Kensuke est un apprenti yakusa tout en bas de l'échelle hiérarchique. Très peu efficace sur le terrain, il ne génère que le mépris de ses partenaires. Néanmoins touché par sa dévotion, son boss Tosa le prend sous son aile. Alors que Kensuke escorte ce dernier à un rendez-vous d'affaire, un clan rival crible de balles les deux hommes. C'est la fin de Kensuke ? Non, le pauvre bougre se réveille sur la table d'opération d'un savant fou. Ce dernier l'a transformé en robot fonctionnant grâce aux organes internes de son chef. Avec la force de son boss dans sa carcasse métallique et ses pouvoirs «bioniques», Kensuke va réclamer vengeance.
Daté de 1997, FULL METAL YAKUSA n'est pas un film de cinéma mais de V-Cinéma. Une catégorie d'oeuvres exclusives au marché nippon, et qui fait référence à des produits uniquement conçus pour la vente et la location vidéo (ce qui ne veut d'ailleurs pas dire «tourné en vidéo», même si c'est de plus en plus le cas maintenant). Concrètement, ce sont des oeuvrettes bricolées dans l'urgence pour une poignée de Yens par des metteurs en scène ayant les coudées franches pour faire tout ce qu'ils veulent (du moment qu'ils arrivent à vendre ensuite quelques milliers d'exemplaires de cassettes ou DVDs de leur film). Un contrat qui ne va pas laisser Takashi Miike de marbre. Réalisateur adepte de l'expérience pelliculaire et boulimique de tournages, Miike voit dans le V-Cinema un terrain de jeu idéal à ses aspirations les plus folles. En reprenant les schémas du film de yakusa (qu'affectionne Miike) à la sauce science-fiction barrée, le scénario de FULL METAL YAKUSA ne pouvait que s'attribuer les faveurs de ce cinéaste toujours en recherche de projets atypiques.
Production aussi mineure soit-elle, FULL METAL YAKUSA s'assure la complicité de quelques noms connus histoire de se sentir décontractée vis-à-vis des futurs objectifs de vente. Dans le rôle titre, nous découvrons Tsuyoshi Ujiki. Un comédien très peu remarqué chez nous (mis à part sa performance dans CURE de Kyoshi Kurosawa), mais très populaire au Japon notamment grâce à son groupe de rock Kodomo. Au rayon yakusa, les têtes familières se bousculent comme Ren Osugi (récurrent chez Miike ou Kitano), ou encore Kôji Tsukamoto (le terrifiant boxeur de TOKYO FIST de son frère Shinya Tsukamoto). Dans la peau du concepteur cybernétique, nous retrouvons le fou furieux Tomorowo Taguchi (l'homme métal des TETSUO encore de Tsukamoto, et doubleur récurrent de la version japonaise de SOUTH PARK). Quant à l'argument féminin, il est assuré par la jolie Shoko Nakahara. Une habitué des rôles difficiles car elle jouait le cadavre de VISITOR Q du même Miike, qui finissait violée frénétiquement par le héros du film.
Malgré son pitch de gangster cyborg, FULL METAL YAKUSA n'est pas uniquement un film fantastique. C'est un métrage qui reprend très fidèlement le schéma du film de yakusa en suivant le parcours d'un jeune apprenti peu doué pour la violence mais ayant réussi à toucher le coeur de son boss, un homme doté au contraire d'une force et d'une autorité sans limite. Bien évidemment, leur exécution par un clan adverse est commanditée par une poignée de traîtres issus de leur propre clan. Survivant de la fusillade, Kensuke cherchera vengeance chez ses adversaires mais aussi chez sa propre «famille» de gangsters, quitte à être mis face à certains dilemmes (comme de devoir affronter son meilleur ami). Les ficelles sont classiques pour qui a pied avec les films japonais du genre. Mais deux éléments vont venir chambouler ce tableau bien huilé : l'intrusion dans le récit d'un pseudo remake de ROBOCOP de Paul Verhoeven, et surtout l'inspiration en totale roue libre de Miike.
FULL METAL YAKUSA prend le contre-pied de ROBOCOP puisqu'il met en scène un gangster (et non un policier) dans une résurrection bionique. Mais il n'en demeure pas moins fidèle dans certaines séquences au film de Verhoeven (on pense notamment au réveil du héros en vue subjective «artificielle»). FULL METAL YAKUSA a néanmoins l'initiative de lui coller dans les pattes un savant fou, décalque dégénéré du docteur Frankenstein, interprété via un cabotinage hystérique par Tomorowo Taguchi. Outre les supers pouvoirs dont va maintenant bénéficier Kensuke (courir à toute vitesse, arracher des membres d'une pichenette, être invulnérable aux balles…), le script à la bonne idée de le «mélanger» dans sa carcasse en métal avec son boss qu'il vénérait. Kensuke n'est donc pas que ressuscité, il est fusionné. Sa vengeance en devient moins une banalité qu'une quête existentielle : il accompli sa vendetta pour s'accaparer les actes de l'homme qu'il rêve d'être, son boss, dont les restes vont prendre de plus en plus d'emprise sur lui.
Avec Miike aux commandes, déchaîné à l'idée de ne devoir rendre de compte à personnes, il va sans dire que FULL METAL YAKUSA mérite son intérêt grâce à certaines idées bien barges et des situations particulièrement grotesques. Gore, sadique, SM (le personnage féminin fini kidnappé, enchaîné dans une combinaison de cuir de trois millimètres de large et copieusement violée une fois morte), le film n'en oublie pas d'être parfois ouvertement comique. Du tatouage dorsal de notre cyborg exécuté à la perceuse, à ce dernier prenant une position de majorette effarouchée pour arrêter avec son corps les balles de ses ennemies, Miike s'amuse à injecter parodie et incongruité à tout va. On pense aussi à Kensuke robot découvrant l'intimité de l'homme qu'il vénère : le savant lui a greffé le penis hypertrophié de son boss ! Ou encore ces scènettes ridicules où Kensuke ingurgite des pièces métalliques pour se nourrir, le tout arrosé d'une lichette de lait. Ce sans-gêne dans l'auto-dynamitage de son propre récit a beaucoup contribué à la réputation de ce FULL METAL YAKUSA. Un film qui ne se retient justement pas pour son histoire classique de polar ou son argument de science-fiction, mais pour ses embardées dans le n'importe quoi le plus convivial.
De ce partis pris, FULL METAL YAKUSA marche donc comme une récréation fun et trash qui s'apprécie uniquement grâce au divertissement qu'il procure. Mais certains spectateurs risquent d'être néanmoins un peu perdus, d'une part avec la lenteur typique de la narration japonaise (Kensuke s'isole dans le dernier tiers du film dans une petite cabane au bord de mer pour «méditer»), d'autre part face à la construction du récit parfois à contre-courant des standards notamment américains (comme cette séquence en début de film où le cyborg est neutralisé par la pluie – un point faible qui ne sera plus jamais exploité dans le reste du métrage). Il faudra de plus faire un effort sur le rendu des effets spéciaux exécutés rapidement en numérique. Car si le film est tourné en pellicule, toute sa post-production est en vidéo. Cela veut dire que certains effets (les éclairs des courts-circuits du héros, une tête qui vole dans les airs…) récupèrent la fluidité caractéristique de la vidéo, tout en étant quelques peu grossiers dans leur finition. Un bémol qui n'en est pas un, dans la mesure où le film se montre quand bien même extrêmement soigné pour son budget rachitique, et très généreux en action. Un rendu qui prouve qu'avant d'être un doux-dingue sabotant ses propres films, Takashi Miike est un réalisateur extrêmement solide faisant des miracles avec trois francs six sous (ou 81,371 Yens selon le taux de change du 02/09/06).
FULL METAL YAKUSA est disponible un peu partout dans le monde mais bien évidemment pas en France. C'est depuis le disque anglais que nous avons pu visionner le film. L'image, même si elle se montre très correcte, n'est pas miraculeuse non plus. La faute à une colorimétrie peu maîtrisée avec des noirs très peu profond et une teinte jaune / verte un peu trop prononcée pour être honnête. Une définition très moyenne vient de plus alourdir le tableau. La piste sonore est en stéréo pour une version originale efficace et sans artifice.
Tom Mes, l'auteur du livre dédié au maître (Agitator, the cinema of Takashi Miike), nous propose un commentaire audio sur toute la longueur du film. L'exercice de placer un tiers commenter l'intégralité d'une oeuvre à laquelle il n'a pas participé est toujours un peu «glissant», et Tom Mes en fait la démonstration. Si ces propos se montrent intéressants en ratissant large (on passe du marché du V-Cinema, aux ficelles du film de yakusa pour s'attarder de temps à autre sur les dérives barges de Miike), il peine à justifier sa présence sur la longueur. Il faut dire que le mixage très discutable de l'ensemble (la voix de l'homme est submergée par la bande sonore du film) ne rend pas les choses des plus agréables.
Plus concis, une interview avec Takashi Miike propose de baliser les mêmes sentiers (le V-Cinéma, le mélange des genres). Victime d'un débit plutôt lent, il faudra s'accrocher pour atteindre les témoignages les plus intéressants du cinéaste : comment il envisage chaque oeuvre avant d'entamer le tournage, sa propre méthode de mise en scène basée sur une créativité en perpétuelle évolution, et ses rapports avec les comédiens. Plus original, le disque propose une deuxième interview avec un collaborateur de longue date, le monteur Yasushi Shimamura. Les deux hommes se connaissent depuis leurs débuts (où chacun était assistant dans leur domaine respectif), et travaillent ensemble depuis SHINJUKU TRIAD SOCIETY (le premier film de cinéma de Miike). Hélas, l'homme se montre trop fermé dans ses explications et failli à nous apprendre comment fonctionne leur relation professionnelle. Des bandes-annonces et des filmographies achèvent la section.
Avec son cyborg schizophrène et vengeur, armé d'un sabre et d'un sexe démesuré, FULL METAL YAKUSA ne fait pas dans la dentelle. Il tape au contraire dans le bis et l'exploitation la plus assumée, pour le plus grand bonheur éberlué des cinéphiles alternatifs. Un Miike dans la plus grande tradition du bonhomme.