Header Critique : COFFRET JODOROWSKY

Critique du film et du DVD Zone 2
COFFRET JODOROWSKY 1971

 

Né au Chili en 1929, d'origine russe, Alejandro Jodorowsky est un artiste protéiforme au destin des plus sinueux. Lorsque se dresse le portrait de l'homme, il vient rapidement la tentation de lister la somme de ses compétences : parlant couramment neuf langues, Jodorowsky est mime, comédien, poète, auteur, essayiste, romancier, dramaturge, cinéaste, musicien, créateur d'un courant psychanalytique, mais aussi spécialiste des religions et du tarot (surtout le tarot de Marseille dont il a redessiné l'édition courante grâce à ses recherches).

Au début de sa carrière, Jodorowsky est un jeune comédien vivant au Chili, jouant dans des pièces de théâtre locales. Pour perfectionner son jeu, Jodorowsky débarque en France pour suivre des cours de mime avec Marcel Marceau. Il réalise à cette époque (en 1957) LA CRAVATTE, un court-métrage le mettant en scène dans ses inventions de pantomimes. Chemin faisant, il fonde avec Fernando Arrabal et Roland Topor le mouvement « Panique » en 1962. Il s'agit d'une forme de théâtre provocateur destiné à secouer les branches du surréalisme de l'époque (que les trois auteurs jugent alors « embourgeoisé »). En 1968, Jodorowsky se lance dans une carrière de cinéaste en adaptant la pièce de son ami Arrabal, FANDO ET LIS. 1970 est l'année de la consécration avec le western mystique EL TOPO, qui devient une sensation culte à New York. John Lennon fait pression sur Allen Klein, l'ancien manager des Beatles, pour financer son prochain film, LA MONTAGNE SACREE. Le surréalisme ésotérique de l'œuvre est injustement boudé par le grand public. En 1975, au lendemain du succès phénoménal du porno soft avec EMMANUELLE de Just Jaeckin, Klein propose alors à Jodorowsky une avance pour développer une adaptation d'HISTOIRE D'O. Jodorowsky accepte l'argent, mais le met à profit sur un autre projet, un adaptation pharaonique de Dune (le roman de Frank Herbert).

Jodorowsky parvient à convaincre Orson Welles et Salvator Dali d'intégrer la distribution du film. La musique est confiée à Pink Floyd, Tangerine Dream et les français Magma. La direction artistique est partagée entre différents peintres et dessinateurs, dont Giger et Moebius. La pré-production enfle dans de telles proportions que les financiers quittent le navire, laissant à Jodorowsky quelques ardoises et un terrible contentieux avec Allen Klein. Ce dernier bloque les droits d'exploitation d'EL TOPO et LA MONTAGNE SACREE par vengeance. Une terrible mésaventure qui portera un préjudice considérable à la carrière cinématographique de l'artiste. Tandis que le travail de pré-production de Dune s'éparpille dans la nature (les vaisseaux spatiaux inspirent certains designs de STARS WARS, l'équipe artistique est récupérée telle quelle par ALIEN pour le succès que l'on sait), Jodorowsky explore d'autres domaines. A partir des années 80, entre ses lectures (à titre gracieux) de tarot dans les cafés parisiens ou la direction d'ateliers de psychothérapie (Jodorowsky ayant fondé sa propre école, la « psychomagie »), l'homme est devenu un scénariste de bande dessinée respecté. Parmi ses nombreuses séries, on peut citer le monumental premier cycle de L'Incal dessiné par Moebius, une œuvre phare qui a permis à une toute nouvelle génération de découvrir son univers.

Au cinéma, Jodorowsky osera quelques retours inégaux. En 1980, il réalise TUSK, un film familial prenant pour héros un éléphant. Malheureusement, la production du film tourne à la catastrophe et l'artiste quitte le navire avant la fin du montage. Sous l'impulsion de Claudio Argento, Jodorowsky revient en 1989 pour les besoins de SANTA SANGRE. Prenant pour cadre le film d'horreur, ce nouvel essai est une réussite étourdissante. L'expérience remet le cinéaste en selle, puisqu'il réalise l'année suivante LE VOLEUR D'ARC-EN-CIEL avec Peter O'Toole, Omar Sharif et Christopher Lee. Usé par des producteurs aux petits bras et par les caprices de Peter O'Toole, Jodorowsky se désintéresse du film. Jodorowsky, cinéaste maudit ? Désespérément oui. Suite à l'emprisonnement de ses deux œuvres de gloire (EL TOPO et LA MONTAGNE SACREE), l'artiste est mutilé, privé de son propre héritage. Après des années de patience, où les cinéphiles étaient pendus aux mouvements de réconciliation avec Allen Klein, la malédiction du cinéaste est enfin levée en 2006. Klein débloque les droits de ses premiers films, ce qui nous vaut dans la foulée l'édition d'un coffret à la hauteur de l'événement.

Le coffret français contient les trois premiers long-métrages de Jodorowsky : FANDO ET LIS, EL TOPO et LA MONTAGNE SACREE (en plus de cette chronique, chacun des films et son DVD spécifique ont été chroniqué indépendamment). Outre les quelques bonus liés à chaque film (commentaire audio ou autres scènes coupées), le coffret contient deux suppléments majeurs avec la présence de deux documentaires de près de 90 minutes chacun.

Ainsi nous trouvons sur le disque de FANDO ET LIS, LA CONSTELLATION JODOROWSKY, un documentaire dédié à l'artiste réalisé en 1994 par Louis Mouchet. Le film donne la parole à Jodorowsky, mais aussi à de nombreux complices prestigieux : Fernando Arrabal, Marcel Marceau, Moebius alias Jean Giraud ainsi que Peter Gabriel (grand fan de l'univers de l'artiste). Chacun témoigne de sa collaboration avec Jodorowsky, quand ce n'est pas le « maître » lui-même qui nous fait partager sa vision des choses avec moult anecdotes et parfois beaucoup d'humour. Comme ce jour où un homme vient frapper à sa porte au lendemain du succès d'EL TOPO pour lui demander de lui apprendre « l'illumination ». Jodorowsky s'imagine que l'homme veut le prendre comme maître spirituel. Il commence alors à lui donner quelques conseils quand l'étrange visiteur rectifie ses dires : il veut apprendre « l'illumination » pour éclairer sa scène de théâtre !

De nombreuses facettes du personnage seront ainsi dévoilées dans LA CONSTELLATION JODOROWSKY, et pas seulement cinématographiques. Certes, le documentaire revient abondamment sur EL TOPO, et même sur le projet Dune. Mais il donne également à voir des extraits des performances du mouvement « Panique », ainsi qu'une longue séance de « psychomagie » que Jodorowsky prodigue en compagnie de Moebius devant une assemblé de fidèles. La personne au centre de cet espèce de jeu de rôle psychanalytique n'est autre que Louis Mouchet, l'auteur du documentaire. Ce dernier tente de résoudre un conflit au père, qui préférait la poésie à sa famille, et ce jusqu'à sa mort. Une histoire certes touchante, qui donne également à voir Jodorowsky dans une position inédite, mais malheureusement trop complaisante. Cet épisode de « psychomagie » occupe à lui seul le dernier tiers du documentaire. C'est beaucoup trop, parfois même embarrassant. Outre ce bémol, force est de reconnaître que LA CONSTELLATION JODOROWSKY est une étape obligée pour tout intéressé à l'univers de l'artiste.

Sur un quatrième disque (disponible également avec l'édition à l'unité d'EL TOPO), nous trouvons un nouveau documentaire : MIDNIGHT MOVIES. Sorti furtivement chez nous en salle en 2006, ce film de Stuart Samuels nous plonge dans l'histoire des séances de minuit à travers la destinée de 7 films « cultes ». Premier métrage traité, EL TOPO bien évidemment, puisqu'il est considéré comme l'instigateur des séances de minuit. Ces séances tardives ont été inaugurées au cinéma « Elgin », basé à New York, où EL TOPO tint fièrement l'affiche de nuit pendant six mois. Le documentaire revient abondamment sur ce que représentaient ces séances dans les années 70 : une contre-culture affichée, ritualisée et furieusement festive (la salle projetant EL TOPO était si embrumée par la fumée de marijuana que même Jodorowsky ne pouvait rester dans la pièce). Le gota (comme John Lennon ou Jack Nicholson) venait se donner une étiquette alternative en s'affichant face à ces films extirpés de l'underground, tandis que les curieux s'offraient une expérience faisant parfois office de rite d'initiation.

Bien évidemment, MIDNIGHT MOVIES dresse le portrait en creux de quelques monuments : LA NUIT DES MORTS-VIVANTS de George Romero, REEFER MADNESS de Louis J. Gasnier, THE HARDER THEY COME de Perry Henzel (avec Jimmy Cliff), PINK FLAMMINGOS de John Waters, THE ROCKY HORROR PICTURE SHOW de Jim Sharman et enfin ERASERHEAD de David Lynch. La parole est laissée en priorité aux auteurs des films suscités, où chacun évoque la distribution et la réaction des spectateurs face à leur œuvre. Le film s'achève avec la mort « officielle » des séances de minuit, où le premier film de David Lynch est pris comme exemple d'un underground introverti et cérébral, et plus apte à conquérir les séances de cinéma d'arts et essais classiques au moment où le rêve du « flower power » avait définitivement volé en éclats.

Brisons la glace, MIDNIGHT MOVIES n'apprendra rien de nouveau à qui connaît déjà l'histoire de ces films. Le documentaire dresse un résumé trop rapide des œuvres, et survole régulièrement son sujet plus qu'il ne le traite en profondeur. MIDNIGHT MOVIES n'est pas destiné aux spectateurs marginaux, mais aux cinéphiles « classiques » pour tenter de leur expliquer que c'est aussi « ça » le cinéma ! Ceci étant dit, on passe un moment particulièrement agréable à visionner ce documentaire, grâce à une mise en image de grande qualité ainsi qu'un excellent travail de recoupement des interviews. La parole s'enchaîne sans temps mort, ni effet de lassitude, et on en vient à regretter l'apparition trop subite du générique de fin. Un reproche qui cache un compliment.

Le coffret français des premiers films de Jodorowsky est donc une très bonne surprise, à l'éditorial travaillé et copieux, et au packaging somptueux. Comparé à son homologue américain sorti à quelques mois d'intervalle, le coffret français a l'initiative de rajouter le documentaire MIDNIGHT MOVIES. Par contre, il abandonne les disques audio de la musique d'EL TOPO et LA MONTAGNE SACREE disponible dans l'anthologie américaine. Un gros point noir vient cependant noircir ce tableau : les copies de FANDO ET LIS et EL TOPO sont amputées de quelques secondes. Un triste constat adressé aussi bien à l'édition française et américaine, mais qui ne devrait pas pour autant décourager le cinéphile fatigué d'avoir attendu plusieurs décades pour enfin découvrir l'univers indispensable de Jodorowsky.

Rédacteur : Eric Dinkian
Photo Eric Dinkian
Monteur professionnel pour la télévision et le cinéma, Eric Dinkian enseigne en parallèle le montage en écoles. Il est auteur-réalisateur de trois courts-métrages remarqués dans les festivals internationaux (Kaojikara, Precut Girl et Yukiko) et prépare actuellement son premier long-métrage. Il collabore à DeVilDead depuis 2003.
49 ans
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287 critiques Film & Vidéo
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Un coffret complet, au packaging somptueux
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FANDO ET LIS et EL TOPO amputés de quelques secondes
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Autres critiques
L'édition vidéo
EL TOPO DVD Zone 2 (France)
Editeur
Wild Side
Support
4 DVD
Origine
France (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
1h59
Image
1.85 (16/9)
Audio
Spanish Dolby Digital 5.1
Spanish Dolby Digital Mono
Sous-titrage
  • Français
  • Supplements
      • FANDO ET LIS (97mn)
      • Commentaires audio de Jodorowsky
      • La Constellation Jodorowsky (87mn)
      • EL TOPO (119mn)
      • Commentaire audio d’Alejandro Jodorowsky
      • Court-métrage La Cravatte (20mn26)
      • Interview de Jodorowski (6mn56)
      • Bande-annonce
      • Galerie photographique
      • LA MONTAGNE SACREE (110mn)
      • Commentaire audio de Alejandro Jodorowsky
      • Scènes coupées (5mn56)
      • Le Tarot commenté par Jodorowsky (7mn52)
      • La restauration (5mn31)
      • Bande-annonce
      • Galerie photos
    • MIDNIGHT MOVIES (86mn)
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