Quelque part aux confins de l'univers, en l'an 40.000, dans une spacio-nef tapissée de fourrure synthétique aux reflets mordorés et de peintures de George Seurat, un scaphandre futuriste flotte gracieusement dans son anachronique décor. Faisant glisser un massif gant argenté avec toute l'assurance d'une effeuilleuse professionnelle, le cosmonaute laisse apparaître une main délicate aux ongles longs et impeccablement manucurés. Bientôt, jaillissant de son casque en même temps qu'une cascade de cheveux blond, les lettres d'un générique dansant sur les notes d'un hymne pop sirupeux nous présentent la troublante héroïne. Avec nonchalance, elle continue de s'extirper de sa combinaison, pour bientôt n'avoir plus rien d'autre sur la peau (peau que l'on devine douce et satinée). Une myriade de petits caractères judicieusement placés nous informe du reste de la distribution et préserve, autant que faire se peut de la dernière indécence, notre héroïne. En moins d'une minute, par ce premier strip-tease en apesanteur aussi intégral qu'intergalactique, Barbarella vient de rentrer par la grande porte dans la légende erotico-cinématographique !
A l'origine de cette voluptueuse aberration psychédélique produit par Dino De Laurentiis (KING KONG, ORCA, HANNIBAL), il y a un personnage né sous le crayon du dessinateur Jean-Claude Forest, au printemps 62 pour le journal V Magazine. Sorte de croisement improbable entre Brigitte Bardot et Flash Gordon, Barbarella se présente comme une femme indépendante et sexuellement tout ce qu'il y a de désinhibé, très en osmose en cela avec le grand mouvement de libération des mœurs qui se met lentement en place en ce début des années 60, pour culminer à la fin de la décennie. Première héroïne de bande dessinée dite «adulte» à connaître une gloire internationale, ses aventures se déclineront jusqu'en 1984, date de sortie de son dernier album, «Le Miroir aux tempêtes»
Pionnière dans le monde du 9éme art, Barbarella le sera aussi dans celui du 7éme. En effet, elle est également le premier personnage d'une bande dessinée de science-fiction à avoir les honneurs d'une adaptation de premier plan sur le grand écran - qui plus est en Cinémascope et Technicolor - Flash Gordon, et autre Buck Rogers n'ayant eut droit, jusque là, qu'à des serials destinés aux compléments de programmes. Notons qu'en 1968, Dino De Laurentiss va produire coup sur coup BARBARELLA et une autre adaptation d'un héros dessiné avec le cultissime DIABOLIK de Mario Bava.
Au commande de cette ambitieuse superproduction européenne, le producteur place Roger Vadim, le maître ès scandale du cinéma français de l'époque, celui qui justement a fait éclater le phénomène Bardot dix ans plus tôt avec ET DIEU CREA LA FEMME. Pygmalion de Brigitte Bardot mais aussi de Catherine Deneuve et dans une moindre mesure de Annette Stroyberg (Annette qui ?), Roger Vadim est alors l'époux de la toute jeune Jane Fonda (LE SYNDROME CHINOIS, KLUTE).
L'actrice, après des essais plus que laborieux sur scène et à l'écran aux USA (où elle sera nommée par le magazine Harvard Lampoon «Pire actrice de l'année» en 1963) vient de se faire remarquer en France dans LES FELINS de René Clément et, suite à sa rencontre avec Vadim, dans trois films dirigés par son fringant mari : LA RONDE, remake catastrophique du film de Max Ophuls, LA CUREE, adaptation contemporaine de Zola ; et le sketch Metzengerstein des HISTOIRES EXTRAORDINAIRES, co-signé avec Louis Malle et Federico Fellini. BARBARELLA sera le film de la rupture, le dernier qu'ils tourneront ensemble. Pendant longtemps, Jane Fonda considérera l'héroïne aux cuissardes de vinyle blanc quelque peu encombrante dans une filmographie qui, à partir de ON ACHEVE BIEN LES CHEVAUX l'année suivante, prendra un tour nettement plus politique et militant. Elle a depuis révisé son jugement et adopte désormais une attitude beaucoup plus décontractée par rapport à cette période de sa carrière.
Le scénario accumule pas moins de huit noms (!!!) crédités au générique, dont Terry Southern, le génial auteur du DOCTEUR FOLAMOUR de Kubrick. La narration suit assez fidèlement le premier tome des aventures de la belle amazone... Le président de la république terrienne confie à Barbarella, le meilleur astro-pilote de sa formation, la délicate mission de retrouver Duran-Duran, un savant disparut dans le système de Tau-Céti et inventeur du terrifiant Poly-rayon 4. Si la terre est pacifiée depuis des siècles, on ne connaît par contre rien de Tau-Ceti ni de ses habitants, et l'utilisation de cette machine infernale à des fins belliqueuses pourrait bien avoir des conséquences absolument apocalyptiques pour la paix de l'univers. Prise dans un orage magnétique sa navette s'écrase sur la mystérieuse planète, où dominant le labyrinthe, sinistre prison pour tout les exclus du système, trône la terrible cité de Sogo (contraction transparente de Sodome et Gomorrhe) avec à sa tête, le Grand Tyran, maître absolu des plaisirs et de toutes les perversions.
Sorti de cet argument, tout le métrage de Vadim n'aura d'autre but que de précipiter cette pauvre Barbarella de Charybde en Scylla: Livrée à des poupées cannibales ; au supplice des perruches ; à la délirante machine excessive, qui tentera –sans succès- de tuer la belle à coup d'orgasmes à répétitions ; enfermée dans l'effroyable chambre de l'ultime décision puis dans celle aux fantasmes ; pour finalement être jetée en pâture au Mathmos, un lac de magma vivant, entité malfaisante sur laquelle est bâtie Sogo-la-décadente. Le but avoué de ces péripéties n'étant autre que de dénuder l'héroïne aussi souvent que possible, ou tout au moins de nous suggérer cette nudité en titillant au maximum l'imagination du spectateur. On pourrait définir BARBARELLA comme une sorte de mélange improbable –mais délicieux- entre la Juliette de Sade et l'Alice de Lewis Carroll – et l'on n'oubliera pas à ce sujet la démente parodie de Gotlieb parue dans un tome de Rhaaa-lovely, titrée Barbaralice, mêlant génialement les aventure de la créature de Forest et de la petite fille au lapin blanc -.
S'il serait facile de se gausser du côté désespérément datés des effets spéciaux – encore que certains trucages, comme le strip-tease d'ouverture se révèlent particulièrement ingénieux - pour peu que l'on soit indulgent sur l'irréparable outrage des ans, BARBARELLA reste un merveilleux spectacle pour grands enfants pas trop sage. Passés une rapide introduction pour planter l'histoire, les péripéties s'enchaînent sans temps mort les unes aux autres, avec une structure de coquines poupées russes, nourries de l'imagination fiévreuse de Jean-Claude Forest et des talents conjugués et décomplexés de l'équipe réunie par De Laurentiis. On ne peut plus hétéroclite, la distribution est parfaite et, Ô merveilles, les acteurs semblent tous s'amuser beaucoup avec leurs personnage, en trouvant toujours le niveau de décalage adéquat : Ugo Tognazzi (LA GRANDE BOUFFE, LE MARI DE LA FEMME À BARBE) en homme des glaces qui va faire découvrir l'amour physique à Barbarella (heureux homme !), David Hemmings (BLOW-UP, PROFONDO ROSSO) en chef de rébellion balourds -dont le mot de passe est «Llanfairpwllgwyngyllgogerychwyrndrobwllllantysiliogogogoch» !-, Anita Pallenberg (PERFORMANCE, LOVE IS THE DEVIL, mais aussi égérie des Rolling Stones) en Reine Noire, John Phillip Law (DIABOLIK, LE VOYAGE FANTASTIQUE DE SINBAD) en ange aveugle et, surtout, Milo O' Shea (THEATRE DE SANG, LA FOLLE DE CHAILLOT) en concierge du palais, vicelard hystérique et mégalomane, affublé d'un costume le faisant ressembler à s'y méprendre à l'opéra de Sydney. Plus étrangement, on retrouvera aussi le mime Marceau (disparu récemment) et Claude Dauphin (CASQUE D'OR, ENTREE DES ARTISTES) en président de la république terrienne.
Et bien sur, tout le film est une ode (une symphonie !) à la beauté fulgurante et radieuse de Jane Fonda. Beauté, mais aussi talent et intelligence, son interprétation navigant constamment entre le premier et le second degré avec une aisance confondante. Omniprésente de l'ouverture au générique final, s'il n'est pas une scène où elle n'apparaisse, elle est irrésistible de drôlerie d'un bout à l'autre de ces délirantes aventures.
Très mal reçus par la critique de l'époque (ben tiens !), BARBARELLA malgré le soutien indéfectible d'une légion de fans acharnés, doit encore subir les avanies d'édition DVD peu digne de son statut quarante ans après sa sortie. A cette enseigne, le Zone 1 américain, sorti chez Paramount, se trouve être de loin le plus recommandable (...mais au royaume des aveugles !). On sera heureux de trouver le film en version anglaise et française, les deux étant d'excellente qualité ; et l'internationalité de la distribution élude te toute façon toute notion de «version originale» à proprement parlé. Jane Fonda se doublant elle-même dans la version française (ah ce petit accent !) avec en plus quelque caméo non crédité de Robert Hossein (la voix de Marc Hand) et Jean-Louis Trintignant (celle de Dildano). On pourra s'amuser à passer d'une version à l'autre avec un égal bonheur. Par contre l'image est, et c'est un doux euphémisme, loin d'être parfaite. Si le format est respecté (encore heureux !) des griffures et autres petites taches «de vieillesses» apparaissant tout au long du métrage.
Côté bonus on devra se contenter de l'habituelle et maigrelette bande-annonce d'époque. Il y aurait pourtant eu matière à fournir des suppléments : Les extravagants décors de Mario Garbuglia (LE GUEPARD), les magnifiques costumes de Jacques Fonteray (MOONRAKER, LA BANQUIERE) – trop souvent attribué, assez injustement, à Paco Rabane ; qui n'est lui responsable que de la dernière et fort reconnaissable tunique de Miss Fonda - , auraient mérités à eux seuls une analyse détaillée ; sans même parler des innombrable mailles a partir que le film affronta avec la frileuse censure de l'époque, frôlant même un moment l'interdiction pur et simple.
On peut espérer que l'annonce du remake de Robert Rodriguez, toujours produit par De Laurentiis, puisse entraîner, qui sait, une belle édition spéciale «40ème anniversaire» à l'échelle du culte rendu à la belle... L'espoir fait vivre le cinéphage érotomane!