Sinichi est un homme en pleine déroute. Vivant seul avec ses enfants, il est rejeté par ces derniers. Instituteur, il est la risée de sa classe. Son seul réconfort est d'enfiler à l'insu de tous un costume fait main de Zebraman, le super héros de son enfance. Jusqu'au jour où son identification est telle qu'il décide de descendre dans la rue pour faire régner la justice «en noir et blanc». Au même moment, le ministère de la défense s'aperçoit que le Japon est menacé d'une invasion extra-terrestre.
Si nous connaissons en France Sho Aikawa principalement par les films de Takashi Miike (RAINY DOG, la trilogie des DEAD OR ALIVE, ou encore GOZU), l'homme n'en est pas moins reconnu au Japon comme un acteur prolifique s'exprimant à la fois au cinéma, en vidéo ou encore à la télévision. Il possède même dans l'archipel une ligne de produits pour homme à son nom. A l'approche de son 100ème film en tant qu'acteur, Aikawa demande à son complice et ami Takashi Miike de bien vouloir s'occuper de ce projet afin de faire de ce centième métrage une expérience particulière. Rêvant depuis toujours d'incarner un super héros à l'écran, l'homme est un fan ému de Tiger Mask, Aikawa demande à Miike et son équipe de réfléchir à cette direction. Ils inventent alors une série de toute pièce, Zebraman, qui servira de socle au film.
Lorsque l'on parle de film de supers héros, on pense immédiatement à Spiderman qui tisse sa toile, Batman qui déploie sa cape, ou encore Reed Richards des Quatre Fantastiques sur les toilettes utilisant son bras élastique pour aller chercher du PQ dans la pièce d'à côté. ZEBRAMAN ne s'inscrit pas pour autant dans cette influence américaine puisqu'il est totalement dévoué à la vision nippone du héros en costume. Créé en 1966 avec ULTRAMAN, le «Tokusatsu» et plus tard les «Super Sentaïs» voient des justiciers masqués affronter dans des zooms frénétiques des méchants en combinaisons caoutchouteuses au milieu de carrières désertes. Les quelques séries importées en France se nommeront SPECTREMAN, X-OR ou encore BIOMAN.
Bien évidemment, se la jouer INCASSABLE de M. Night Shyamalan en prenant pour référence les sentaïs nippons sautillants a tout du projet parodique et hyper second degré. Si Miike semble en effet jubiler à recréer de toute pièce les sentaïs diffusés dans le film (dont cet incroyable combat avec une Sadako bondissant hors de son puit), le film s'articule sur la corde sensible malgré de régulières touches d'humour. Sinichi est en effet un homme inspirant la pitié, pur produit de la légendaire timidité japonaise qui érode les sentiments humains. A l'instar de nombreux personnages du cinéma de Miike, Sinichi trouve sa planche de salut dans le retour à l'enfance, à savoir son identification au héros qui le fait rêver depuis ses plus jeunes années (un héros lui aussi brimé car Zebraman sera arrêté au bout de quelques épisodes faute d'audience). Et si Bruce Willis dans INCASSABLE découvrait ses supers pouvoirs par hasard, Sinichi va quant à lui les développer au fur et à mesure de ses escapades masquées, tout simplement parce qu'il «y croit».
Dans la mesure où nous sommes dans le registre des bons sentiments, Sinichi va aller jusqu'à faire équipe avec Asano, un enfant handicapé moteur lui aussi fan de la série Zebraman. Et si l'on sent poindre ici une mielleuse relation père / fils dégoulinante de pathos, Miike se montre beaucoup plus malin : Asano nous apparaît comme la version enfant de Sinichi (ce qui explique que ce gamin de 8 ans soit aussi un fan de cette série arrêtée il y a plus de 30 ans). Ce dernier forme donc un duo avec la fraction innocente de lui-même, celle qui n'a encore rien raté dans la vie, afin de mieux valoriser l'adulte qu'il devient transcendé par son costume.
Un costume fait de bric et de broc, qui deviendra de plus en plus soigné au fur et à mesure du film, et qui finira par réveiller en lui l'âme du véritable Zebraman qui prêtera à notre héros une ultime combinaison d'une plus fière allure. Il est ainsi amusant de remarquer que l'évolution des personnages du film est intimement liée à l'évolution de ce costume de cosplay, là où les héros américains bénéficient immédiatement de combinaisons high-tech malgré l'absurde (voir Peter Parker bricoler dans sa chambre de bonne le costume de Spiderman avec des matériaux expérimentaux). Dans ZEBRAMAN, assumer le costume et son ridicule, c'est assumer le héros qui est en soi. Et ça marche puisque le spectateur, d'abord amusé, fini par suivre avec empathie les aventures de Sinichi.
En s'attaquant à un cinéma plus familial, Takashi Miike nous prouve si besoin en était qu'il sait faire autre chose que de la violence hardcore (comme la torture à l'huile bouillante de ICHI THE KILLER), ou du nawak olé-olé (comme la lycéenne de FUDOH qui tire des fléchettes via une sarbacane fichée dans son vagin). Et pourtant, ZEBRAMAN s'inscrit en parfaite cohérence dans le travail du monsieur. En entretenant une relation platonique avec la mère du petit Asano (soit la part enfant de lui-même), Sinichi n'y cherche pas tant une femme à aimer mais l'image de sa propre mère qu'il pourra impressionner. Lors d'une séquence onirique ou le personnage habillé en Zebraman succombe à l'assaut d'un crabe géant, cette femme apparaît immédiatement en Zebra-nurse pour panser les plaies du héros. Ce retour vers la femme / mère nourricière et réparatrice rappelle fortement le dénouement de VISITOR Q, le viol nécrophile en moins bien évidemment !
On parle beaucoup du travail sur les personnages et moins de l'action pour une bonne raison, il s'agit du talon d'Achille du film. Si les péripéties de Zebraman / Sinichi sont souvent trépidantes, d'une rouste de quelques voyous à l'affrontement avec un serial killer affublé d'un désopilant masque de crabe (et dont l'esprit est dirigé par de méchants aliens), le film sombre quelque peu lorsqu'il décide de laisser le champ libre à son invasion extra-terrestre : des gnomes aux allures de Flubber avarié, doté d'un design et d'effets spéciaux très médiocres. Sans toutefois paraître désagréable, cette dernière partie mine quelque peu les précédents efforts du film pour lui laisser une sorte de goût d'inachevé. Une erreur qui pourrait se trouver rattrapée dans un ZEBRAMAN 2, que le grand succès du film au Japon pourrait rendre très crédible. Quant à Sho Aikawa, après avoir sué sang et eau sous son costume, il aura été nominé aux Oscars locaux pour sa performance, sans malheureusement remporté le prix.
Inédit en salle, ZEBRAMAN nous arrive directement en DVD via une édition de qualité. Techniquement, il n'y a rien à redire. L'image est au format et anamorphosée, et souffre peut-être juste de couleurs un peu fades. La piste sonore japonaise est un Dolby Surround 2.0 visiblement d'origine, à la dynamique assez péchue. Le doublage français propose une version en 5.1, mais l'artificialité du doublage nous fait préférer d'emblée la version nippone.
Le succès du film au Japon avait incité la sortie d'un disque de Making Of en amont de la sortie du film en vidéo, notamment dans un somptueux coffret bourré de bonus et de goodies. L'édition française fait l'effort de conserver l'essentiel des suppléments de ces éditions. De nombreux petits modules nous attendent, répartis sous trois catégories. Le Making Of y tient un part importante. Uniquement centré sur le tournage, il nous donne à voir une petite équipe travaillant extrêmement dur mais dans une ambiance très respectueuse et conviviale. Oubliez de ce pas les featurettes mettant en scène des stars capricieuses ou des réalisateurs égocentriques. Ici, Sho Aikawa supporte sans geindre les pires souffrances dans son costume tandis que le Japon subit un été à la chaleur record, et Takashi Miike va pousser lui-même le chariot de travelling pour reposer le machiniste. Et tout ce petit monde trouve encore le moyen de travailler dans la bonne humeur malgré des journées intensives de plus de 15 heures de tournage. Ca doit être ça le miracle japonais !
La section contient également deux interviews, l'une avec Sho Aikawa et l'autre avec Takashi Miike. Deux entrevues posées ou chacun parle avec humilité et respect de l'équipe du film ou du message qu'ils ont voulu transmettre par leur travail. Pour terminer dans l'humour, la section propose quelques derniers modules autour de la fausse série Zebraman. Outre une interview bidon de l'acteur principal, nous aurons droit à la bande-annonce intégrale de la série que l'on apercevait déjà dans le film, ainsi que quelques mots du chanteur de la chanson du générique. Pour info, il s'agit de Ichiro Mizuki, une véritable star de la chanson de générique des séries du genre. Enfin, un court petit show nous montrant un Zebraman affrontant un homme crabe sur une scène de cinéma (sûrement pour l'avant première japonaise) finit avec bonne humeur cette édition à la fois complète et parfaitement digeste.
Avec ZEBRAMAN, Takashi Miike fait définitivement une entorse à sa réputation de cinéaste fou ne vivant que pour dynamiter ses propres films. Après le balisé mais très efficace LA MORT EN LIGNE (ONE MISSED CALL), où Takashi Miike mettait ses délires en sourdine pour rester des plus fidèles à son scénario, ZEBRAMAN nous propose une histoire pleine de charme et d'humour sur l'acceptation de soi et ce malgré une dernière partie ratée dans son concept et ses effets spéciaux. Une incartade plus grand public qui ne l'empêchera pas de diriger la même année IZO, peut-être son film le plus violent et radical de sa (déjà) longue filmographie.