Plein d'enthousiasme, le professeur Gérald Deemer travaille sur une nouvelle forme de nutriments susceptibles de réduire considérablement les problèmes de famine dans le monde. Malheureusement, les résultats ne sont pas ceux escomptés et ce sont tout d'abord les assistants de Deemer qui vont en faire les frais. Le premier succombe d'une crise foudroyante d'acromégalie en plein désert alors que le second, atteint des mêmes maux, meurt en tentant d'assassiner le professeur. Lors de l'altercation, une tarentule dopée aux fameux nutriments est libérée et disparaît dans les rocheuses avoisinantes. Tout semble rentré dans l'ordre mais bien vite, le grand air ne suffit plus à la tarentule fugueuse. Sa taille ne cessant d'augmenter dans des proportions monumentales, ses besoins alimentaires deviennent sans limite. Le bétail est bien entendu la première victime du monstre mais bien vite, ce sont les citoyens d'une petite ville avoisinante qui sont menacés…
Avant d'être réalisateur pour des séries aussi "prestigieuses" que WONDER WOMAN ou LA CROISIERE S'AMUSE, Jack Arnold fût, dans les années 50, un grand et prolifique réalisateur de films de série B. Nous lui devons ainsi (entre autres) le sympathique LE METEORE DE LA NUIT (1953), l'excellent LA CREATURE DU LAC NOIR (1954), sa suite en demi-teinte et surtout, le très impressionnant L'HOMME QUI RETRECIT (1957). Malgré cette filmographie tout à fait respectable, l'homme a, en 1955, des besoins financiers qui l'incitent à prendre le taureau par les cornes. Arnold décide donc de réutiliser le scénario de Robert M. Fresco qu'il vient tout juste de mettre en image pour les besoins de la série SCIENCE FICTION THEATRE. Cet épisode, nommé "No Food For Tought", nous conte les mésaventures de scientifiques s'utilisant eux-mêmes comme cobayes de leurs recherches dans le domaine de l'alimentation synthétique… A ce postulat de base, il ajoute une tarentule, elle-même victime des expérimentations d'un chercheur. Arnold emballe le tout très vite et propose la chose à Universal, arguant qu'il y a là possibilité d'exploiter les phobies du public comme le fit Gordon Douglas un an plus tôt avec son brillant DES MONSTRES ATTAQUENT LA VILLE.
Le feu vert est donné et le tournage de TARANTULA peut débuter avec toutefois quelques consignes prônant l'économie. Le film sera donc tourné en dix jours seulement et usera de quelques subterfuges pour réduire son budget. Le premier concernera la bande originale du film. Celle-ci est en effet constituée de morceaux composés par Herman Stein et Henry Mancini à l'occasion de précédents métrages Universal (LA CREATURE DU LAC NOIR, LE METEORE DE LA NUIT, LES SURVIVANTS DE L'INFINI et bien d'autres). Autre source d'économie : Les effets spéciaux. Contrairement à ce que semblent indiquer certaines affiches (dont celle reprise pour la jaquette DVD), la tarentule du film ne souffre absolument pas du «syndrome King Kong» et ne s'entiche nullement de l'héroïne. Aucune scène ne nous présentera donc le monstre saisir Stéphanie Clayton (Mara Corday) entre ses crochets, pas plus du reste qu'aucun autre personnage… L'interaction entre la créature et les différents protagonistes est ici limitée à son strict minimum (seuls quelques piliers et lignes électriques seront impactés par le monstre), ce qui permettra bien entendu de se passer des techniques coûteuses de Stop Motion (animation image par image) pour privilégier un système de calques rendant possible la superposition d'images. Ce procédé, fort convaincant, permettra donc de faire évoluer à l'écran un véritable arachnide, provoquant à n'en pas douter la chair de poule chez les spectateurs les plus sensibles. L'incrustation se voit par ailleurs grandement simplifiée par la présence de nombreuses séquences nocturnes comme par exemple celle du laboratoire de Deemer (à la limite de l'ombre chinoise). Reste que le résultat obtenu par David S. Horsley, s'il n'est pas parfait (une patte disparaît partiellement lors d'un franchissement de colline durant trois secondes environ), s'avère suffisamment concluant pour proposer un spectacle crédible et fort réjouissant.
Pour rester dans le domaine des effets spéciaux, nous évoquerons par ailleurs les regrettables conséquences du fameux nutriment sur les hommes… En effet, alors qu'elle provoque un grossissement proportionnel et sans limite chez l'animal, la substance concoctée par Deemer engendre chez l'homme une forme d'acromégalie foudroyante et bien entendu mortelle. L'acromégalie (mal dont souffrent par exemple les acteurs Richard Kiel et Matthew McGrory) est une maladie généralement provoquée par la présence d'une tumeur à l'hypophyse. Celle-ci entraîne chez l'homme une augmentation hors norme de la taille des mains et des pieds accompagnée d'une déformation faciale assez grave. Nous retrouvons bien dans TARANTULA ces différents symptômes, appliqués bien entendu aux assistants mais aussi au professeur Deemer lui-même. C'est le bien connu Bud Westmore, ayant travaillé au maquillage sur prés de 500 métrages (dont LE PEUPLE DE L'ENFER, LA CHOSE SURGIT DES TENEBRES et L'HOMME QUI RETRECIT…), qui s'acquittera de cette tâche avec un indéniable talent, nous proposant quelques prothèses réellement étonnantes défigurant horriblement les trois protagonistes concernés...
Malgré son budget réduit et les artifices employés, TARANTULA, grâce au talent des artisans en présence, parvient donc sans mal à se hisser au dessus de la vague des Giants Monsters Movies qui déferle durant les années 50. Son schéma est pourtant des plus classiques et reprend, pour la énième fois, le concept du savant rendu fou par la soif de découvertes. Dans le cas du professeur Deemer, nous ne trouverons nullement la volonté de nuire mais plutôt d'aider et quelque part, de palier les lacunes de la création Divine… Si les intensions initiales du professeur (interprété par l'excellent Leo G. Caroll, acteur fétiche d'Alfred Hitchcock) sont bien évidemment louables, celles-ci deviennent bien vite un dessein l'aveuglant, lui faisant oublier jusqu'à la mort atroce de ses deux assistants. Pire encore, l'homme, pris à son propre piège n'aura de cesse de poursuivre ses recherches, tentant de conserver son secret coûte que coûte, au péril de la civilisation qu'il cherchait pourtant à aider. Fort classiquement et à l'image de ses pairs, le professeur périra entre les griffes de la créature qu'il a lui-même engendrée…
Mais au-delà de cette thématique du savant ivre de pouvoir (héritée bien entendu du docteur FRANKENSTEIN), TARANTULA développe rapidement celle, très en vogue alors, des méfaits de la radioactivité. Généralement présente par le biais d'une exposition aux essais nucléaires (LE MONSTRE DES TEMPS PERDUS, DES MONSTRES ATTAQUENT LA VILLE, GODZILLA, etc.), cette menace est ici directement injectée dans le corps via le nutriment expérimental du professeur Deemer, constitué principalement d'isotopes radioactifs… Là encore, la science se trouvera démunie face aux ravages engendrés par l'invisible danger. Pas d'inquiétude toutefois car, fort heureusement, l'armée américaine saura comme à son habitude proposer une issue rapide, musclée et efficace ! Ce dénouement des plus radicaux sera ici matérialisé par un raid aérien, dirigé par un Clint Eastwood qui n'en est alors qu'à son second -très anecdotique- rôle (le premier étant celui d'un scientifique dans LA CREATURE DU LAC NOIR du même Arnold)…
Autre membre du casting en la personne de John Agar (LE PEUPLE DE L'ENFER, ATTACK OF THE PUPPET PEOPLE, INVISIBLE INVADERS, etc.) qui interprète ici le Docteur Matt Hastings venu enquêter sur le décès du premier assistant du professeur Deemer. L'homme, déjà présent dans LA REVANCHE DE LA CREATURE (1955) de Jack Arnold, nous offre ici une prestation de qualité bien qu'elle ne soit en réalité que très secondaire. En effet, TARANTULA n'échappe en rien aux clichés du genre et se voit bien entendu «contraint» de mettre en scène un couple vedette. Ce duo, formé donc par John Agar et Mara Corday (qui sera confronté au SCORPION NOIR deux ans plus tard) n'a en réalité d'autre but que d'étoffer une histoire qui aurait par ailleurs fort bien pu exister sans eux. Bien que ce soit par eux que nous arrivent les différentes explications scientifiques et qu'ils aient régulièrement la malchance d'être présents au mauvais endroit au mauvais moment, leur présence même dans le film ne semble guère justifiée. La scène de l'éboulement est à ce titre confondante : Alors qu'ils sont en voiture, échangeant quelques propos inutiles, Mara propose une halte dans le désert qui les mènera (comble de la malchance) au pied d'un amas rocheux qui s'écroulera sous les pas de l'arachnide géant ! Cette apparition pour le moins hasardeuse sera du reste la première de l'araignée dans sa forme réellement monstrueuse. Il est à ce propos étrange de constater que la véritable star du film n'intervient qu'assez tard (aux deux tiers du métrage) et que dans un premier temps, seules ses victimes nous sont dévoilées. Nous noterons au passage que la tarentule ne manifeste aucune agressivité «gratuite» envers l'homme. Elle n'attaque que pour des raisons alimentaires et se nourrit dans un premier temps que de vaches et de chevaux… A ce titre, nous retrouvons donc encore et toujours l'idée maîtresse de FRANKENSTEIN selon laquelle la créature est avant tout une victime de l'homme qui, par la force des choses, va devenir son ennemi…
Malgré donc une histoire simpliste et quelques imperfections, TARANTULA reste aujourd'hui un véritable monument de l'époque qui ouvrira les portes à plusieurs dizaines de clones plus ou moins réussis. Parmi ceux-ci, nous citerons LE SCORPION NOIR (Edward Ludwig, 1957) dans lequel Willis O'Brien fait bien entendu usage de la stop motion, ainsi que THE BEGINNING OF THE END (1957), EARTH VERSUS THE SPIDER (1958) et L'EMPIRE DES FOURMIS GEANTES (1977), tous trois sous la direction de Bert I. Gordon. N'oublions pas enfin les récents SPIDERS (Gary Jones, 2000) et ARAC ATTACK (Ellory Elkayem, 2002) nous exhibant tous deux des araignées géantes prenant d'assaut une ville, rendant ainsi hommage au final du film décidément inoubliable de Arnold…
TARANTULA, film culte pour beaucoup, nous arrive aujourd'hui en DVD via une édition Universal d'origine britannique. Le disque est donc parfaitement compatible avec les lecteurs français mais ne dispose malheureusement pas des mêmes options que L'HOMME QUI RETRECIT sorti simultanément chez le même éditeur. En effet, TARANTULA ne bénéficie que des pistes anglaise et allemande d'origine, toutes deux proposées dans un mono clair et sans réel défaut. Nous regretterons par ailleurs l'absence de sous-titres français rendant cette édition malheureusement inaccessible aux spectateurs n'étant pas bilingues (ou plus). Nul doute que les autres devraient trouver leur bonheur dans la liste des sous-titrages proposés parmi lesquels nous retrouvons bien entendu l'allemand et l'anglais. Concernant l'image, l'éditeur nous propose de redécouvrir le film dans un format 4/3 (1.33) de bonne facture. Bien qu'il semble que ce soit là le format dans lequel il a été tourné, il est bien évidement difficile d'affirmer avec une absolue certitude le cadre dans lequel il fut projeté dans les salles… Toujours est il que nous n'avons pas là à déplorer d'anomalie et que la copie proposée (restaurée en 1985) est plutôt propre. Les contrastes sont appuyés, la compression ne se fait sentir que lors de rares plans sombres et le grain reste très acceptable pour ce type de métrage. Le gros défaut de cette édition restera donc l'absence totale de supplément ce qui demeure fort regrettable, voire inacceptable pour un tel classique…
Bien qu'imparfait et convenu, TARANTULA est donc un film essentiel pour tout amoureux de monstres atomiques. TARANTULA est, à l'image de DES MONSTRES ATTAQUENT LA VILLE une œuvre qui marqua bien entendu son époque mais surtout, toutes les générations de réalisateurs bis qui suivirent. Une véritable petite perle donc, qui s'est faite désirer en DVD mais qui nous arrive enfin aujourd'hui dans une édition au coût réduit… Si l'absence de sous-titre français n'est pas un obstacle, vous n'avez dès lors plus aucune raison de passer à côté de l'une des meilleures séries B des années 50.