Adapté du chef d'oeuvre de Peter Straub, LE FANTÔME DE MILBURN crée la surprise auprès des amateurs de fantastique traditionnel au début des années 80. Mise en scène par John Irvin, cette ghost story (histoire de fantôme) ne reflète pas vraiment l'orientation que la carrière du cinéaste prendra ultérieurement. À l'origine du CONTRAT, HAMBURGER HILL ou LA GUERRE DES NERFS, notre réalisateur souhaite traduire ici le caractère feutré, voire indicible, de l'Épouvante telle qu'elle s'éprouve et se comprend chez les fantastiqueurs dits victoriens. Essentielle dans ce cas, l'atmosphère demeure la principale génératrice de peur et nécessite pour s'imposer les compétences d'une excellente équipe technique. Irvin ne s'y est pas trompé en choisissant comme directeur photo Jack Cardiff, entre autres responsable des magnifiques images des CHAUSSONS ROUGES, NARCISSE NOIR ou AMANTS DU CAPRICORNE. Pareillement fondamental, le son bénéficie du savoir-faire de James R. Alexander lequel s'est distingué au sein de productions aussi variées que LE MYSTÈRE ANDROMÈDE, FUREUR APACHE ou LA SANCTION. Un montage fluide chargé de distiller progressivement l'angoisse ; telle est la clef de voûte de tout bonne fiction d'horreur classique. Rodé par son travail sur TAXI DRIVER ou LA PORTE DU PARADIS, Tom Rolf s'acquitte brillamment de cette tâche. Enfin, un prestigieux casting achève d'expliquer la réussite d'une oeuvre utilisant à bon escient toute l'expérience et le talent de Fred Astaire, Melvyn Douglas, Douglas Fairbanks Jr. et John Houseman. Agé de 92 ans, celui qui enchanta les foules par ses virevoltes, claquettes et entrechats donne ainsi la réplique à d'autres figures du septième art. De Wyler (LE GRAND AVOCAT) à Lubitsch (L'ANGE) en passant par Cukor (LA FEMME AUX DEUX VISAGES), Nicholas Ray (SECRET DE FEMME) ou Siodmak (PASSION FATALE), Melvyn Douglas inspira la caméra de maintes maîtres. De son côté, Fairbanks a préféré privilégier dans sa carrière l'aventure et la comédie sentimentale (LA FEMME AU MANTEAU D'HERMINE). Présent sur le plateau des TROIS JOURS DU CONDOR ou sur celui de FOG, Houseman se produisait régulièrement à la télévision tout comme Patricia Neal qui éclaira de sa beauté LE JOUR OU LA TERRE S'ARRETA. Impressionnante dans SILENT HILL, Alice Krige complète cette époustouflante distribution.
Suite au décès suspect de son frère, un homme (Craig Wasson) retourne dans sa ville natale pour tenter de comprendre les raisons du drame. Ce dernier serait lié au Club de la Chaudrée, espèce de cercle littéraire qui compte parmi ses membres le propre père du héros. Apparemment anodines, les veillées au coin du feu au cours desquelles quatre vieillards se plaisent à partager des contes fantastiques dissimuleraient un sombre secret.
Fidèle au texte de Peter Straub, LE FANTÔME DE MILBURN conforme son cadre référentiel à l'imagerie gothique revisitée par l'Épouvante victorienne. Enfouie dans un épais manteau de neige, la petite cité de Nouvelle-Angleterre semble préserver ses habitants des affres de la modernité en les figeant au sein d'un quotidien imperméable à tout progrès. Cette torpeur générale nourrit un certain nombre de sites et de figures que l'on croirait directement issus des Christmas Tales (Charles Dickens) ou des nouvelles de Jean Ray. L'atmosphère ouatée d'ancestrales demeures accueille ainsi des personnages dont le grand âge implique une sagesse tranquille que la quiétude d'un feu de cheminée, de bons cigares ou verres de cognac s'empresse de consacrer. Tel le Club Littéraire d'Upper-Thames (Les Derniers contes de Canterbury, Jean Ray), celui de la Chaudrée paraît avoir stoppé la course du temps afin de jouir d'une éternelle vieillesse. Ce pied de nez à la camarde s'appuie d'abord sur un respect des traditions dont l'une consiste à se grouper régulièrement en vue de raconter des contes surnaturels. Immuable, le rituel permet à nos protagonistes d'évoluer dans une espèce de hors temps que la superbe photographie de Jack Cardiff parvient sans peine à magnifier. Comme enveloppées par la lumière diffuse des candélabres, lampes désuètes ou soleil hivernal, les composantes du décor voient leurs contours s'estomper pour conférer à l'univers représenté une dimension presque irréelle. Cet onirisme général se trouve de même alimenté par les subtiles teintes sépia lesquelles singularisent divers flash-back. Au classicisme esthétique s'ajoute une structure narrative rigoureusement agencée. Des morts suspectes déclenchent une enquête dont la majeure partie des clefs réside dans un passé qu'il conviendra de dépoussiérer. Le suspense ordonne une trame fort simple qui, de cauchemars en discussions puis en actions, fait correspondre sa thématique aux perspectives édifiantes du fantastique classique. En ce sens, l'évolution téléologique de nos héros ne surprend guère, bien au contraire. Si LE FANTÔME DE MILBURN ne se distingue pas vraiment par l'originalité de son propos, le spectateur comprend très vite que ce respect des conventions tient davantage d'une stratégie précise que d'un quelconque asservissement à l'horizon d'attente.
En enfermant chaque protagoniste dans l'intermonde que constitue ici l'automne de la vie, notre cinéaste assoie apparemment la carapace trompeuse du rêve pour mieux l'anéantir ensuite. Car le réel accompagné de son terrible corollaire la Mort ne tarde pas, présume-t-on, à se manifester. Déjà présente via l'entremise d'indices éloquents — fragilité des vieillards suggérée par d'imperceptibles tremblements, démarches hésitantes et regards perdus — la Grande Faucheuse paraît abattre ses dernières cartes en provoquant des accidents violents ainsi que d'infernales visions. Ces dernières doivent principalement à la présence d'une sulfureuse succube (Alice Krige) dont la beauté préraphaélite laisse parfois place à la laideur nauséabonde d'un mort-vivant putréfié. L'extrême duplicité de cette figure illustre l'hypocrisie d'une société qui, sous le masque glacé des convenances, emprunte aux pires instincts de l'Homme. Camouflée par d'élégants smokings, la déchéance du corps et son équivalente éthique refont progressivement surface. À ce titre, la prestation des vénérables acteurs Fred Astaire, Melvyn Douglas, Douglas Fairbanks Jr. et John Houseman octroie aux personnages interprétés toute l'épaisseur nécessitée par leur contenu métaphorique. Attendrissants et monstrueux, les membres du Cercle de la Chaudrée suscitent une sympathie bien ambiguë, peut-être liée à l'héroisme, certes immoral, de leur démarche.
Outre l'inoxydable et forcément terrible secret enfoui dans les tréfonds de la mémoire, notre métrage évoque un autre poncif du genre; le rêve d'immortalité. La volonté de conserver les choses à l'identique au fil des années sous-tend l'espoir inavoué de s'intégrer à quelque espace-temps mythique, précisément celui de la fiction. Aussi les compagnons s'ingénuent-ils à pratiquer chaque semaine un exercice pareillement très apprécié des narrateurs de l'Épouvante traditionnelle, notamment celle d'Hoffmann ou Maupassant qui utilisent pour récit-cadre une veillée nocturne. Encore plus pertinente au cinéma dont elle redouble l'usage de la parole (et non l'image) comme axe de communication, l'ekphrasis s'écarte de l'intertexte romantique en substituant une mimèsis revendiquée comme telle à l'effet de réel habituellement recherché. Les protagonistes affichent clairement leur intention d'apparenter leur propre vie à une histoire, quitte à mimer certaines formules discursives. Cette parade à l'écoulement du temps admet pourtant quelques limites. En effet, l'imaginaire et la fiction fusionnent progressivement pour faire du simple récit un souvenir. Le fils d'un des conteurs propose de raconter une authentique aventure. Parallèlement, un membre du cercle révèle enfin son douloureux secret en reprenant le mode de narration typique du conte. Vues sous cet angle, les conséquences autant morales qu'effectives des moindres faits et gestes effectués ici, s'avèrent moins anodines qu'il n'y paraît. Fictionnaliser le passé revient à faire peser sur ce dernier le poids d'instances irrationnelles. Les fantômes s'affranchissent du discours et troublent à coups d'apparitions sanglantes, rires lugubres ou émissaires fous, le quotidien du petit groupe. Le mythe s'effondre non sous l'assaut de son ennemi juré (réel) mais au contraire victime de ses propres “enfants”. L'originalité de l'oeuvre de Straub et par élargissement d'Irvin, relève très certainement de cette approche du genre. Rendu autonome, celui-ci possède des contrées, héros, valeurs et châtiments particuliers. La Nouvelle-Angleterre demeure entre autres le lieu privilégié par l'Au-delà pour se manifester et présider au sort de ses adeptes. Terre de légende, le site assume pleinement ses origines, manière de dévoiler au spectateur la véritable portée de sa présence au sein de notre imaginaire. Couloir du paradis ou des enfers, Milburn redéfinit le purgatoire comme un espace fantasmé qui brûle ou bien purifie l'âme afin de lui permettre de retrouver après la mort terrestre les sphères mystiques dont l'Épouvante se plaît toujours à nous offrir un aperçu.
Sans nous offrir d'autre bonus qu'une simple bande-annonce, Universal et Bach Films proposent à l'acheteur un DVD peu onéreux. Cela reste encore cher payé si l'on s'attarde sur une image d'aussi médiocre qualité. En effet, un manque de détail laisse à penser que le master utilisé était à l'origine destiné à une édition en VHS. Filmée en 1.85, l'oeuvre ne bénéficie pas d'un transfert 16/9, erreur absente de la récente édition américaine datant pourtant de septembre 2004. Contrairement à cette dernière, le Zone 2 français impose également un système sonore obsolète, le MPEG, lequel oblige les détenteurs de certains amplificateurs à basculer en mode analogique. Passé ce “détail”, l'unique version originale sous-titrée français demeure tout juste correcte. Les amateurs du film d'Irvin privilégieront ainsi le DVD zone 1 qui, d'excellente facture mais aussi d'un prix un peu plus élevé, rend davantage justice à ce classique de l'Épouvante.