Suite au décès de son père, Elisabeth se rend sur une île où se trouve un couvent auquel le défunt accordait une importante somme d'argent annuelle. Voulant en savoir plus sur les religieuses qui vivent dans cet endroit isolé, elle va aller de rencontres étranges en évènements inexpliqués…
Dès son enfance, Mariano Baino a l'envie de réaliser des films mais ce n'est qu'à l'adolescence, lorsqu'il fait connaissance avec l'univers de Lovecraft, qu'il va comprendre dans quel genre il va se spécialiser. Après un passage dans une école de cinéma romaine, Baino réalisa deux courts métrages, DREAM CAR pour la télévision italienne et CARUNCULA qui connut un grand succès auprès du public dans les festivals. Baino reçut alors une offre financière d'un producteur russe du nom de Victor Zuev afin de réaliser un long métrage... Une offre que le réalisateur accepta sans savoir ce qui l'attendait. Le tournage avait été prévu pour se dérouler à Odessa mais toute l'équipe se vit priée de quitter les lieux après que Zuev ait vendu les plateaux à une autre compagnie de production. Contraints de tourner à proximité de Tchernobyl, d'autres complications vinrent s'ajouter avec, par exemple, la barrière du langage et les mauvaises traductions des professionnels présents mais aussi la destruction de décors entiers par les intempéries ou encore quelques incidents causés par le grand nombre de bougies allumées dans des endroits clos. Mais bravant toutes ces difficultés avec détermination, Baino et son équipe terminèrent un film qui n'est rien moins qu'un petit chef d'œuvre d'ambiance et un magnifique poème cinématographique en hommage au Maître de Providence.
Les écrits de Lovecraft ont inspiré moult cinéastes et écrivains avec plus ou moins de succès (Stuart Gordon, Ivan Zucco…). Son univers cauchemardesque et ses créatures innommables à peine décrites semblent puiser directement dans les peurs inconscientes de l'humanité. Les descriptions figuratives aussi sobres et économiques des monstres donne à chacun la possibilité de se les représenter selon sa propre sensibilité. De fait, il en résulte en général toujours quelque chose de plus puissant et à l'aspect torturé que seule l'imagination subjective de chaque individu est à même de décupler. A cet effet, la créature de Baino fait partie de celles qui risquent de vous poursuivre. Pourtant, avec un budget limité et un superviseur des effets spéciaux ayant déserté le plateau lâchement en laissant deux assistants avec le plus gros du travail, c'est une raison qui va forcer le monstre à ne faire son apparition qu'en fin de métrage. Ce qui était à l'origine une scène spectaculaire dans le scénario se voit réduit à pas grand chose mais Baino réussit néanmoins à nous faire comprendre exactement où il voulait en venir.
Avec peu de dialogues, le réalisateur raconte son film au travers d'images aussi belles que symboliques ce qui lui confére une ambiance résolument étrange et dérangeante. Choqué dans son enfance par une iconographie religieuse représentant la souffrance plus que la béatitude, Baino a incorporé ces éléments dans son film pour les développer avec une certaine maestria. Ainsi, lorsqu'Elisabeth arrive sur l'île, l'un des premiers événements auquel elle est confronté est une procession nocturne de religieuses accompagné d'une croix en feu. Maintenant tout du long l'ambiguïté autour des religieuses, on comprend finalement qu'en dépit d'actes monstrueux selon notre point de vue, elles agissent dans une démarche "autre" dicté par leur propre foi. Sacrifices humains ou auto-flagellations ne sont que les manifestations de leur propore morale ou culture tout comme nous sommes tous persuadés que notre propre perception des choses est la seule valable. Nous ne sommes finalement pas très éloigné de THE WICKER MAN de Robin Hardy.
Elisabeth est incarnée par Louise Salter (ENTRETIEN AVEC UN VAMPIRE), une jeune actrice anglaise dont le visage aux grands yeux innocents encadré d'une chevelure brune n'est pas sans rappeler certaines jeunes héroïnes du cinéma de Dario Argento (Mirella D'Angelo de TENEBRES, par exemple). Jeune femme moderne et bien habillée, elle se trouve obligée de se vêtir avec une longue robe informe comme les religieuses. Le film évoque alors autant les difficultés à s'adapter que l'acceptation de soi. Elle est entourée de Maria Kapnist dans son dernier rôle à l'écran. Actrice russe ayant connu un certain succès dans son pays d'origine, Kapnist incarne la Mère Supérieure, une vieille femme aveugle qui parle avec de curieux sons gutturaux traduient par une religieuse toujours à ses côtés. Les seconds rôles sont tous habités par des personnages bizarres et inquiétants, comme cet homme au physique ingrat qui se délecte de poisson cru au milieu de la nuit, un peintre aveugle qui voit plus clairement que les autres personnages ou encore l'embaumeur qui nourrit les mouettes avec les entrailles prélevées sur le défunt.
Au travers un film qui ressemble plus à un cauchemar, Baino emporte le spectateur dans une histoire aux relents morbides de LA MAISON AUX FENETRES QUI RIENT en n'oubliant pas de rendre visuellement hommage à d'autres réalisateurs qu'il affectionne comme Dario Argento ou Mario Bava. Une réalisation sans failles, des acteurs qui s'oublient derrière leur personnage et une ambiance soulignée par la musique atmosphérique d'Igor Clark élèvent ce DARK WATERS au rang d'œuvre indispensable à ceux qui se délectent de films atypiques qui ne se reposent pas sur des effets faciles par images de synthèse interposées. Les jurys de festivals l'ont d'ailleurs bien compris en décernant deux prix bien mérités au film, le Vincent Price Award à Rome en 1994 et le Prix du Public à Montréal en 1997.
Le DVD chroniqué ici concerne l'édition simple sorti chez NoShame ayant un pied aux Etats-Unis et l'autre en Italie. L'éditeur a également sorti un joli coffret Collector qui contient une réplique de l'amulette en pierre vue dans le film et un livret de 48 pages. En ce qui concerne les suppléments, les deux éditions américaines sont identiques avec, toutefois, un deuxième disque pour le Collector qui réunit dessus trois courts métrages de Baino ainsi qu'un Making Of et une galerie photos supplémentaires.
Pour cette seconde sortie en DVD du film du côté des Etats-Unis après le disque techniquement moyen de York, NoShame a procédé à un nouveau master à partir du négatif 35mm original. Le résultat, en plus d'un métrage vu dans son format 1.85 d'origine, est assez impressionnant. En dépit d'un éclairage parfois minimal, l'image reste nette et contrastée et les couleurs sont fortes et très belles.
Contrairement à ce qui est indiqué sur la jaquette, le format sonore n'est pas du Mono mais bien de la Stéréo. Une seule piste sonore est proposée avec la version anglaise. Ce qui peut s'avérer pratique, un sous-titrage anglais est aussi disponible en plus de sous-titres en italien. Dans l'ensemble, le son est très dynamique et possède une certaine profondeur qui ne fait pas (trop) regretter l'absence d'un éventuel nouveau mixage 5.1 auquel nous sommes pourtant de plus en plus habitués car le résultat ici est bluffant.
Le film est précédé d'une brève introduction du réalisateur qui se trouve plongé dans la pénombre avec une bougie à la main. Il est ravi que vous vous retrouviez devant son film auquel il tient beaucoup et remercie NoShame en passant pour le beau travail accompli. Nous passons ensuite au commentaire audio qui réunit Mariano Baino et Michele De Angelis, producteur chez NoShame. Baino parle très bien de son film, des problèmes de tournage, ses influences littéraires et cinématographiques. L'ensemble est plaisant et informatif.
Les scènes coupées se déroulent en continu sur un peu plus de sept minutes et sont juste précédées d'un carton titre expliquant que vous pourrez voir ici tout ce qui a été coupé ou remonté pour en faire le Director's Cut final. Vous y verrez des scènes entières alors qu'à d'autres moments, il ne s'agit que d'une image ou deux qui passent à la vitesse de l'éclair. Curieux mais non dénué d'intérêt. Le bêtisier, par contre, n'est pas spécialement drôle en soi. Il est accompagné d'un commentaire audio de Baino ce qui s'avère pratique pour comprendre un peu mieux de quoi il s'agit.
Deep into Dark Waters est une featurette plus qu'un véritable Making Of en dépit d'une longueur de cinquante minutes. Il s'agit d'interviews du réalisateur, des acteurs et de l'équipe technique entrecoupés d'images du film, du tournage et de très beaux dessins de production. Véritable mine d'or pour le spectateur qui veut en savoir plus, le seul bémol concerne le son qui présente parfois de sérieuses lacunes. Et nous terminons cette édition DVD très satisfaisante avec une galerie photographique qui défile pendant sept minutes sur un fond musical qui aura l'avantage de vous replonger pendant ces quelques instants dans l'étrangeté du métrage.