Londres, 2027. Un jeune homme meurt accidentellement, un fait divers plongeant les habitants dans le désarroi. Agé de dix-huit ans, il était l'être humain le plus jeune d'une planète où la population féminine est devenue stérile. Mais au milieu du chaos, Theo, un ancien activiste, se voit proposer une mission aussi délicate que surprenante : escorter une jeune femme hors du pays.
En 1992, P.D. James publie Les Fils de l'homme, un livre un peu à part dans la bibliographie d'une romancière surtout connue pour ses excellentes histoires policières. Ici, elle se tourne vers une «Science Fiction intelligente» dans le sens où l'histoire se concentre davantage sur la vie intérieure de ses personnages et leur façon de vivre avec ce qui pourrait presque être assimilé à un fléau d'une nouvelle espèce, insidieuse et sournoise, n'épargnant absolument personne. Les changements survenus dans la société sont plus subtils et ne sont au final rien d'autre que l'extension des diverses façons de gouverner d'aujourd'hui... De l'anticipation, donc !
Adaptation cinématographique oblige, il n'était pas possible de tout filmer tel quel, cela aurait nécessité un métrage de plusieurs heures. Alfonso Cuarón ayant décidé de ne pas lire le livre afin de ne pas s'embrouiller les idées, la tâche incombe à son co-scénariste, Tim Sexton, qui prend le parti de se concentrer davantage sur l'action plutôt que sur les nombreux face à face dialogués dans le texte et également de faire quelques changements, en particulier au niveau des personnages. Ainsi, Theo et Julian ont été mariés vingt ans auparavant alors que dans le livre, ils ne se sont jamais rencontrés. Et dans la version littéraire, c'est Julian qui porte l'espoir de l'humanité. Les relations entre Theo et son cousin, le Gouverneur, sont également beaucoup plus mises en avant quoiqu'assez bien résumées dans une courte scène du film.
L'acteur Clive Owen (SIN CITY) s'est beaucoup investi dans cette première partie créative du métrage, bien au-delà de la simple préparation de son personnage. Dans le résultat final, cela s'en ressent grandement. Le beau ténébreux au regard perçant est entièrement crédible dans son rôle d'homme désillusionné et résigné au destin qui voit sa vie chamboulée par l'apparition de son ex-femme. Les deux ont une histoire rendue davantage compliquée par le décès accidentel de leur propre enfant, occasionnant divers ressentiments et sentiments de culpabilité jamais résolus en raison d'une rupture brutale mais inévitable entre deux êtres incapables de se parler. Cette femme est incarnée par Julianne Moore (HANNIBAL), une actrice au charisme certain, évoquant une force intérieure inébranlable même face au pire travers de l'humanité. Et bien qu'ils arrivent à se faire mutuellement confiance, le destin s'en mêle de nouveau, toujours aussi cruel.
Même si Cuarón n'a pas lu le livre, il maîtrise le sujet, ainsi que sa mise en scène, quasiment à la perfection, livrant une vision du futur absolument terrifiante ! Un sentiment de désespoir poignant infuse le métrage dès les premières images, souligné par un paysage terne et ô combien réaliste. En effet, le futur de P.D. James n'est en rien fait de prouesses technologiques ou de beauté visuelle à la BLADE RUNNER – on sent bien que même vingt ans dans le futur, on est toujours fermement ancré chez nous, dans notre quotidien. Et plus les choses changent, plus le risque est grand de voir la population s'accrocher à ce qu'ils connaissent et les réconfortent malgré tout, c'est à dire un passé régi par l'intolérance et la violence. Incapables de trouver de nouvelles façons de bien vivre avec le lot qui leur est imparti, les êtres humains voient surgir ce qu'ils ont de pire en eux, mettant en péril la moindre lueur d'espoir, représentée ici par une jeune fille aux mœurs légères, noire qui plus est. En terme de figure christique (la référence amusante à la vierge marie est évidente) et la seule personne au monde à pouvoir sauver l'humanité, difficile de faire pire aux yeux de ceux dont la mentalité fait du sur-place (ou de faire plus caricatural, dépendant du point de vue). Et pourtant, même du côté de la lie de l'humanité, l'espoir fait vivre...
La première partie du film se concentre sur les personnages et leur développement psychologique, laissant la voie libre à une deuxième partie bien plus centrée sur l'action, notamment au sein d'une zone de rétention aux allures des pires champs de bataille urbaine que le monde ait connu. Toutes les nationalités s'y retrouvent sans pour autant se mélanger ce qui est somme toute compréhensible, mais une question se pose au passage : était-il vraiment nécessaire d'inclure une marche funéraire de musulmans scandant leur allégeance religieuse, fusils en l'air ?
Bien que quelques maladresses n'arrivent jamais à ternir le visionnage d'un film de haut niveau, le lecteur du livre sera déçu de voir certains passages très marquants absents du métrage. Nous parlons ici du fameux Quietus, la solution proposée par le gouvernement pour terminer sa vie en toute quiétude, comme son nom l'indique. Cette méthode est évoquée brièvement dans une publicité en toile de fond puis dans la maison de Jasper, ancien hippie et meilleur ami de Theo (Michael Caine dans un rôle aussi hallucinant que vrai !), dont la femme est devenue pour ainsi dire catatonique. A un moment, il ouvre une boîte comportant l'inscription Quietus mais la suite ne sera que suggérée. Dans la version littéraire, un suicide collectif assisté était le théâtre d'une scène d'action intense et émouvante, approfondissant l'horreur de la chose. Certes, l'euthanasie passive ou active est encore un sujet des plus délicats mais dans le contexte, cela s'inscrit parfaitement dans une société qui n'a plus besoin de ses gens âgés et préfère s'en débarrasser pour éviter d'avoir à s'en occuper (de toute façon, qui le fera puisque tous les jeunes vieilliront sans descendance ?). Cette «solution finale» rejoint pourtant fortement certaines scènes du film où les gens sont envoyés en «camp de transition» ou bien encore enfermés en cage et surveillés par des militaires qui n'hésitent pas à les aligner avant de les exécuter. Si ceci vous rappelle certaines années noires de notre Histoire passée, cela ne peut être fortuit - comme quoi, le pire du futur sera peut-être l'incapacité de l'être humain à s'adapter, évoluer et encore moins tirer des leçons de son passé.
Du côté de la qualité de l'image présentée dans son format 1.85, nous n'avons rien à redire. Les effets spéciaux sont bluffants de réalisme et la palette des couleurs employées collent parfaitement à l'ambiance morose et sans espoir que Cuarón dépeint avec tous les moyens du bord.
Les pistes sonores sont au nombre de deux, anglais sous-titré ou doublage français, et en Dolby Digital 5.1. Au risque de nous répéter, nous n'avons repéré aucun défaut majeur – bien au contraire – et l'équilibre se répartit bien dans les enceintes pour un rendu dynamique, voire impressionnant par moments. A ce titre, le final mérite un petit commentaire juste pour saluer la puissance sonore qui s'en dégage, clouant le spectateur à son siège.
Pour un film d'une telle envergure visuelle et philosophique, le spectateur enthousiaste l'ayant découvert sur grand écran était sans doute très impatient d'une sortie DVD en espérant en savoir plus grâce aux suppléments. Eh bien, que nenni. Et nous sommes vraiment désolés de vous retransmettre notre déception mais il faut dire ce qui est : elle est de taille, à commencer par un commentaire audio inexistant. Le studio n'a-t-il pas vu l'utilité du réalisateur commentant une œuvre aussi forte ? Difficile de penser que Cuarón n'ait rien eu à dire sur le sujet tant le film regorge de détails que le cinéaste mexicain aurait pu pointer du doigt tout au long du déroulement des FILS DE L'HOMME.
Passons alors aux suppléments existants et ça commence mal mais au moins, tout est en version originale avec un choix de sous-titres incroyable, trop nombreux à énumérer. Le premier module (présent sur le premier disque), Les Hommes menacés, est simplement un segment promotionnel d'un peu moins de huit minutes où nous voyons brièvement Cuarón, Owen ou les producteurs évoquant le film ainsi que la préparation de quelques séquences filmées, le tout survolé bien trop rapidement.
Le deuxième disque de suppléments est une contradiction dans les termes et nous allons vous démontrer en quoi. Les Enfants des hommes est une sorte d'analyse du film en moins de six minutes par le philosophe et critique culturel tchèque, Slavoj Zizek. Avec ce segment un peu surprenant, le monsieur évoque les multiples plans de lecture du film, à savoir que ce qui se dit cache souvent des non-dits tout aussi importants. Ce n'est pas inintéressant en soi mais l'accent et la monotonie de la voix de Zizek peuvent induire certaines difficultés de concentration…
Ceux qui trépignaient d'impatience de découvrir les scènes coupées ne verront nullement leurs efforts de patience récompensés. Les scènes en question sont au nombre de quatre et sont proposées en continu, durant presque 2mn30, sans commentaire, ni carton séparateur. A vous de deviner où elles devaient se situer (facile) et pourquoi elles ont été coupées (mystère). Mais surtout, ne cherchez pas la pertinence de l'existence de ce segment car elle semble inexistante.
Nous passons à un module au titre évocateur de Theo et Julian qui éveille enfin notre intérêt… avant de nous laisser vaguement perplexes une nouvelle fois. En dépit d'une participation active, Clive Owen ne semble pas avoir tant de choses que ça à raconter ou alors, on ne lui en a pas laissé l'occasion. C'est sûr qu'avec une durée de même pas cinq minutes, il est difficile pour trois personnes (Owen, Cuarón et Julianne Moore) de parler en profondeur sur des personnages qui l'auraient mérité. Fort heureusement, tout est dans le film, en particulier pour qui sait lire entre les lignes.
Style futuriste présente déjà un peu plus d'intérêt en ce que le segment se concentre sur les décors et leur approche créative sur presque neuf minutes. Comme évoqué dans la critique, Cuarón voulait se départir d'un look futuriste à la BLADE RUNNER ce qui est tout à son honneur et aurait de toute façon trop détonné avec le propos qui est bien plus important que les apparences. Le réalisateur tenait vraiment à préserver des lieux et des iconographies facilement reconnaissables (les divers bâtiments de Londres dont Big Ben ou le Parlement), nous plaçant ainsi au cœur de l'action.
Le titre du prochain segment mettra l'eau à la bouche des admirateurs des effets visuels du film : La création du bébé. Fascinés, nous lâchons la télécommande en nous attendant à un module captivant, nous détaillant cette naissance où aucune transition n'est décelable, même au ralenti. Mais ne clignez surtout pas des yeux car en trois minutes chrono, c'est fini. On a bien droit aux différents stades de création mais en images continues et sur fond musical uniquement. Le spectateur ne connaissant rien à l'infographie ou aux termes techniques anglais sera perdu (certains étant même très curieusement traduits). Les autres n'ont que leurs yeux pour pleurer à ce stade.
Le dernier segment, La Possibilité d'espérer, est un documentaire soporifique réalisé par Cuarón et s'étirant sur près d'une demi heure. Le réalisateur donne la parole à divers sociologues, géographes et philosophes sur fond d'images de destruction de Dame Nature. Sont évoqués pêle-mêle des sujets évidents comme l'Homme, son identité culturelle, l'évolution et son impact négatif, le dérèglement climatique qui causera d'inévitables catastrophes et migrations massives – bref, aucun des intervenants ne laisse de place à l'espoir et quoi que l'on fasse, on est condamnés. A ne pas regarder durant une phase dépressive, même passagère. Mais la forme s'avère trop aride, trop monotone à l'instar de l'analyse de Slavoj Zizek pour captiver.
Les fans du film les plus curieux resteront largement sur leur faim avec ce double DVD qui ne mérite pas son appellation. Cependant, tout le monde peut au moins se régaler avec un cinéma intelligent, touchant et effrayant à la fois, comme on aimerait en voir plus souvent.