Il y a 2000 ans, le général Meng Yi (Jackie Chan) tombe amoureux de la concubine de l'empereur qu'il doit escorter le long d'un périlleux voyage. Cette histoire revient sans cesse dans les rêves de Jack (Jackie, encore), un archéologue vivant dans le Hong Kong moderne. Est-ce la réminiscence d'une vie antérieure ? Quoi qu'il en soit, Jack et son ami scientifique William (Tony Leung Ka Fai) découvrent dans un tombeau indien une pierre magique défiant les lois de l'apesanteur. Et si cette mystérieuse pierre était la clef de l'énigme schizophrène de Jack ?
Tourné en 2005 par son vieux complice Stanley Tong (POLICE STORY 3, JACKIE CHAN DANS LE BRONX...), THE MYTH se place dans la continuité de la nouvelle orientation qu'essai de donner Jackie Chan à sa carrière. Après s'être imposé aux USA (mais majoritairement dans des seconds rôles), le comédien tente de reconquérir le premier plan de l'affiche dans des films chinois, n'hésitant pas à gratter le vernis familial de son image. Après un NEW POLICE STORY en 2004, où l'acteur (sur)joue les loosers alcooliques, THE MYTH transporte notre bondissant héros au cœur de batailles sanglantes où l'homme finira par trancher quelques gorges pour tenter de s'en sortir (rappelez-vous que Jackie Chan a toujours prohibé le sang dans ses films, hormis dans CRIME STORY de Kirk Wong, depuis renié par la star).
Nouveau véhicule pour Jackie Chan, THE MYTH est également un film qui lorgne vers le prometteur box-office de Chine Populaire. En ce sens, la recette n'a pas véritablement bougé depuis les précédents prétendants comme WU JI de Chen Kaige : des reconstitutions «historiques» d'envergures, des effets numériques «à l'américaine», de la romance impossible, ainsi qu'un casting pan asiatique convoquant de nombreux acteurs coréens (rappelons que ces derniers sont de véritables stars dans toute l'Asie grâce à des séries télévisées régnant en maître sur l'audimat). Et si WU JI intégrait également des comédiens japonais à sa distribution, THE MYTH ne s'avoue pas vaincu en organisant un aparté en Inde avec la plantureuse Mallika Sherawat. Un melting-pot qui va également obliger les interprètes à brasser les langues : le mandarin pour la partie histoire, le cantonnais pour la partie contemporaine et enfin l'anglais et l'hindi pour la partie Indienne.
Au-delà de ces incongruités, force est de reconnaître que THE MYTH n'arrive pas à faire concorder de manière harmonieuse ces deux principaux univers. Ce n'est pas tant un problème narratif (bien qu'il faille attendre le dernier quart du film pour enfin comprendre la justification des deux époques) mais surtout une question d'ambiance. Car si le passé est clairement orienté vers un ton plus adulte (avec une impressionnante séquence où Jackie Chan cède à la barbarie), l'action située dans le présent ne dénote en rien avec les précédents opus de notre star tout public. Le ton est volontairement enfantin (comme les «prétextes» mis en place pour lancer l'action, ou encore le côté asexué des romances), et de nombreuses séquences misent sur la «kung-fu-comedy» chère à Jackie Chan. Il n'y a qu'à voir ce combat sur un tapis roulant gluant, où notre héros et ses adversaires doivent se battre non sans libérer petit à petit leurs vêtements collés au sol (tout le monde finit d'ailleurs en caleçon, signé d'un smiley pour notre star).
Pour apprécier THE MYTH, il va donc falloir trier quelque peu dans son assiette volontairement schizophrène. L'intrigue historique n'apporte que clichés et niaiseries dans son déroulement, mais se réveille soudainement pour un assaut final mémorable d'action et de tragédie (où Jackie Chan se réinvente comme promis de manière très intéressante). La narration dans le présent nous ressert une intrigue à la TOMB RAIDER à base de pierre magique qui a déjà eu raison de nombreux projets du même genre (voir LE MEDAILLON ou encore LE TALISMAN), mais qui bénéficie pour autant d'excellentes scènes de quiproquos comico-tatanesques comme on espèrerait plus en voir chez la star depuis déjà trop longtemps. Et si le final croule sous les effets numériques pas toujours heureux, il a le mérite d'installer une jolie ambiance onirique en reconstituant le tombeau de l'armée en terre cuite de l'empereur Qin pour quelques ballets flottant cher au cinéma cantonnais old school.
THE MYTH est donc un film symptomatique d'une industrie locale chamboulée par l'arrivée impromptue de la gigantesque Chine Populaire, créant de ce fait une bulle spéculative incitant les stars et producteurs à mettre un peu de tout dans leur film le temps de voir se dégager plus clairement les attentes de ce nouveau marché. Une période de tâtonnement propice aux films aberrants, comme le fameux WU JI cité plus haut et son effroyable avalanche d'effets numériques irregardables. THE MYTH relève malgré tout le niveau en proposant un spectacle agréable et parfois trépidant au-delà de ses deux heures boursouflées jusqu'à l'absurde.
THE MYTH fut présenté au 8ème Festival du Film Asiatique de Deauville (lors du premier trimestre 2006) où les rumeurs laissaient entendre une sortie prochaine sur les écrans français. Depuis, plus de nouvelles ! Autant se reporter sur le double DVD chinois en Zone All, déjà disponible depuis des lustres à un prix très raisonnable. Cependant, une fois la galette insérée dans son lecteur, on déchante bien vite face à la qualité technique du film. Car si l'image ne semble pas souffrir de problème de compression ou d'étalonnage typique des disques chinois d'un certain temps, elle nous gratifie d'un défaut assez inédit dans l'histoire du DVD : certaines images (mais pas toutes) sont anamorphosées, c'est-à-dire étirée en longueur. On ne comprend pas bien le problème étant donné que le format du film semble respecté dans son ensemble. Quoi qu'il en soit, sur deux bonnes heures, le résultat vous donnera immanquablement envie de prendre rendez-vous chez votre ophtalmo. Aucun problème médicaux à déplorer en ce qui concerne la section sonore déclinée en DTS et Dolby Digital 5.1 qui délivrent un rendu le plus souvent spectaculaire.
Question bonus, l'édition a l'excellente initiative de sous-titrer en anglais les suppléments, à commencer par le commentaire audio de Stanley Tong ainsi que deux de ses producteurs. Si la parole est soutenue et partagée, on se demande rapidement si nous ne sommes pas au milieu d'une authentique réunion de production tant le discours est orienté vers la gestion de l'infrastructure du film. Une grande partie des anecdotes des intervenants se fait d'ailleurs face aux merveilleux décors naturels du film et de leurs problèmes d'accessibilité : «Cette scène était un véritable cauchemar à tourner car le compteur électrique était très loin du plateau», dit à un moment Barbie Tung, l'une de nos experts !
Un deuxième disque est exclusivement réservé aux suppléments, avec pour commencer un Making Of d'une quinzaine de minutes. Le module est en vérité une featurette promotionnelle nous vantant les promesses du «prochain Jackie Chan», entre somptueux décors naturels et effets spéciaux de pointe. Une curieuse section nommée «Behind the scene part 1» (il n'y aura pas de deuxième partie) nous propose une archive de modules dédiés au tournage des séquences clefs du film. A l'inverse du ton mercantile du Making Of, ces séquences donnent dans le reportage caméra au poing et en longueur. Pas ou peu de commentaires, nous suivons en témoin l'équipe du film au travail. C'est parfois fascinant (comme de constater l'incroyable minutie et la lenteur du tournage des scènes d'action) mais malheureusement bien longuet dans la continuité, d'autant qu'un nouveau défaut de l'image s'invite sur toutes ces saynètes (et par extension sur le Making Of car la base image est la même) : une saccade dans les mouvements qui semble être une mauvaise interprétation des trames des rushes videos. En bref, un deuxième rendez-vous chez l'ophtalmo est à prescrire !
L'édition termine sa section par du remplissage commun : une petite poignée de scènes coupées sans intérêts (quelques lignes de dialogues entre Jackie Chan et Tony Leung Ka Fai lors de l'infiltration dans le temple indien), un clip du film monté sur la chanson du générique de fin, un topo sur l'avant première du film à Hong Kong où chacun vient dire un petit mot avant la projection, et enfin des bandes-annonces et un petit reportage sur l'équipe venant préparer la promotion de THE MYTH à Cannes en 2005. On remarquera d'ailleurs une très belle faute de frappe dans cet ultime menu promotionnel avec ses deux «TV Commerical» (au lieu de «TV Commercial») ! Une édition décidément très soignée.
«Pas de sang, pas de sexe, pas de gros mots» ! C'est sous ces trois grands principes que Jackie Chan a bâti sa carrière de kung-fu fighter certifié pour toute la famille. Avec THE MYTH, il vient de violer en toute connaissance de cause son premier amendement pour les besoins d'un nouveau blockbuster chinois bancal et bicéphale, où le meilleur est noyé dans les aberrations d'une industrie locale encore loin d'être solidement structurée sur un nouveau modèle qui peine décidément à montrer le bout de sa lance.