En 1967, le réalisateur Terence Fisher renoue avec la Hammer et ses grands monstres classiques pour DRACULA, PRINCE DES TENEBRES. L'année suivante, il revient à un autre sujet classique avec ce FRANKENSTEIN CREA LA FEMME, bien que, entre-temps, il parvienne à tourner son second film de science-fiction pour la compagnie anglaise Planet : le très médiocre LA NUIT DE LA GRANDE CHALEUR dans lequel Christopher Lee affronte une invasion extraterrestre...
A l'origine de FRANKENSTEIN CREA LA FEMME, nous trouvons un projet remontant à 1958, lorsque les dirigeants de la Hammer comptaient donner une suite à FRANKENSTEIN S'EST ECHAPPE !, lequel avait été un triomphe. ET DIEU… CREA LA FEMME du français Roger Vadim ayant connu un succès international, ils décident de plancher sur un sujet nommé AND FRANKENSTEIN CREATED WOMAN, soulignant ainsi toute la dimension blasphématoire des travaux du baron ! Sans doute cherchaient-ils aussi à marcher sur les traces de LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN de James Whale, la suite du FRANKENSTEIN Universal de 1931, suite dans laquelle le savant fabriquait une Créature féminine. Mais cette idée est abandonnée au profit d'une autre qui deviendra LA REVANCHE DE FRANKENSTEIN, en 1958…
Passent les années et les films… Nous voici donc à la préparation de FRANKENSTEIN CREA LA FEMME… Si DRACULA, PRINCE DES TENEBRES avait marqué le retour à l'écriture de scénarios gothiques pour Jimmy Sangster (FRANKENSTEIN S'EST ECHAPPE !, LE CAUCHEMAR DE DRACULA…), cette expérience ne se passa pas bien et celui-ci demanda à ce que son nom soit retiré du générique. Pour FRANKENSTEIN CREA LA FEMME, c'est donc Anthony Hinds, alors co-dirigeant de la Hammer, qui se livre au travail d'écriture. Pour la quatrième fois, Peter Cushing reprend le rôle du baron Frankenstein, mais, les mains du savant ayant été abîmées, il doit se faire aider par un médecin minable : le docteur Herz, qu'incarne avec bonhomie Thorley Walters, habitué des seconds rôles du cinéma anglais (on le vit notamment dans les Hammer LE FANTOME DE L'OPERA, DRACULA, PRINCE DES TENEBRES…).
En 1966, le succès commercial de UN MILLION D'ANNEES AVANT JESUS-CHRIST (film d'aventures préhistoriques produit par la Hammer) reposa en grande partie sur les célèbres photos promotionnelles de Raquel Welch, son actrice principale, qui s'exhibait en sauvageonne à peine de vêtue d'un bikini en peaux de bêtes. La Hammer persiste dans cette voie en sélectionnant soigneusement la nouvelle Hammer Girl. Pour interpréter le Créature (féminine cette fois-ci) de Frankenstein, le studio choisit donc Susan Denberg, une jeune starlette de 23 ans qui, l'année précédente, posa dans un numéro de "Playboy". Le même mois sortait sur les écrans américains SURSIS POUR UNE NUIT, un thriller Warner réalisé par Robert Gist dans lequel elle tenait un petit rôle.
Dans la petite ville de Karlstadt, le professeur Frankenstein continue à mener des expériences contre-nature, cherchant à tout prix à vaincre la mort. Au cours de ses travaux, il se rend compte que l'âme reste dans le corps du défunt après son décès. Au moment de la mort, on peut alors extraire l'âme du cadavre au moyen d'un dispositif électrique, puis la conserver dans un champs magnétique surpuissant et, enfin, la réinjecter dans un corps jeune et bien vivant !
Justement, Hans, un assistant du baron Frankenstein, vient d'être guillotiné suite à une accusation injuste. Quelques instants plus tard, sa bonne amie Christina, une gentille jeune fille affligée d'un pied bot et d'un visage à demi défiguré, s'est jetée dans une rivière, folle de chagrin, et s'y est noyée… Frankenstein conçoit alors une expérience des plus démoniaques : il va réparer les difformités du corps de Christina, lui rendre la vie, puis injecter l'âme de Hans dans son corps !
Avant FRANKENSTEIN CREA LA FEMME, le précédent épisode de cette saga Hammer consacrée au savant de mary Shelley était L'EMPREINTE DE FRANKENSTEIN de Freddie Francis, troisième de cette série, et, surtout, le premier produit en partenariat avec Universal. Ce studio autorisa alors l'emploi d'un maquillage évoquant celui créé par Jack Pierce dans les classiques que cette firme produisit au cours des années 30-40. D'ailleurs, par bien des aspects (architecture du château, corps de la créature retrouvé dans un glacier), cette EMPREINTE DE FRANKENSTEIN se situait plus dans la filiation Universal que dans le cycle Hammer. Avec FRANKENSTEIN CREA LA FEMME, filmé alors que ce studio anglais collabore avec la Fox, le retour au style Hammer est flagrant.
On retrouve ainsi des séquences de cruauté d'une rare intensité, la plus marquante étant sans doute ce prologue d'un sadisme inouïe, au cours duquel un enfant assiste, caché dans un fourré, à la décapitation de son père, lequel le regarde droit dans les yeux à l'instant fatal où s'abat le couperet de la guillotine ! Toujours dans la grande tradition de cruauté de Terence Fisher, toute la longue première partie du métrage nous dépeint les méfaits de trois infects nobliaux venus faire la fête dans une auberge aux dépends du brave tavernier et de sa fille. La violence n'est pas alors seulement physique. Elle se fait aussi psychologique.
Le moment le plus intense par son sadisme gratuit nous montre les trois voyous, ivres, chanter une chanson paillarde et injurieuse sous la fenêtre de la malheureuse Christina. Nous retrouvons ici les cruels aristocrates typiques du cinéma de Fisher, descendants directs de ces vampires au sang bleu qui considéraient les paysans de leur région comme un cheptel de bétail mis à leur entière disposition (LE CAUCHEMAR DE DRACULA, LES MAITRESSES DE DRACULA). Ou de ces sadiques sans coeur pour qui les membres des classes "inférieures" ne sont que des défouloirs pour leurs pulsions les plus atroces (les introduction du CHIEN DES BASKERVILLE et de LA NUIT DU LOUP-GAROU).
Formellement, FRANKENSTEIN CREA LA FEMME renoue avec les qualités des meilleurs productions Hammer de cette époque. Photographie toute en nuance d'Arthur Grant, mise en scène rigoureuse et inventive de Terry Fisher, soin apporté à des décors qu'on devine pourtant assez exiguës. Et surtout, interprétation époustouflante d'une troupe de comédiens parfaitement homogène, menée par un Peter Cushing alors au sommet de son art. Celui-ci crée un Frankenstein exalté par ses découvertes, impatient avec les sots, à la fois arrogant et passionné.
Malheureusement, FRANKENSTEIN CREA LA FEMME pèche tout de même par un scénario aux nombreuses faiblesses. Le film commence remarquablement, même si on peut lui reprocher de tenir un peu trop Frankenstein à l'écart de l'action. Mais, après la création de la nouvelle Christina, l'intrigue devient une banale et routinière affaire de vengeance, dont, à nouveau, le professeur Frankenstein va se voir exclu. Somme toute, Christina serait hantée par le spectre de son compagnon que cela ne changerait pas grand chose. Le sujet de science-fiction et les implications métaphysiques qu'il appelle sont donc traités par dessus la jambe.
La cohabitation d'une âme de femme et d'une âme d'homme dans un même corps aurait pu aboutir à des détails ambiguës, mais, somme toute, cela n'est guère exploité non plus. Nous n'avons pas affaire à l'esprit d'un homme manipulant le corps d'une femme, mais plus à l'esprit d'un homme donnant des ordres impératifs à une femme. Nous sommes loin des situations vénéneuses et troublantes de DR. JEKYLL ET SISTER HYDE que sortira la Hammer quelques années plus tard.
FRANKENSTEIN CREA LA FEMME n'est pas un navet, loin s'en faut, et, même si son dénouement tourne un peu trop à la farce, il s'agit d'un film d'épouvante tout à fait honnête, riche en éléments intéressants et en scènes fortes. En tout cas, la collaboration Fisher-Hammer était belle et bien repartie puisque, dès l'année suivante, ils allaient tourner le formidable LES VIERGES DE SATAN…
En DVD, cela fait belle lurette que FRANKENSTEIN CREA LA FEMME et de nombreux films de la Hammer ont été édités dans divers pays, que ce soit en Grande Bretagne, en Allemagne ou aux USA. Seven7 publie donc ces titres, enfin, avec cinq ans de retard sur la zone 1. La stratégie commerciale laisse dubitatif : certes, les films sont proposés dans de bonnes éditions et à un prix abordable. Mais pourquoi sortir 20 titres d'un coup ? Il y a fort à parier que son éditeur cherche avant tout à constituer quelques réserves de titres afin d'inonder prochainement les rayons des soldeurs…
Après ces considérations, revenons à la description de ce nouveau disque français. Celui-ci propose une image dans son format panoramique d'origine 1.66 (avec option 16/9), dans une copie tout à fait honnête, restituant avec nuance et fidélité les couleurs et le grain très cinéma de l'image. Certaines saletés sont par endroit visibles, mais, franchement, il n'y pas de quoi en faire un drame. On remarque d'ailleurs qu'il s'agit rigoureusement de la même copie que celle proposée sur le DVD allemand publié par Anolis, lequel ne peut se prévaloir que d'une définition très légèrement plus précise.
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Le gros point fort de cette édition est évidemment la présence d'options francophones absentes de toutes les autres éditions de FRANKENSTEIN CREA LA FEMME à travers le monde. On trouve donc bien un sous-titrage français, la version originale mono codée sur deux canaux (de très correcte facture), ainsi que le doublage français dans les mêmes conditions.
En supplément, nous pouvons visionner la bande-annonce anglaise d'époque accompagnée par un des volets de la série de documents "World of Hammer". Produite pour la télévision anglaise en 1990, cette série a déjà accompagné de nombreuses éditions de DVD Hammer à travers le monde(USA, Allemagne, etc.). Narré par Oliver Reed lui-même, ces documents d'environ 25 minutes chacun se contentent d'aligner quelques extraits de films liés au sujet du jour et de les commenter très superficiellement. Le document proposé ici est dédié à Peter Cushing et nous montre quelques extraits du CAUCHEMAR DE DRACULA, LES MAITRESSES DE DRACULA ou LA DEESSE DE FEU. Un cadeau sympathique, mais pas indispensable. Et c'est tout pour ce disque français…
Le DVD allemand, lui, faisait un peu mieux en proposant, outre la bande-annonce et un document "World of Hammer" (celui dédié à la série des Frankenstein), une copieuse galerie de photos incluant une vaste exposition de matériel promotionnel allemand et anglo-saxon. Surtout, il offrait une superbe collection de photos de plateau et de tournage, reflétant avec beaucoup de charme l'ambiance conviviale et familiale régnant sur les plateaux de Bray où la Hammer tournait alors ses films. Nous trouvons aussi de nombreuses photos posées pour la promotion du film, dont certaines nous montrant Susan Denberg à peine vêtue, dans un décor n'évoquant en rien le film : sans doute faut-il y voir une astuce publicitaire pour promouvoir l'aspect sexy du long métrage !
Dans le même style, nous remarquons des photos d'une célèbre cession nous montrant Peter Cushing - Frankenstein "opérer" Christina, laquelle est à visage découvert (et guérie de sa difformité), vêtue d'un bikini en bandages. On peut voir une de ses photos sur le montage qui sert de jaquette au DVD Seven7, tandis qu'une autre, peut-être la photographie la plus célèbre de Peter Cushing en France (elle illustra les couvertures de "L'écran fantastique" numéro 19 et du "Fantastyka" numéro 9) fait aussi partie de ce lot : Frankenstein porte dans ses bras sa créature ! Or, ces images n'apparaissent en aucun cas dans le film…
Un vaste débat tourne autour de cette séquence : a-t-elle été filmée, ou bien ne s'agit-il que d'une mise en scène pour prendre des photos publicitaires ? Terence Fisher déclara, lui, que cette scène n'a jamais été filmée. Mais d'autres sources considèrent qu'elle a bien été tournée, puis retirée du métrage. Le mystère reste entier !
En tout cas, il faut louer Seven7 d'avoir sorti ce disque et, ainsi permis au plus grand nombre de découvrir FRANKENSTEIN CREA LA FEMME dans de bonnes conditions, à petit prix et en français…