Torturé par le meurtre d'une jeune fille qu'il n'a pu éviter un an plus tôt, le shérif Sheppard est sur le point de quitter la petite ville qui fut le théâtre d'une affaire de serial killer non résolue. C'est alors qu'un adolescent mutique, nu et couvert de sang frais, se présente au bureau de police avec dans sa main le couteau qui servit aux différents crimes. Tandis que Sheppard et ses deux adjoints tentent de comprendre ce qui se passe, le jeune homme se met à saigner de toute part. Un sang qui semble doué de vie propre, se déplaçant sur le sol, et venu chercher vengeance.
Jeune réalisateur d'une trentaine d'années, Sheldon Wilson réalise NIGHT CLASS en 2001, un thriller pour la télévision interprété par Sean Young et John Saxon. Après cette expérience, l'homme souhaite se tourner véritablement vers le cinéma en portant à l'écran une histoire fantastique de son cru, qui mettrait en scène un adolescent nu et recouvert de sang, déambulant pour accomplir sa vengeance. N'ayant aucun appui financier, Wilson pense un temps tourner son histoire en vidéo DV pour 40.000 dollars. Le temps de réunir des amis techniciens ou artistes autour de lui, et voici que l'ambition du projet enfle. La décision est alors prise de tourner en pellicule et de tenter de livrer un film de la meilleure tenue possible. Seul petit hic, le budget n'a pas grossi de manière aussi exponentielle. Il s'élèvera au final à 72.000 dollars, une somme misérable pour l'accomplissement d'un film comme L'ECORCHE.
Doté d'une cinématographie limitée, de comédiens professionnels mais sans réel génie (beaucoup sont originaires de la télé comme Timothy V. Murphy, au physique à la Viggo Mortensen), et d'une photo un peu passe partout, il ne faut cependant pas oublier que L'ECORCHE fut réalisé pour un budget si dérisoire qu'il n'aurait déjà pas dû atteindre le niveau de ces quelques bémols. Sa réalisation est en soi un exploit, réussi grâce à l'investissement et à l'imagination de son équipe, et se place bien évidemment de nombreuses coudées au-dessus du marché des inédits vidéo dont il fait partie.
Mais l'intérêt de L'ECORCHE n'est pas dans l'aventure filmique de sa production, mais dans son univers étrange dans lequel le spectateur est brutalement plongé. Avec l'arrivée de son personnage ensanglanté, dont l'identité et les motivations sont un mystère, c'est tout le rapport à la réalité qui se trouve bouleversé chez les personnages et ainsi chez le spectateur. D'abord complètement confus, le récit va peu à peu s'éclaircir via un lot de révélations qui permettra de remettre en place toutes les pièces du puzzle. Enfin, presque toutes les pièces car de nombreuses zones de l'histoire resteront dans l'ombre passé le générique de fin. Un souhait de son auteur qui souhaite avant tout faire fonctionner l'imaginaire du public.
Il est bien entendu difficile de ne pas spoiler dès lors que l'on parle de L'ECORCHE. Une bonne part de l'intérêt du métrage tient dans les régulières surprises qui nous sont adressées. Ce n'est cependant pas gâcher le plaisir de déclarer que le film est une relecture du fantôme dans l'univers du thriller estampillé serial killer. Loin des sentiers archi balisés du spectre vaporeux et au teint pâle, L'ECORCHE a la très bonne idée de refondre cette imagerie dans son jeune homme dégoulinant d'hémoglobine par tous les pores. L'image, originale, a en plus le mérite d'être puissante. Les cadavres pourrissants dans la cave du tueur en série ne seront pour autant pas oubliés, notamment lorsque le shérif sera enchaîné à leur macabre cène pour s'être approché trop près de la vérité.
Grâce à la force de son imaginaire, L'ECORCHE est une très bonne surprise dépassant ses lacunes budgétaires pour faire vivre les mystères de son histoire. Bien que doté d'un rythme lent, misant sur l'immersion et le basculement du réel, le film propose quelques scènes franchement spectaculaires et ultra gores, comme lorsqu'un bus vient percuter le fantôme cramoisi. L'ECORCHE n'est pas pour autant un petit chef d'oeuvre du genre, ce dernier ne se révélant pas toujours à la hauteur des énigmes qu'il camoufle. Certains rebondissements résonnent comme une déception, minorant les rouages d'un récit prometteur. Et que dire de cette fin, brutale et grotesque, qui fait furieusement penser à l'absurde, et pourtant très efficace, plan final de VENDREDI 13 de Sean Cunningham. Un dernier frisson pour la route ? Les bases d'une hypothétique séquelle ? Ou bien un message en filigrane nous disant que la vengeance est un cercle sans fin ?
Inédit en salle chez nous, L'ECORCHE nous arrive directement via cette édition Zone 2 soignée. L'image, au format et anamorphosée, ne souffre d'aucun défaut. Idem pour les pistes audio en 5.1. En outre, si le film n'a bénéficié que d'une post-production sonore éclair, il n'est pas moins avare en effets de spatialisation qui nous vaudront quelques frissons.
L'édition fait l'effort d'une section bonus plutôt complète. Le film est proposé avec une piste audio de commentaires du réalisateur Sheldon Wilson et du directeur de la photographie John Tarver. D'un ton posé, nonchalant par moments, les deux hommes reviennent sur leur film en privilégiant le récit technique et la petite anecdote de tournage. Un angle de plus en plus fréquent dans les commentaires audio, mais qui ne s'avère pas franchement passionnant sur la longueur. On se fiche la plupart du temps de savoir si tel quatrième rôle est sympa dans la vie, ou qui a conduit le camion pour le tournage de cette scène. Et si on attend fébrilement les scènes absconses du film en espérant en savoir plus de la bouche de ses auteurs, ce sera bien évidemment peine perdue.
En revanche, le Making Of d'une trentaine de minutes vaut quant à lui le détour. Très construit, donnant la parole à toute l'équipe, il donne à voir de l'intérieur la production hors norme de ce film courageux. Nous faisons ainsi la connaissance d'une troupe totalement soudée autour du projet, chacun ayant oeuvré bénévolement dans des conditions de travail pire que le dernier des courts-métrages. Une passion et une abnégation qui force le respect. Et que dire du pauvre Rocky Marquette, le jeune homme ensanglanté du film. Nu, recouvert de sirop hyper gluant simulant l'hémoglobine, ce dernier ne pouvait ni s'asseoir ni même poser les bras le long de son corps sous peine de rester collé. Sans parler des nombreux insectes qui venaient s'engluer sur son corps lors des nombreuses prises de vue en forêt. La section s'achève sur la bande-annonce du film, mais omet quelques bonus issus de l'édition anglaise, comme un deuxième commentaire audio orchestré par l'équipe sonore ou des notes de production.
Sorti de nulle part, à l'instar de son étrange personnage ruisselant de sang, L'ECORCHE est une bonne petite surprise à recommander chaudement à tous les curieux espérant des films s'aventurant hors de la lisière balisée du genre. Malgré quelques défauts, c'est bel et bien l'enthousiasme qui s'impose passé les crédits de fin, comme l'atteste son bon accueil dans la section inédit au festival Fantastic' Arts de Gérardmer en 2005, ou son prix du public au festival écossais Dead By Dawn Film Festival en 2004.