Header Critique : MONTAGNE SACREE, LA (COFFRET JODOROWSKY)

Critique du film et du DVD Zone 2
LA MONTAGNE SACREE 1975

(COFFRET JODOROWSKY) 

Un vagabond erre dans une ville décadente habitée par une armée fasciste qui viole et tue à loisir. La religion en place n'est qu'une caricature dont les symboles sont juste bons à être exploités de manière grotesque et mercantile. Pour fuir cette folie, le vagabond s'infiltre dans la tour d'un mystérieux maître alchimiste. Après une initiation, notre héros est invité à rejoindre une confrérie de puissants, chacun représenté par une planète du système solaire. Guidé par le maître, ils ont pour ambition d'escalader la « montagne sacrée » et prendre la place des immortels vivants à son sommet.

Parmi les fans d'EL TOPO, John Lennon et Yoko Ono font pression sur Allen Klein (le producteur des Beatles) pour qu'il finance le prochain film de ce réalisateur sud-américain sorti de nulle part. C'est ainsi que Jodorowsky se voit attribué la somme « pharamineuse » d'un million de dollars (alors le plus gros budget pour un film mexicain) pour réaliser chez lui (mais en anglais) LA MONTAGNE SACREE en 1973. L'ambition de Jodorowsky sur ce nouveau projet est de réaliser un film entièrement « mystique ». Tandis qu'il écrit le scénario, le cinéaste va même jusqu'à passer un mois sous l'autorité d'un gourou pour se préparer au rôle de l'alchimiste qu'il interprétera dans le film.

LA MONTAGNE SACREE est une œuvre atypique, qu'il est très difficile de résumer, de cerner, ou de rendre compte de manière concise et cohérente (comme d'habitude avec Jodorowsky, diront certains). Contrairement à EL TOPO qui utilisait l'univers du western (ou plus tard SANTA SANGRE qui prend pour cadre le film d'horreur), LA MONTAGNE SACREE n'appartient à aucun genre. Sa narration, très libre, est cependant organisée en trois actes très marqués. Le premier acte se concentre sur le réveil du vagabond et ses déambulations dans une ville infernale où l'armée massacre les étudiants, où les touristes américains s'émerveillent de cette sauvagerie typique (un touriste demande même à notre héros de tenir la caméra pour qu'il puisse poser tout sourire à côté de sa femme violée par un militaire). Avec son allure christique, le vagabond est alors utilisé par des marchands sans scrupules qui, profitant de son sommeil, vont mouler son corps pour usiner des reproductions du Christ. Une fois revenu à lui, l'homme découvre avec désarroi que ce qu'il considère comme « le sauveur » n'est qu'une supercherie de papier mâché prenant l'image de lui-même. Il n'y a plus de Dieu, mais des caricatures du « soi ».

Le deuxième acte commence lorsque le vagabond, abandonné par sa foi, va néanmoins poursuivre sa quête vers l'illumination. Il pénètre alors l'antre de l'alchimiste, qui va dès lors le prendre comme disciple. Après une rapide initiation (où les excréments du vagabond seront changés en or), l'alchimiste lui présente ses autres sujets : des puissants à la tête de différentes industries (cosmétiques, militaires, artistiques…), eux aussi capables de changer la merde (le vice) en or (en marché économique). Le film s'articule alors autour des portraits successifs des disciples, où chacun va présenter son univers à la première personne. Le troisième acte, beaucoup plus documentaire, va suivre le maître et son collectif dans l'escalade de la montagne sacrée. Les scènes de transe s'enchaînent jusqu'à un final anthologique. A travers cette structure, Jodorowsky semble placer un personnage (le vagabond) à l'intérieur du Tarot de Marseille. Au début du film, l'homme représente la carte la plus faible du jeu de cartes (le « mat », soit le fou). Il va alors petit à petit grimper la hiérarchie des cartes pour tenter d'atteindre les statuts les plus élevés.

Mais à quoi bon tenter de « résumer » LA MONTAGNE SACREE puisque c'est aussi (et surtout) un film d'images, de sensations. Le métrage est une véritable expérience, qui place également le spectateur dans une position d'initiation (par la poésie). Le rythme est extrêmement soutenu, surtout dans ses deux premiers actes, et enchaîne les idées et les symboles dans des compositions d'images d'une grande beauté. Des oiseaux qui sortent des plaies des étudiants massacrés, l'attaque des temples Mayas par les conquistadors rejouée par des iguanes et des crapauds, un défilé religieux brandissant des carcasses d'animaux crucifiés, LA MONTAGNE SACREE fourmille d'imagination à chaque plan. Ceci est d'autant plus flagrant dans son deuxième acte et sa succession de portraits comme autant de courts-métrages sur le monde des puissants. Les décors excessivement détaillés s'accumulent (comme ce crucifix constitué d'écrans de télévision, une idée reprise par Marilyn Manson dans un clip), l'ironie fait rage (comme ces tableaux abstraits produits à la chaîne par des hommes et des femmes, les fesses recouvertes de peinture, s'asseyant à tour de rôle sur la toile), et les partis pris de réalisation se succèdent avec courage. On citera à titre d'exemple le portrait de Neptune, dirigeant du pouvoir policier. Dans les séquences de massacres qui suivront, Jodorowsky décide de rendre visibles les trucages (comme les tubes projetant le sang artificiel). Le but est bien évidemment de travestir la violence pour mieux la rendre grotesque et dérisoire. Neptune, le menaçant « seigneur de la guerre », devient alors un pantin pathétique noyé dans sa puissance illusoire, et ainsi prompt à recevoir l'enseignement de l'alchimiste vers la véritable illumination.

Il est très difficile de parler de LA MONTAGNE SACREE de manière cohérente tant le film enivre, fascine et enfin donne à ressentir. Jodorowsky signe ici son film de loin le plus dense, le plus foisonnant. Le plus expérimental également, tant le métrage alterne les chocs d'ambiances en passant d'un acte ultra découpé (les portraits) à un acte quasi documentaire (l'ascension de la montagne). Dans cette dernière partie, Jodorowsky et ses comédiens vivent véritablement en communauté. Le cinéaste répète avec eux l'expérience qu'il a lui-même subit avec un gourou pour la préparation du film, et construit le film au jour le jour. C'est ainsi que Jodorowsky les confrontera à leurs peurs les plus profondes, dans des séquences chocs où la performance des acteurs (certes sous substances) n'est pas simulée.

Bien évidemment, LA MONTAGNE SACREE est aussi le produit d'une époque (le début des années 70) dont les enjeux paraissent aujourd'hui parfois obsolètes. Certains spectateurs contemporains auront peut-être un certains recul avec les thèmes abordés, et surtout avec certains décors un peu trop chargés en psychédélisme. Mais le tonus et l'imagination du film devraient avoir raison des plus sceptiques. Très en avance sur son temps, LA MONTAGNE SACREE le paiera malheureusement au box-office, en ne réalisant pas la performance espérée par son producteur. Ajoutons à cela la fameuse « brouille » entre Klein et Jodorowsky puisque le producteur bloquera les droits de diffusions d'EL TOPO et LA MONTAGNE SACREE pendant trente ans pour se venger du cinéaste (ce dernier ayant refusé de mettre en scène HISTOIRE D'O non sans percevoir malgré tout l'argent de la pré-production). Sans ces inconvénients, LA MONTAGNE SACREE aurait sans aucun doute gagné le statut de « classique » surréaliste avec le temps. Il est en lieu et place devenu l'un des symboles du film maudit d'un cinéaste non moins maudit. Une réputation inacceptable pour une œuvre aussi passionnante que LA MONTAGNE SACREE.

LA MONTAGNE SACREE est le dernier film issu du coffret français consacré à Jodorowsky (regroupant FANDO ET LIS et EL TOPO). Si le film n'était auparavant visible que sur des copies semi pirates à la qualité effrayante, sa commercialisation officielle s'accompagne bien heureusement d'une restauration digne de ce nom (et dans sa version originale et intégrale, contrairement aux deux autres films). L'image est d'une beauté hors norme, Jodorowsky lui-même étant le premier comblé. Le disque propose la piste d'origine codée sur deux canaux mais aussi un remixage en 5.1 plutôt discret. A noter l'absence de doublage français.

Niveau bonus, la pièce de choix est le commentaire audio de Jodorowsky. Dès les premières minutes, l'homme nous avoue qu'il est devenu quelqu'un de très différent, mais qu'il va s'efforcer d'invoquer du mieux qu'il peut la personne qu'il était il y a plus de trente ans. Peu avare en informations et anecdotes, le cinéaste nous décortique avec générosité tous les symboles contenus dans le film, ainsi que tous ses partis pris d'auteur. Ce commentaire peut ainsi être vu comme une aide de lecture précieuse pour tous les spectateurs un peu perdus par l'univers du film. Jodorowsky nous raconte aussi la petite histoire, les incessantes menaces de mort des autorités mexicaines qui le pensait monter une secte, ou encore les nombreux dérapages des comédiens bien souvent dans des états alternatifs. On rit jaune lorsque Jodorowsky nous commente une scène de castration, où le comédien, sous LSD, tenant les ciseaux a bien failli confondre le « coupez » de fin de prise avec un ordre de jeu ! L'écoute de cette piste est donc riche et passionnante tant l'homme se plie à l'exercice avec un bonheur communicatif (le film se conclut d'ailleurs par plusieurs minutes de noir afin de laisser Jodorowsky finir son discours).

La (courte) section des suppléments se poursuit avec des scènes coupées, en réalité des chutes de montage plus que de réelles séquences inédites. Jodorowsky commente là encore ces plans afin de les replacer dans leur contexte. Ainsi, ces images à l'intérieur d'un restaurant mexicain faisaient partie d'un projet de scène finale où l'on aurait célébré une naissance. Si beaucoup de ces chutes concernent les scènes de méditation dans la montagne, nous trouvons également un court échange entre le personnage du millionnaire et son fils. Jodorowsky a supprimé ces quelques plans car il craignait qu'ils soient perçus comme un clin d'œil pédophile, ce qui n'était absolument pas son but. Enfin, un module très intéressant laisse Jodorowsky s'exprimer autour de sa passion du Tarot. L'homme tord le cou immédiatement à la pratique divinatoire des cartes (qu'il considère comme de l'escroquerie) pour nous parler de sa valeur symbolique. Après une introduction générale, Jodorowsky nous présente carte par carte le fameux Tarot de Marseille. Malheureusement, la courte durée du complément nous laisse avec un goût de trop peu tant le sujet semble vaste et le narrateur passionné. Un dernier module s'attarde sur la restauration du film. Un technicien nous commente en voix-off l'impressionnant travail accompli face à une image splittée en deux : un côté représente le métrage dans sa version « bootleg », tandis que l'autre son image après traitement. Inutile de dire que le résultat déchire les yeux et qu'il fait office de preuve par l'image de l'exceptionnelle qualité de cette édition.

Rédacteur : Eric Dinkian
Photo Eric Dinkian
Monteur professionnel pour la télévision et le cinéma, Eric Dinkian enseigne en parallèle le montage en écoles. Il est auteur-réalisateur de trois courts-métrages remarqués dans les festivals internationaux (Kaojikara, Precut Girl et Yukiko) et prépare actuellement son premier long-métrage. Il collabore à DeVilDead depuis 2003.
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L'édition vidéo
LA MONTANA SAGRADA DVD Zone 2 (France)
Editeur
Wild Side
Support
4 DVD
Origine
France (Zone 2)
Date de Sortie
Durée
1h50
Image
2.35 (16/9)
Audio
English Dolby Digital 5.1
English Dolby Digital Mono
Sous-titrage
  • Français
  • Supplements
    • EL TOPO
    • FANDO ET LIS
      • LA MONTAGNE SACREE
      • Commentaire audio de Alejandro Jodorowsky
      • Scènes coupées (5mn56)
      • Le Tarot commenté par Jodorowsky (7mn52)
      • La restauration (5mn31)
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