative (“Soyons fous”, s'exclame l'aliénée) ; la maladie mentale admet divers indices lesquels redéfinissent le pacte de lecture en termes de reconnaissance, précisément comme éléments d'une ironie tragique parfois grossière (patronyme trop éloquent du docteur Lacan, par exemple). Désamorcé, le suspens hitchcockien cher à l'auteur de PULSIONS disparaît, si ce n'est via deux ou trois allusions au demeurant fort sympathiques. L'observation du meurtre par la fenêtre (FENÊTRE SUR COUR), la disparition prématurée d'un personnage présumé important (PSYCHOSE) ou les coups répétés portés par notre meurtrière sur sa victime (PSYCHOSE) relèvent de la simple allusion faute d'activer un réel climax. Point de surprise à ce niveau mais un discret et en cela subtil hommage. Sans être prépondérant, le thème du voyeurisme ordonne de même un certain nombre de séquences .
Si l'incipit nous présentant un show télévisé intitulé “Peeping Toms” s'efface pour laisser place à une étrange peinture d'une clinique spécialisée, la reformulation du fameux split-screen en caméra de surveillance capable de mettre en parallèle et de manière simultanée plusieurs espaces référentiels, s'avère judicieuse. Néanmoins, la négation du point de vue unique ne sous-tend pas la toute puissance du réalisateur démiurge puisque expliquée, dans notre cas, par la diégèse. Le procédé de style et le lyrisme corrélatif se plient aux exigences d'un réalisme non dénué d'austérité. À ce titre, la multiplication des mises en abyme chargées de souligner l'ambiguité éthique du septième art, tendra à perdre de son impact. Les moniteurs de contrôle, miroirs, cadres de fenêtre, téléviseurs ou projections de films soutiennent des scènes et un montage bien trop contemplatifs pour déranger vraiment. À l'évidence, Douglas Buck reste mitigé quant à remettre en cause les supposées dérives d'une société où les médias et les nouvelles technologies profanent les sphères sacrées du privé. Davantage conforme aux obsessions induites par l'oeuvre inspiratrice, l'archétype du médecin fou nourrit une réflexion, certes éculée, sur les enjeux et conséquences paradoxales d'une recherche scientifique privilégiant la découverte en tant que telle à la souffrance du patient. Monstre d'orgueil ou orgueilleux génie, Mr Lacan reste incapable de dissocier son indéniable fascination pour une malade exceptionnelle de son éventuel amour pour elle. Moins effrayant que son énigmatique prédécesseur, le docteur accuse quelques faiblesses. Sous antidépresseurs, inquiet pour son ancienne femme et souffrant de la situation, l'homme tente de raisonner sa protégée avec l'habileté d'un être sensible. Équivoque chez William Finley, l'empathie éprouvée par notre chercheur pour la belle Angélique singularise le jeu en demi-teinte du génial Stephen Rea.
De manière générale, le présent remake assume pleinement son héritage sans pour autant l'astreindre à une actualisation qui, convenons-en, mine la plupart des productions contemporaines du type. Nul recours aux montage épileptique, acteur stéréotypé, action tonitruante ou débordement gore mais au contraire l'universalité proclamée d'une fiction a priori fédératrice. De fait, le cinéaste n'hésite pas à mélanger les époques au fil de séquences comportant tour à tour de veilles voitures, des téléphones désuets et des machines plus récentes. L'enchevêtrement de l'espace temps correspond à celui des influences. Outre De Palma, David Cronenberg semble également inspirer l'artiste. Ce dernier retient du modèle une érotisation malsaine du corps mutilé. À l'image de FRISSONS, RAGE, FAUX-SEMBLANTS ou CRASH, SISTERS octroie au monstrueux une capacité à susciter des émotions extrêmes, nées de l'association communément admise entre désir, souffrance et mort. Substitut du vagin, la cicatrice amoureusement léchée par le conjoint s'érige en source de plaisir contre-nature. Cette subversion de l'érotisme conventionnel renvoie aux véritables et inédits présupposés métaphoriques du film.
D'origine philosophico-théologique (majeure partie des religions) puis psychanalytique (Freud), le dualisme éthique (bien/mal), psychologique (conscient/inconscient) et anthropologique (civilisé/primitif) qui écartèle symboliquement la jeune Angélique, ne pouvait guère trouver d'issue chez De Palma. Dorénavant soumis à un contexte sociologique précis, ce mouvement acquière une dimension peut-être plus positive car relative à une réalité qu'il est toujours possible de modifier. En effet, le réalisateur comprend l'amputation de l'héroine en relation avec une puberté encline à transformer une innocente fillette en femme esclave du masculin. On décide de séparer les jumelles lorsque les sentiments d'Angélique pour Philip deviennent “sérieux”. Comparable à une brisure de l'âme, la mélancolie de Grace s'explique par une enfance marquée par la pédophilie. En ce sens, l'intervention du mâle dans le parcours existentiel des descendantes d'Ève provoque une douloureuse disjonction identitaire. Mise sur un pied d'égalité avec le sexe opposé, la petite fille perd une partie d'elle-même en grandissant, spécifiquement une liberté incompatible avec son rôle social. Souillure du corps et de l'intégrité morale, la femme arbore un masque de circonstance. Un gros gâteau glacé ou un dialogue avec un garçonnet signalent pourtant la permanence d'une virginité cachée que notre personnage souhaiterait reconquérir. Pour ce, Angélique devra éradiquer son bourreau à l'aide du symbole fort que représentent ici de simples aiguilles à tricoter. La ménagère se révolte contre sa condition. Suivant ce principe, le cinéaste opère une réconciliation métaphorique entre les sœurs. Sublimée, la féminité retrouve sa pureté. Éloquent, le générique superpose l'image des foetus et l'écoulement salvateur d'une rivière. Dans une optique équivalente, le parc de la clinique s'apparente à un locus amoenus en enveloppant ses résidents dans l'atmosphère paisible d'une nature idyllique. La verdure, le silence et des visages d'enfants assoient la filiation du lieu aux univers paradisiaques typiques des pastorales. Une musique mélancolique se substitue aux partitions d'Herrmann, façon d'accentuer l'extrême sobriété d'une mise en scène influencée par l'oeuvre de Bergman. Enfin, les quelques fondus enchaînés et pendants scénaristiques (système de relais instauré par l'usage permanent du portable) consacrent des retrouvailles que De Palma n'avait osé même espérer. Faute de modernisation ou de réinterprétation, le métrage constitue donc une réponse donnée par l'audacieux Buck au questionnement posé par le chef-d'oeuvre original. La témérité ne paye pas toujours et ce nouveau SISTERS ne rend guère justice à l'originalité du propos. Déjà handicapé par l'interprétation aléatoire de Lou Doillon, le film pourrait horripiler un spectateur très justement rébarbatif au didactisme exacerbé de métaphores a priori intéressantes mais également exemptes d'émotion. Une curiosité, sans plus...
L'éditeur Wild Side pourvoit son DVD de qualités techniques plus que moyennes. De bonne facture tant au niveau de la définition que de la compression, l'image en 16/9ème souffre parfois de quelques fourmillements. Les amateurs de version originale auront ici le choix entre une piste Dolby 2.0 et du DTS plein débit. Si la première option particulièrement axée sur les médiums s'avère naturellement moins riche que la seconde, les possesseurs d'ampli datés et donc inaptes à lire le DTS, regretteront l'absence du Dolby Digital 5.1. Les autres privilégieront la seconde piste évidemment pêchue, accentuant davantage les basses et bien spatialisée. En Dolby Digital 5.1, la version française reste globalement appréciable sans pour autant s'apparenter au DTS. En effet, comparées à celle de cette dernière, les basses restent en retrait et certaines ambiances disparaissent.
En guise de bonus, Wild Side offre aux heureux détenteurs du dvd français d'ABANDONNÉE la seconde partie d'une conversion croisée, amorcée par Douglas Buck et Nacho Cerda au sein des suppléments dédiés au film du jeune espagnol. Les réfractaires au fantastique ibérique n'auront d'ailleurs aucune peine à suivre le fil d'une discussion laquelle aborde surtout l'irrémédiable solitude d'un cinéaste naturellement égocentrique et les problèmes liés au téléchargement. Apparemment très proches, les deux compères partagent une conception particulière du cinéma, objet de réflexion et par élargissement de catharsis. Les “Liens du sang” donnent la parole au géniteur de FAMILY PORTRAITS durant une trentaine de minutes. Genèse de l'oeuvre, soucis de casting, sources d'inspiration et thèmes principaux, l'intervention du réalisateur demeure assez consensuelle, chose étonnante au vu de sa filmographie. Judicieusement agencé (suivant la progression narrative et par acteur), l'album photos s'avère somme toute fort agréable à feuilleter. Les filmographies de Douglas Buck, Lou Doillon, Chloe Sevigny et Stephen Rea ainsi que cinq bandes-annonces ([REC], NOMAD, MON MEILLEUR ENNEMI, LE PENSIONNAT et SISTERS) complètent une interactivité dont la tonalité pédagogique reflète l'austérité de son sujet.
Pour une comparaison définitive avec le film original de Brian De Palma, Wild Side a surtout l'excellente idée de proposer les deux films dans un même contenant. Identique à celui diffusé auparavant par l'éditeur SŒURS DE SANG sera un disque béni ou bien une redondance en supplément pour ceux qui en ont déjà fait l'acquisition. Quoi qu'il en soit, l'original ayant déjà été traité en nos colonnes, nous vous renvoyons à sa chronique dédiée pour en apprendre plus sur l'œuvre de De Palma ou bien vous informer sur son récipient.