L'anecdote est célèbre. Mais elle est trop belle pour ne pas la citer à nouveau ! C'est en 1895, année de l'invention du cinéma, que le britannique Herbert George Welles publie son roman La machine à explorer le temps, premier ouvrage de science-fiction de ce père fondateur du genre ! Un roman qui connut un énorme succès et orienta définitivement la carrière de cet écrivain vers l'anticipation.
Pourtant, ce ne sera pas la première de ses oeuvres à se voir transposer à l'écran. Les premiers hommes de la lune, de 1901, inspire en partie LE VOYAGE DANS LA LUNE de Méliès deux années plus tard. L'Ile du Docteur Moreau ou L'Homme Invisible connaissent, avant la seconde guerre mondiale, diverses adaptations officielles ou officieuses. Il semblerait que La machine à explorer le temps ait dans un premier temps été adapté pour la télévision britannique en 1949, en théâtre filmé diffusé en direct. Pourtant, la vraie première adaptation cinématographique de ce roman est bien celle réalisée par George Pal en 1960, pour le compte du studio hollywoodien MGM.
LA MACHINE A EXPLORER LE TEMPS est un projet que caresse George Pal dès la première moitié des années 50, époque à laquelle il produit des longs métrages pour la firme Paramount. Dans ce cadre, il nous offrit LA GUERRE DES MONDES, déjà d'après H.G. Wells, LE CHOC DES MONDES, QUAND LA MARABUNTA GRONDE et LA CONQUETE DE L'ESPACE. Ce dernier titre, un space opera, est un échec commercial, et George Pal s'éloigne dès lors de Paramount pour trouver refuge auprès de la MGM.
Il renonce temporairement à la science-fiction, genre cinématographique dans lequel il était pourtant un grand pionnier, et revient à la Fantasy avec TOM POUCE. En effet, Pal était auparavant spécialisé dans un fantastique légendaire et merveilleux au travers de ses "PUPPETOONS", courts métrages d'animation image par image qu'il réalisait dans les années 40. D'ailleurs, TOM POUCE est aussi pour lui l'occasion de revenir à la mise en scène, poste qu'il avait abandonné depuis longtemps.
Après TOM POUCE, il a le loisir de réaliser et produire, toujours chez MGM, un nouveau film de science-fiction : LA MACHINE A EXPLORER LE TEMPS. Le film doit se faire pour moins d'un million de dollar, ce qui, pour un long métrage en couleurs de la firme au lion, s'avère très raisonnable. Le film sera donc sans Star. Rod Taylor, qui joue le voyageur du temps, était un acteur spécialisé dans les seconds rôles ou la télévision. C'est donc la première fois qu'il tient le haut de l'affiche pour le cinéma. Yvette Mimieux, de son côté, était pour ainsi dire inconnue...
Le soir du 31 décembre 1899, un groupe d'hommes se réunit chez leur ami, un inventeur, pour fêter le réveillon. Leur hôte surgit dans la salle à manger, les vêtements en lambeaux, avec quelques heures de retard ! Il explique à ses hôtes qu'il vient de voyager à bord d'une machine de son invention : une machine à explorer le temps ! Il prétend ainsi avoir visiter plusieurs étapes du futur et y avoir vécu des aventures incroyables !
Lorsqu'il s'est agi de transcrire l'histoire de La machine à explorer le temps, George Pal et le scénariste David Duncan ont, à un moment, envisager de moderniser l'intrigue, en faisant de George, le voyageur du temps, un homme contemporain, vivant en 1960. Une telle modernisation aurait été dans le même sens que celle opérée pour LA GUERRE DES MONDES. Pourtant, ils renoncent et écrivent une oeuvre de science-fiction rétrospective, s'inscrivant aux alentours de 1900, en plein âge victorien.
Il faut dire qu'entre-temps est passé 20.000 LIEUES SOUS LES MERS, classique du genre dont le succès entraîna la création d'autres films inspirés par Jules Verne se déroulant dans son époque d'origine : DE LA TERRE A LA LUNE de Byron Haskin, ou encore VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE de Henry Levin. Pal troque donc Jules Verne contre H.G. Wells, son collègue britannique, et l'on ne s'étonne pas qu'il ait un temps été envisagé de confier le rôle de George à James Mason, interprète de Nemo dans 20.000 LIEUES SOUS LES MERS ou de Lindenbrook dans VOYAGE AU CENTRE DE LA TERRE !
Pour transposer le roman de Wells à l'écran, certains aménagements sont effectués. Dans le roman, le voyageur se rend directement dans le futur lointain où cohabitent les blonds Elois et les sinistres Morlok. Pal choisit de rajouter deux étapes dans son trajet. George fait d'abord une pause en 1917, où il apprend la terrible réalité de la première guerre mondiale. Puis, il arrive en 1966 (six ans après la sortie du film, donc), et découvrent que s'y tient une troisième guerre mondiale au cours de laquelle des satellites lancent des bombes atomiques sur Londres !
Deux épisodes qui, sans être indispensables à la suite des évènements, permettent à George Pal d'attribuer à l'histoire une dimension prophétique, en particulier sur l'atôme, que ne pouvait avoir le livre de Wells sorti en 1895. Surtout, ils dessinent avec intelligence l'histoire d'amitié entre George et son compère Filby, un sympathique écossais qui nous est présenté au début du film et dont le héros va rencontrer les descendants au cours de ses voyages. Il apprendra ainsi à quel point son ami a été fidèle et loyal à sa mémoire, des années après sa disparition à bord de sa machine à explorer le temps.
Par contre, les voyages se situant après la découverte des Elois ont disparu du film. Dans le roman, le personnage continuait à voyager toujours plus loin dans le futur et découvrait, avec horreur, la disparition de l'espèce humaine, puis celle de toute forme de vie animale sur Terre ! Une conclusion pessimiste à laquelle n'adhère pas le film qui se conclut sur un relatif happy end, en forme de point d'interrogation. Il est important de préciser que George Pal a toujours envisagé, jusqu'à sa mort en 1982, la production d'une suite à LA MACHINE A EXPLORER LE TEMPS. Une suite à priori assez sombre puisqu'il était prévu de faire mourir la Terre à petit feu... Une suite qui n'a toutefois jamais été filmée.
L'intérêt de faire un film de science-fiction rétrospectif est évident. Ce cocktail permet de concilier deux genres aux qualités visuelles spectaculaires. Le film historique, avec ses reconstitutions fastueuses de costumes et de décors d'époque. Et l'anticipation, avec ses mondes inédits que concrétisent les trucages du cinéma... Pour peu qu'un tel mélange soit placé dans les mains d'experts du divertissement cinématographique, nous obtenons de grands films, comme 20.000 LIEUES SOUS LES MERS ou LA MACHINE ET EXPLORER LE TEMPS. Si la production Disney avait le sous-marin Nautilus pour marquer l'imaginaire des spectateurs, le film de George Pal a, lui, la fameuse machine du titre, superbe objet victorien, rococo, dont l'esthétique raffinée contraste avec le visuel lisse et plus fonctionnel de la science-fiction contemporaine des années cinquante.
Pour restituer les images étonnantes que contemplent George lors de ses bonds temporels, George Pal déploie tout un attirail d'effets spéciaux classiques, certes, mais employés avec goût et un vrai sens de la poésie. Animation image par image, prise de vue passée en accélérée, rétroprojections... Autant de procédés simples qui nous permettent de voir changer les saisons à toute vitesse, d'assister au déplacement d'un escargot à la vitesse d'un bolide, ou encore de suivre la course du soleil, lequel parcourt dans le ciel en quelques secondes la distance qu'il couvre normalement en douze heures...
Le voyageur dans le temps, qui n'est pas nommé dans le roman narré à la première personne, est appelé George dans le film. George, comme Henri George Wells, écrivain qui se retrouve ainsi héros de sa propre histoire ! Son rôle se voit confié à Rod Taylor, comédien énergique, aussi bien crédible en scientifique poète qu'en homme d'action meneur d'hommes.
Nous avons déjà vu que George Pal rajoute dans le métrage une touchante histoire d'amitié absente du livre. Il fait de même en inventant une intrigue sentimentale entre George et Weena, la jeune Eloi interprétée avec toute la grâce requise par la très belle Yvette Mimieux. Une histoire d'amour défiant les limites du temps va alors s'esquisser, donnant lieu à une séquence à l'érotisme mignon entre George et Weena. Séquence irrésistible où, pourtant, les amants de l'an 802 701 ne feront qu'à peine esquisser un baiser !
Explorer le futur, ce n'est pas seulement conter fleurette aux jeunes filles des siècles à venir. C'est aussi découvrir avec consternation à quel point l'espèce humaine a dégénéré, en se séparant en deux races : les blonds Elois, à l'allure aristocratique, qui vivent à la surface de la Terre. Et les hideux Morlok, créatures aux yeux luisants habitants dans un immense réseau de cavernes où ils travaillent sur d'énormes machines. Pourtant, les maîtres de ce monde du futur ne sont pas forcément ceux que l'on pourrait croire au premier abord.
En dépit de toutes les qualités et trouvailles de LA MACHINE A EXPLORER LE TEMPS, il est tout de même permis d'émettre quelques réserves. La séquence de la destruction de Londres par une explosion volcanique recourt à des maquettes trop grossières pour ne pas jurer avec le haut niveau des autres effets spéciaux. Et si la description de l'univers diurne des Elois s'avère des plus convaincante, le passage dans la caverne des Morlok peut sembler un peu expédié, alors qu'il devrait s'agir d'un des summums du métrage. Voilà pour le coin de l'"objectivité critique"...
Maintenant, cela ne retire rien aux grandes qualités de ce beau spectacle en couleurs, fresque de science-fiction à la fois touchante et spectaculaire. LA MACHINE A EXPLORER LE TEMPS constitue un des sommets de la carrière de ce grand nom du fantastique que fut Mister George Pal ! A sa sortie, le film connait d'ailleurs un grand succès commercial et gagne l'Oscar des meilleurs effets spéciaux. Comme on l'a vu plus haut, George Pal envisage de lui donner une suite. Pourtant, son long métrage suivant s'avère ATLANTIS, TERRE ENGLOUTIE, un mélange de péplum... et de science-fiction, bien sûr !
En DVD, LA MACHINE A EXPLORER LE TEMPS est édité et distribué, en Zone 1 comme en Zone 2, par Warner. Ce sont deux disques, nous allons le voir, au contenu tout à fait similaire.
Le disque français de LA MACHINE A EXPLORER LE TEMPS propose une copie au format 1.77 en lieu et place du 1.66 d'origine... Ce recadrage reste tout de même très léger, voire insensible au cours du visionnage. Le télécinéma 16/9 proposé est en tous cas une belle réussite, doté de belles couleurs et d'une définition bien affûtée. Il retranscrit avec application les plans dotés d'une importante profondeur de champs. Quelques images un peu granuleuses, ponctuelles, peuvent être relevées, mais l'ensemble s'avère d'un très bon niveau.
C'est semble-t-il exactement la même copie qui a été employée pour les disques américain et français. La seule différence notable reste les couleurs, à notre avis un peu plus "flashy" sur le disque américain et moins naturelle par endroit (les tons de peau). Il s'agit là d'un trait typique du format NTSC...
Sur le disque français, nous disposons d'une piste anglaise remixée en 5.1, et de pistes mono française et italienne. Dans tous les cas, il s'agit d'un travail correct, même s'il ne faut pas s'attendre à des bandes-sons aussi propres et douces à l'oreille que celles accompagnant des films plus récents. De nombreux sous-titrages Zone 2 sont fournis, dont, bien entendu, un en français. Le disque américain propose un contenu comparable pour le spectateur français, qui dispose à nouveau de la VF et du sous-titrage français.
En supplément, nous trouvons sur le disque français une sympathique bande-annonce d'époque en 16/9, ainsi que quelques suppléments écrits peu intéressants (liste des récompenses obtenues par le film et fiche technique). Le supplément le plus passionnant s'avère un copieux documentaire de 48 minutes : "Time machine, The Journey Back", présenté par Rod Taylor lui-même. Datant de 1993, il aborde plusieurs sujets. Est ainsi évoquée la création du film, en recourant à des interviews des créateurs des effets spéciaux, ou en nous présentant des accessoires et des story-board d'époque...
Nous avons aussi droit à l'histoire de la "machine" elle-même, de sa conception pour le film à sa restauration par le collectionneur Bob Burns (qui détient entre autres l'armature de la marionnette du King Kong originel). Nous avons aussi le droit à quelques savoureux clins d'oeil, comme cette publicité pour RETOUR VERS LE FUTUR, présentée par un Michael J. Fox assis confortablement dans la "Time Machine" de George Pal ! Ou encore cet épilogue à LA MACHINE A EXPLORER LE TEMPS, interprété en 1993 par Rod Taylor et Alan Young qui reprennent leurs rôles du film de 1960. Un bonus tourné spécifiquement pour ce documentaire !
De son côté, le disque américain propose les mêmes suppléments, sauf que le documentaire n'est plus sous-titrée en français. Donc, nous avons affaire à deux disques pratiquement identiques et constituant, chacun pour son marché respectif, une acquisition tout à fait recommandable.