La légende veut que Tokyo fût construite dans la région de Kanto, à l'endroit même où, plusieurs siècles plus tôt, le guerrier Masakado tenta de créer une cité vaste et prospère. Bien qu'assassiné avant d'avoir pu réaliser son rêve, l'homme continue aujourd'hui encore de veiller paisiblement sur la capitale… Nous sommes maintenant en 1908 et le sorcier Kato décide de vouer sa vie à la destruction de Tokyo. Pour cela, le diabolique personnage va tenter de réveiller Masakado qui, selon la légende, entrera dans une colère telle qu'il détruira tout ce qu'il a contribué à créer. Kato part dès lors en quête d'une enveloppe humaine capable d'accueillir la réincarnation de la divinité caractérielle.
Le Japon est un archipel d'environ 3000 kilomètres de long situé à la croisée des plaques tectoniques philippines, eurasienne, et nord-américaine. De fait, le pays subit plusieurs milliers de secousses sismiques par an et est de surcroît sujet aux tsunamis. De cette précarité née un sentiment de crainte, régulièrement alimenté par des prédictions annonçant la submersion imminente du pays. L'apocalypse est donc omniprésente dans l'esprit des japonais et sait se rappeler à eux de manière aussi régulière que particulièrement violente. C'est ainsi que le tremblement de terre de Kobé (magnitude 6,9) emporta officiellement en 1995 plus de 5000 vies. En 1946, c'est une secousse de magnitude 8,6 sur les îles Aléoutiennes qui engendrera des vagues de 35 mètres et plusieurs centaines de morts. Mais le plus grand cataclysme naturel que le Japon ait connu remonte au 1er septembre 1923, lorsqu'un séisme d'amplitude 7,9 rase totalement les villes de Tokyo et Yokohama, faisant plus de 140.000 victimes. De ce drame monumental naîtra une peur véritable et concrète. Comme c'est souvent le cas, le Japon exorcisera cette appréhension en la mettant régulièrement en scène sous différentes formes : romans, mangas, films d'animation, films, poèmes et toiles. Un processus similaire sera du reste à l'origine de GODZILLA et des autres monstres atomiques, tous fruits de la crainte du nucléaire engendrée par le drame de Hiroshima…
En 1971, l'écrivain Hiroshi Aramata apporte sa pierre à l'édifice en livrant un copieux roman nommé «Teito Monogatari» («The Tale of the Capitol»). L'œuvre apocalyptique nous expose de manière pour le moins mystique les événements qui ont engendrés le séisme de 1923 (entre autres). Pour cela, l'auteur fait appel aux croyances populaires et truffe son récit de divinités connues de tous. Masakado n'est donc pas un personnage fictionnel mais bel et bien un guerrier rebelle qui sera le «fondateur» d'un petit village de pécheurs nommé Shibasaki. C'est sur ce site que naîtra Edo qui deviendra bien évidemment Tokyo en 1868. Taira no Masakado est aujourd'hui une divinité bienveillante qu'il convient toutefois de ne pas offusquer : Si le respecter apporte prospérité à la cité, l'offenser provoque en revanche des drames géologiques incontrôlables… C'est bien évidemment cet aspect du personnage qui intéresse Hiroshi Aramata et c'est donc fort logiquement qu'il va «titiller» le demi-dieu à l'aide d'une autre créature issue du folklore japonais. En effet, le diabolique Yasunori Kato n'est autre qu'un Onmyoji, un sorcier pratiquant la magie à des fins démoniaques ! C'est ce cocktail de personnages, de références aux cultures locales et de faits historiques qui font de l'œuvre de Hiroshi Aramata un roman culte et unique destiné bien entendu à être décliné à l'écran.
La première adaptation cinématographique officielle sera le TOKYO, THE LAST MEGALOPOLIS de Akio Jissoji, datant de 1988, que nous évoquons ici même et dont le titre original est TEITO MONOGATARI. L'année suivante déboulera CAPITAL GREAT WAR (TEITO TAISEN en version originale), la suite officielle nous narrant le grand retour de Kato en 1945. Bien évidemment, c'est cette fois-ci le drame de Hiroshima qu'il faudra voir en filigrane de cette nouvelle aventure… 1995 verra enfin l'arrivée sur les écrans d'un troisième et dernier film «live» au script rédigé par Izo Hashimoto, déjà co-scénariste du métrage AKIRA. Ce troisième métrage nommé CAPITAL STORY : SECRET REPORT (TEITO MONOGATARI GAIDEN en japonais) nous exhibera là encore le grand Kato dans ses œuvres. Outre ces trois opus cinématographiques mettant en scène des acteurs de chair et d'os, «The Tale of the Capitol» sera aussi décliné en 1991 sous la forme de quatre OVA (Original Video Animation) réalisés par le maître Rintaro, papa de ALBATOR et réalisateur entre autres de METROPOLIS. C'est essentiellement cette version animée (nommée DOOMED MEGALOPOLIS), d'une qualité exceptionnelle, qui marquera les esprits. Sur le pur plan scénaristique, les quatre segments de l'animé reprennent ni plus ni moins la portion d'histoire développée sur les 140 minutes (environ) du film de 1988. Reste qu'outre cette base, chacune des deux adaptations parvient à se créer une identité propre.
L'un des éléments capitaux des différentes adaptations est bien entendu le personnage central de l'histoire : Yasunori Kato. Seul individu à traverser les époques et donc les métrages (la saga s'étend sur plusieurs décennies), Kato est l'entité maléfique que Hiroshi Aramata tiendra pour responsable des grands maux du Japon. Entièrement dévoué au mal et à la destruction, l'homme se devait de trouver, pour son passage à l'écran, un interprète de qualité. Ce sera chose faite avec l'acteur Kyasaku Shimada, réellement imposant et impressionnant. Son visage dur, sa mâchoire carrée, son regard fou et sa stature hors normes donnent à Kato une prestance tout simplement incroyable. La voix grave de l'acteur termine de faire du sorcier un monstre digne de celui décrit dans le roman… Contrairement cependant à ce qui était écrit, Kato sera ici vêtu la plupart du temps d'un uniforme militaire Japonais, faisant ainsi le lien entre le Japon traditionnel et une ère plus «dure» orchestrée par l'armée. Cette tenue lourde de sens (le personnage incarne le «Mal») sera bien évidemment reprise dans les OVA ainsi que dans les deux suites. Kyasaku Shimada reprendra pour sa part ce rôle d'importance pour le second opus et le doublage des films animés… Face à ce personnage au charisme envahissant, il fallait bien entendu une poignée de braves oeuvrant pour la sauvegarde de la mégapole. Parmi ceux-ci nous noterons tout d'abord la présence d'un Shintarô Katsu vieillissant. L'homme qui fût l'inoubliable interprète du masseur aveugle ZATOICHI mais aussi le producteur des BABY CART et HANZO THE RAZOR, nous offre ici une composition parfaitement désabusée. Responsable de la cité de Tokyo, son personnage (Eichi Shibusawa) prend bien vite conscience du paradoxe que représente une croissance aussi rapide pour une ville soumise de manière aussi régulière aux caprices de la géologie et des démons. Bien qu'en retrait, ce personnage sobre et sage permet à l'acteur de briller dans un rôle très différent de ceux qu'il avait coutume de jouer… Autre personnage d'importance en la personne de Hirai Yasumasa, interprété ici par le brillant acteur Mikijiro Hira (AZUMI 2, SWORD OF THE BEAST, etc...). Hirai est un moine familier des croyances locales et de la magie ; ce qui lui permettra, un temps du moins, d'être le rempart freinant la progression du monstrueux Kato. Le reste du casting, plus jeune, ne déméritera pas même s'il se trouve malheureusement éclipsé par les trois monolithes précédemment cités. Un point bien regrettable car bien vite, le spectateur se souciera assez peu de cette brochette de comédiens pour se focaliser sur les apparitions spectaculaires du sorcier Kato.
Et, sur ce point, aucun doute, le réalisateur Akio Jissoji sait y faire. Fortement impliqué tout au long de sa carrière sur la longue saga ULTRAMAN, l'homme a l'habitude du sensationnel et nous livre ici une œuvre particulièrement graphique. La mise en scène est soignée, la beauté de certaines séquences étonne et les maquettes côtoient à merveille les décors pour une reconstitution très poétique d'un Tokyo évoluant sur plusieurs époques. Akio Jissoji n'est par ailleurs pas le genre d'individu à se contenter de «suggérer» l'horreur et le fantastique. Ce qui importe avant tout pour lui, c'est la générosité. Dans cet esprit, le film multiplie le recours aux effets spéciaux avec notamment un très bel usage de l'animation en Stop-Motion (technique d'animation image par image chère à Ray Harryhaussen par exemple). Les sortilèges qu'envoie ainsi Kato se présentent sous la forme de papiers virevoltants sur lesquels sont inscrits un pentagramme. Dès qu'ils atteignent leur but, ces feuilles d'apparence inoffensive se froissent et se plient, à la manière d'horribles origamis, pour donner naissance à différentes créatures maléfiques. Malgré l'aspect «daté» de ces effets, on ne peut que saluer le travail accompli et la quasi-perfection de certaines de ces «transformations». Du bien bel ouvrage qui ne serait bien entendu rien sans un bestiaire visuellement convaincant. Là encore, qu'il s'agisse de la larve sortant de la gorge de l'héroïne ou du Buddha prenant vie, c'est un sans faute. A noter de plus une petite curiosité puisque H.R. Giger, célèbre artiste plasticien à qui l'on doit les créatures de ALIEN et LA MUTANTE, est ici crédité au générique pour l'une de ses créations. Rien de fabuleux toutefois et le résultat de son travail, le Goho Dohji, dénote même réellement avec l'ambiance et l'esprit du film…
TOKYO, THE LAST MEGALOPOLIS est par ailleurs un film qui regorge d'images aussi puissantes que belles. Le sacrifice de Hirai, par exemple, nous dévoile un long filet de sang glissant le long d'un rouleau (parchemin de l'époque) dans le but de prédire la date de la destruction de Tokyo. Cette image incroyable sera bien évidemment reprise dans l'adaptation animée de 1991 pour laquelle le sang formera un Kanji évocateur. Il en sera de même pour la stupéfiante scène du parasite vomi par la belle Yukari (l'actrice Keiko Han). Rintaro accentuera encore la forme phallique de l'«intrus» et l'impact de la scène mais qu'importe car toutes les bases du succès des OVA de 1991 se trouvent dans ce MEGALOPOLIS version Akio Jissoji. En revanche, Rintaro apportera un «plus» indiscutable en terme de clarté scénaristique. En effet, le roman d'origine s'avère particulièrement dense et l'idée même d'une adaptation conservant la richesse de l'ensemble semblait ridicule. Akio Jissoji relève le défi et tente donc de préserver l'aspect historique de l'entreprise, sans pour autant oublier les évocations mythiques, l'évolution démographique, la peur d'un avenir incertain, les phases fantastiques, une vision engagée de l'armée, etc... Tout cela représente bien évidemment trop de sous-intrigues et de sous-entendus pour un seul film. Dès lors, le réalisateur a recours aux ellipses et tente de «tailler dans le gras». Peine perdue car au final, TOKYO, THE LAST MEGALOPOLIS s'avère pour beaucoup incompréhensible à la première vision. Et c'est bien là l'un des rares défauts de ce film hors du commun : En voulant réaliser une adaptation «parfaite», Akio Jissoji néglige les contraintes cinématographiques (notamment de durée) et offre un récit confus nécessitant une très bonne connaissance des différentes thématiques abordées. Passé la beauté visuelle, les créatures et l'interprétation sans faille, le spectateur risque donc de se perdre dans les méandres d'un métrage décidément bien trop ambitieux…
Pour faire du visionnage de TOKYO, THE LAST MEGALOPOLIS une expérience réussie, nous n'aurons donc d'autre choix que de lire le roman ou de regarder au préalable l'adaptation animée. En effet, sur une durée totale légèrement plus élevée, Rintaro parvient à mieux gérer l'ensemble en omettant volontairement quelques faits et sous-propos. Le cheminement général devient dès lors bien plus limpide et le spectateur peut enfin se lancer dans la version de 1988 avec les idées claires et la volonté d'approfondir la découverte. Reste qu'une telle démarche n'est pas spontanée et qu'elle nécessite un investissement très hors normes. Pour beaucoup, TOKYO, THE LAST MEGALOPOLIS ne restera donc qu'un film magnifique, bourré de trouvailles visuelles mais malheureusement parfaitement indigeste. Dommage.
Malgré son succès au Japon, TOKYO, THE LAST MEGALOPOLIS connaîtra une distribution des plus chaotiques en France. C'est tout d'abord la version animée qui sera distribuée en VHS par l'éditeur «Manga Vidéo». La version «live», proposée avec un doublage français hasardeux, n'apparaîtra que plus tard sous l'initiative du peu scrupuleux éditeur «Initial». La VHS restera moins de deux semaines dans les bacs car très vite, «Manga Vidéo» attaque en justice. Ce recours ne concernera nullement les droits du métrage mais ceux du logo utilisé, lequel copie honteusement celui de «Manga Vidéo», créant ainsi un lien qui n'existe pas entre les deux sociétés. «Initial» perd fort logiquement le procès et met la clef sous la porte. Ce sera la dernière fois que nous entendrons parler de MEGALOPOLIS (version animée ou «live») sur le sol français puisqu'aucun DVD n'a, à ce jour, fait surface… Pour découvrir le film de Akio Jissoji, il faudra donc se tourner vers l'import. Les alternatives les plus simples sont le disque américain et le disque britannique. Cette chronique traitera de la seconde option car, en apparence du moins, elle dispose d'une interactivité plus large…
Evoquons tout d'abord le cas de l'image qui nous est ici proposée au format 1.85 d'origine. Encodée en 4/3, celle-ci s'avère en fait particulièrement laide. Difficile d'évoquer l'intégralité des défauts tant la liste semble longue… Sachez cependant que nous avons là quelque chose qui se rapproche fort (très fort même !) d'un transfert issu d'une VHS de mauvaise qualité. Le spectateur pourra du reste retrouver sur son DVD les caractéristiques typiques des cassettes vidéos à la bande vieillissante (bordures rosies et/ou verdies) ! La définition n'est bien évidemment pas à la hauteur, les couleurs sont fades et les artefacts très nombreux. Bien qu'encodée elle aussi en 4/3, la version américaine s'en sort déjà bien mieux avec des couleurs plus vives, une image plus nette et un grand nombre de défauts en moins. La version Zone 1 est donc à privilégier et ce même si la qualité globale du master n'est clairement pas satisfaisante… On notera, pour en finir avec l'image, une très légère différence de cadrage entre les deux éditions.
Concernant les pistes sonores, nous n'aurons droit qu'au japonais en stéréo d'origine. La piste est claire mais manque gravement de pèche et de relief. L'ensemble reste toutefois très audible et nous rappellera, là encore, l'époque de la vidéo bon marché. Nous tenons cependant à préciser aux possesseurs d'amplificateurs que l'unique option sonore du DVD semble réagir très curieusement au traitement ProLogic. En effet, lorsqu'on opte pour ce décodage, seule l'enceinte arrière droite de votre installation sera alimentée en son. En vérité, les autres le seront aussi, mais si timidement qu'il faudrait se les coller sur la tête pour que ce soit perceptible ! Nous recommandons donc de privilégier une restitution classique en stéréo pour cette bien étrange galette… Pour accompagner la piste japonaise, l'éditeur propose un sous-titrage jaune, baveux et intégré à l'image. Bref, tout ce que l'on n'aime pas sur DeVil Dead ! Nous noterons par ailleurs que ces sous-titres ne contiennent pas vraiment de fautes mais, dialogues aidant, s'étendent parfois sur trois lignes, ce qui peut être pénalisant pour l'image.
Sur le plan éditorial, la jaquette annonce quelques bonus aux intitulés alléchants. Malheureusement, le DVDPhile va vite déchanter lorsqu'il va constater que tous, sans exception, sont constitués de pages fixes au contenu parfois inapproprié… La section «Warriors Artwork», par exemple, cache en réalité sept pages fixes exhibant quelques jaquettes DVD de l'éditeur en très basse résolution. Nous y retrouverons donc et entre autres les BABY CART, LADY SNOWBLOOD ainsi qu'une poignée de ZATOICHI. Voilà pour la première déception ! Le bonus «Movie Stills» donne quant à lui accès à six images promotionnelles ou affiches de TOKYO, THE LAST MEGALOPOLIS, là encore dans une résolution ridicule. La «Galerie» est sans doute le supplément le plus mal nommé puisqu'il nous invite en réalité à découvrir les filmographies des cinq acteurs principaux du film, toujours sous forme de pages fixes à faire défiler.
Deux biographies en anglais viennent enfin compléter l'ensemble. La première, constituée de trois pages, est dédiée au réalisateur Akio Jissoji. On y évoque très rapidement la carrière du monsieur avant de partir on-ne-sait-trop-pourquoi sur TOKYO, THE LAST MEGALOPOLIS et nous délivrer quelques anecdotes de tournage. Une source d'information à éviter de toutes urgences puisque les informations qu'on y trouve sont fausses. C'est ainsi par exemple que le terrible séisme du 1er septembre 1923 se verra avancé à l'année 2002… Très douteux… La seconde biographie n'est guère mieux et ne tient que sur une seule page. Il s'agit de celle de Shintarô Katsu qui, s'il on en croit les écrits, était plus un alcoolique amoureux du cigare qu'un acteur/producteur ! L'édition britannique s'avère donc très décevante en tous points et c'est pourquoi nous ne pouvons que recommander, à notre grand regret, l'édition américaine pourtant bien chiche…