En 1998, l'Horreur britannique accouche d'un film qui laisse présupposer un renouveau du genre dont SHAUN OF THE DEAD confirmera la pertinence quelques années plus tard. À l'origine de RAZOR BLADE SMILE, Jake West s'attaque au mythe du vampire pour faire des “fils de la nuit” les corollaires délirants d'un univers où la violence haute en couleurs nourrit une vision du monde déjantée. Cette perspective d'approche singularise pareillement le bien nommé EVIL ALIENS réalisé en 2005. L'initiateur de WHACKED (2002) ou de documentaires aux titres révélateurs (BRUCE CAMBELL: GEEK OR GOD?, 2003) s'attache ici à déconstruire en les juxtaposant deux primordiales figures de l'Épouvante: le zombie et l'extraterrestre. Si la formule est éprouvée, l'immense talent du cinéaste change la donne en vue d'offrir à son éventuel public une oeuvre tout à la fois décomplexée et décalée. Ainsi, EVIL ALIENS exploite judicieusement l'inexpérience du casting et de l'équipe technique pour injecter à chaque séquence un enthousiasme qui, au final, s'avère contagieux.
Entourée d'une bande d'excentriques dont une donzelle sexy (Jodie Shaw), un geek boutonneux (Jamie Honeybourne) et un hurluberlu (Sam Butler), une journaliste (Emily Booth) se rend dans une région isolée de Grande-Bretagne pour enquêter sur une grossesse dont la paternité pourrait revenir à des aliens. Ces derniers transforment rapidement cette investigation en un combat autant sanglant que réjouissant.
Les premières minutes du métrage préfigurent ingénieusement l'atmosphère si particulière que Jake West s'ingéniera à installer puis amplifier ensuite. Partant de la galaxie, un zoom se focalise sur une réalité terrestre somme toute assez banale. Allongés au sein d'une lande parsemée de dolmens, des adolescents s'adonnent au stupre et à la fornication. Intrigués par d'étranges bruits, nos personnages ne peuvent longtemps lutter contre ce qu'il s'avère être des aliens. Ceux-ci s'emparent des jeunes gens pour leur faire subir divers sévices dont une sodomie à la perceuse. La déréalisation du cadre référentiel emprunte ici à l'intertexte (lande nocturne, enlèvement extraterrestre, expiation de l'acte sexuel), annihilant de cette façon le moindre présupposé métaphorique. Simultanément média et objet des séquences, l'image gore s'offre telle que et affiche parallèlement une originalité qui fait la force, voire l'intérêt d'EVIL ALIENS.
Conformément au fantastique contemporain, Jake West comprend le genre dans une optique hautement référentielle. Emprunte de nostalgie, la dite tendance s'érige surtout en procédé de mise en scène, précisément comme idéal outil de dédramatisation. Dès lors, le réalisateur truffe son oeuvre d'allusions, hommages et saynètes parodiques. Apparentés au PREDATOR de McTiernan, les aliens usent de boules comparables à celles qui firent la célébrité de PHANTASM, s'opposent à des hommes qui semblent tout droit sortis de MASSACRE À LA TRONCONNEUSE et livrent des combats dignes des meilleurs Westerns Spaghettis ou Wu Xia Pian. A cela s'ajoutent un empalement directement inspiré de CANNIBAL HOLOCAUST ou une jolie allusion à STAR TREK. Si EVIL DEAD et BRAINDEAD sous-tendent principalement l'imagerie gore, la présence de dolmens, maison isolée ou tête de mort constituent d'évidentes réminiscences gothiques. Volontairement assujettis à une lecture distanciée, intrigues et personnages fomentent avec subtilité un univers extravagant, valorisé par une mise en scène survoltée.
Multipliant les angles de vue, la caméra virevolte entre les monstres, humains et animaux crucifiés afin de démanteler insidieusement le cadre référentiel. Doté de dimensions insoupçonnées, l'espace permet aux combattants de se livrer à d'invraisemblables batailles qu'une dilatation du temps cosmique parvient à conforter. Le jour et la nuit se mêlent progressivement, maintenant l'histoire dans une espèce de Dorveille entre autres accentuée par un magnifique filtre. Faute de crédibilité, l'action ainsi que les héros prennent consistance lors de leurs seules apparitions/présences à l'écran. En effet, l'onirisme général ne sert aucune parabole mais s'établit plutôt comme un “tamis” tant stylistique que thématique. Evider la trame de potentielles implications symbolico-psychologiques revient à conférer à l'enchaînement d'images une puissance évocatrice indépendante et en cela forcément “brute”.
De fait, EVIL ALIENS renoue avec les origines spectaculaires du cinéma en vue de nous offrir une peinture intransitive de la souffrance corporelle. Clairement gore, l'oeuvre enchaîne viols extraterrestres, empalements, mutilations, décapitations, énucléations et autres éviscérations pour asperger victimes et caméra de sang, sébum et même vomi, le tout entre deux blagues potaches ou dégustations de bananes. On l'aura compris, EVIL ALIENS assume sa filiation grand-guignolesque par ses outrances débridées. Si Jake West répond aux légitimes attentes du fan d'Horreur, l'exploitation de certains thèmes et esthétiques peut en revanche surprendre au regard des sources d'inspirations revendiquées plus haut.
Sur ce point, la fumée et quelques clairs-obscurs surenchérissent le classicisme prégnant et étonnant au sein duquel le film tend à puiser de temps en temps. À proximité d'ancestraux dolmens, une bâtisse délabrée inscrit la fiction dans une veine frénétique pour le moins déconcertante. De surcroît, le soin apporté aux sons (craquements et rugissements des monstres) enclins à susciter l'effroi lorsqu'apparaissent les aliens ou la très belle aurore ajoutent à l'imagerie “splatter”, une gamme d'émotions inattendues. Ces dernières bénéficient également d'un arrière-plan high-tech lequel juxtaposé aux dits motifs, particularise diverses séquences (viol dans le vaisseau, par exemple). Cette troisième inclinaison met en exergue la “grande” innovation d'un métrage apparemment bien décidé à rendre le contenu blasphématoire des scènes sanglantes au moyen d'une mise en abîme significative. Revissait par des mythèmes contemporains, le Nouveau Testament conserve ainsi ses principaux rebonds scénaristiques tout en perdant son sens philosophico-mystique. L'Immaculée Conception devient un viol extraterrestre, les apôtres une bande de gais lurons tandis que la Crucifixion propose au spectateur hilare l'image d'un Prédateur christique fort peu impressionnant. Apparentée aux carnavals et fêtes médiévales, cette contestation goguenarde de l'idéologie chrétienne assume pleinement la dimension grotesque d'une violence dont les dérives burlesques justifieront quelques éclats de rire, faute de réels frissons.
Notre cinéaste souhaitant attribuer au gore une esthétique particulièrement soignée, l'éventuel spectateur exigera naturellement un DVD muni de qualités techniques irréprochables. E-M-S remplit ses obligations pour mettre sur le marché un double DVD commercialisé dans un boîtier en métal. La première galette nous présente le film (tourné en HD) doté d'une très belle image dont le rendu vidéo s'oublie rapidement au cours du visionnage. L'absence de version française et de sous-titre mécontentera évidemment ceux qui n'entendent rien ni à l'allemand ni même à l'anglais. Les autres apprécieront le son Dolby Digital 5.1 sur deux versions présentant un mixage pourtant différent. En effet, le doublage allemand souffre d'une voix centrale accentuée. De manière générale, le disque reste d'excellente facture.
Outre la fiction même, l'achat de l'édition allemande s'expliquera par l'étonnante richesse de l'interactivité, à commencer par deux commentaires audio. Jake West et Nielle Jenkins (chef décorateur) se plient à l'exercice d'autant commodément que décidés à démontrer l'aspect fondamental des décors et effets spéciaux dans tout bon film d'horreur. Aussi apprenons-nous que l'intérieur du vaisseau a nécessité beaucoup de travail, que mettre des masques aux monstres équivaut à s'épargner de nombreuses heures de maquillage ou que maintes décors s'inspirent du jeu vidéo. Moins techniques mais emprunts d'une passion similaire, les propos des acteurs Emily Booth, Jennifer Evans, Jamie Honeybourne et Nick Smithers s'appuient davantage sur des anecdotes de tournage (pudeur des comédiennes, utilisation d'une actrice contorsionniste comme doublure...).
Après avoir visionné EVIL ALIENS à deux reprises, les plus curieux consulteront un Making Of plutôt fourni dont la moitié se trouve accaparée par Jake West. La volonté de rendre hommage à EVIL DEAD et BRAINDEAD s'ajoute à un réel besoin d'innover, voire de sortir des sentiers battus. Choix des aliens, des personnages “adultes”, des armes (battes de cricket), l'artiste nous offre une interprétation de l'oeuvre intéressante, celle du créateur. Moins pertinentes, les interventions des comédiens relèvent (trop) souvent de la paraphrase, défaut d'ailleurs presque inhérent à cette espèce de bonus. Des traditionnelles difficultés pour revêtir le costume à l'immanquable “bonne humeur générale” en passant par d'“incroyables performances physiques”, les ingrédients classiques du Making Of promotionnel doivent s'apprécier comme tels, sans plus. Conjointement au premier reportage, “Behind the scenes” tente de transcrire précisément l'ambiance du tournage. L'image se substitue à l'interview afin de nous plonger directement sur un plateau où le sérieux et la concentration demeurent essentiels. Le talent des maquilleurs, concepteurs des effets spéciaux et interprètes frigorifiés, suscite naturellement l'admiration. Si les vingt minutes de scènes coupées ainsi qu'un bêtisier souffrent de ne pas être commentés, reconnaissons aux documents le mérite de souligner implicitement l'énorme et primordial travail effectué par le monteur — ici le cinéaste même — lequel se doit de posséder assez de perspicacité pour épurer le film de séquences sinon ennuyeuses, du moins parfois très très poussives.
Un court-métrage de Jake West complète l'interactivité déjà notable du DVD. L'influence de Bunuel et du surréalisme en général, traverse une fiction qui nous relate une angoissante expérience post-mortem. Préalablement altéré par un excès d'alcool et de drogues, l'esprit du protagoniste vacille définitivement quand une brute débarque dans sa chambre pour lui tirer dessus. Impression de “déjà vu”, enchevêtrement de rêves ou hallucinations, étranges rencontres, vamps sulfureuses et enterrements répétitifs, les visions cauchemardesques se succèdent, donnant à réfléchir sur la possibilité, voire la nécessité, d'expier ses fautes dans la souffrance. Dix minutes de Making Of reviennent ensuite sur la genèse d'une oeuvre qu'il conviendra de replacer dans un contexte déterminé, celui de l'université. Intercalées entre divers extraits, les interventions des acteurs, producteur et réalisateur évoquent la densité du script, le nombre impressionnant de décors, les problèmes de budget et le caractère germinal du film.
Avant de terminer le vision de la galette par cinq bandes-annonces toutes doublées en allemand, l'éventuel acheteur pourra observer la finalisation des sculptures, bébés aliens, fausses cervelles et costumes. De manière générale, le disque complémentaire compris dans l'édition allemande reste satisfaisant car illustrant une évidence que maintes professionnels (ou non) oublient parfois: la réussite d'un film demeure celle d'une équipe. EVIL ALIENS en constitue la preuve irréfutable.