Arif, un indécrottable filou, se voit enlevé par des extra-terrestres provenant de la planète Gora. Le commandant Logar, le capitaine du vaisseau retenant Arif prisonnier, a imaginé un odieux stratagème pour prendre la place du roi de sa planète : il a lancé vers Gora une comète que lui seul peut arrêter. Un chantage qui devrait l'amener sur le trône, à moins que l'insoumission d'Arif à son statut d'esclave ne fassent tout capoter.
Dès lors que l'on parle de science-fiction turque, le commun des mortels ne peut s'empêcher de sourire en imaginant un spectacle désuet à des années-lumière des standards américains. La faute principalement à l'über-nanar DUNYAYI KURTARAN ADAM alias TURKISH STAR WARS (titre absolument pas officiel), un indescriptible maelstrom de n'importe quoi peuplé de monstres en pyjamas à poils rouges et d'effets spéciaux directement refilmés depuis un écran diffusant l'authentique STAR WARS. Plus de vingt ans après cet effort psychotronique, G.O.R.A. nous arrive pour remettre certaines pendules à l'heure. Non, le cinéma turc ne se limite plus depuis longtemps à des aventures obsolètes en carton-pâte. Et oui, les américains n'ont qu'a bien se tenir !
G.O.R.A. est comme une sorte de champion du cinéma local : plus gros budget à ce jour (5 millions de dollars), plus gros décor construit, première utilisation massive d'effets spéciaux de pointes et surtout plus gros succès au box-office turc. Un investissement qui se voit clairement à l'écran. G.O.R.A. est un authentique space opéra avec des vaisseaux spatiaux de synthèse, des extra-terrestres hauts en couleur tout droit issus d'une nébuleuse STAR TREK, et une planète étrangère riche en dépaysement. Techniquement et artistiquement, nous sommes devant un film totalement à la hauteur des gros budgets hollywoodien. Bien entendu, l'intérêt de G.O.R.A. ne se limite pas seulement à toiser le géant américain. C'est un film turc et fier de l'être, et quoi de mieux pour promouvoir l'esprit local que d'avoir recours à l'humour.
Derrière le mastodonte G.O.R.A., il y a Cem Yilmaz, véritablement l'«auteur» du film. L'homme commence sa carrière en dessinant des caricatures dans les journaux. Il devient par hasard «meddah» (un conteur populaire se produisant seul sur scène) et rencontre un succès foudroyant. Son humour très acerbe et ses idées quasi anarchistes en font une personnalité hors norme dans le paysage turc. Après quelques rôles au cinéma, il s'investit pleinement dans G.O.R.A.. Il signe le scénario tandis que son complice Omer Faruk Sorak s'occupe de la réalisation. Non content d'assumer le rôle principal, il endosse la défroque du méchant de service, le commandant Logar, ainsi que deux autres petits rôles. Enfin, tandis que le film sera bloqué pendant deux années suite aux magouilles financières du producteur, c'est Yilmaz lui-même qui mettra la main à la poche pour que G.O.R.A. puisse enfin sortir sur les écrans.
G.O.R.A. est ainsi un film paradoxal. Si les moyens mis en oeuvre font passer le métrage pour un blockbuster américanisé, le fond du film n'est finalement qu'une joyeuse et débonnaire pochade entièrement dévouée au culte comique de son personnage principal. Pour user d'un raccourci facile, l'humour de Yilmaz est à la croisée d'un Santiago Segura dilué dans un sens parodique plus classique mais très inspiré. La première partie de G.O.R.A., qui se focalise sur la détention d'Arif dans le vaisseau spatial, joue la carte du film de prison. Tentatives d'évasion ratées, cohabitation difficile entre «détenus», et enfin émergence d'un groupe d'amis fidèles qui s'entraideront (à savoir un autoproclamé Bob Marley turc et un robot gay), la mécanique du genre est parfaitement reconstituée. Le deuxième tiers se focalise sur la fuite de nos héros sur Gora, dans une ambiance qui n'est pas sans rappeler L'AGE DE CRISTAL. La dernière partie verra Arif devenir «l'élu» censé sauver le monde, une sorte de néo-Néo s'entraînant à exécuter des mouvements de Bullet Time face à un gros tuyau de ventilation.
STAR WARS et STAR TREK sont également cités, mais c'est curieusement le CINQUIEME ELEMENT de notre Luc Besson national qui se voit le plus religieusement repris. Yilmaz va même jusqu'à mimer à l'identique l'épisode final de l'association des éléments pour détruire une comète géante, le sens comique venant du fait qu'Arif ne sait pas très bien à quoi correspondent les éléments. Très décontracté avec ces références, Yilmaz n'hésite d'ailleurs pas à faire citer le titre des films parodiés par ses personnages, au risque de créer de nouveaux décalages. Lorsque le mentor de la dernière partie sort deux pilules devant Arif, une bleue et une rouge, ce dernier jubile à devoir faire «comme dans Matrix» ! Jusqu'à ce que le mentor grommèle en lui lançant qu'il s'agit de son traitement pour l'arthrite.
L'aspect parodique sera forcément l'élément le plus immédiat chez le spectateur occidental, découvrant un humour dont il n'a pas forcément toutes les clefs (hormis celle de la référence). G.O.R.A. sait pourtant se montrer plus subtil, puisque le but du film est finalement d'imposer la culture locale dans un carcan jusqu'alors réservé à Hollywood, et ainsi de placer un monsieur tout le monde turc (Arif) dans la peau d'un Bruce Willis ou d'un Keanu Reeves. Le film s'ouvre sur le décollage du vaisseau de Logar, avec une équipe de bord ne s'exprimant qu'en anglais. Ne comprenant pas un mot, le sbire de Logar s'insurge : pourquoi un vaisseau spatial turc ne pourrait pas bénéficier d'ordres de vol en turc (à traduire par pourquoi les grands films spectaculaires doivent-ils systématiquement être en anglais) ? L'incompréhension de l'anglais est réutilisé quelques minutes plus tard avec un gag musical désopilant. Dans l'une des meilleures séquences du film, Yilmaz revient sur le passé du fameux «Bob Marley Faruk» : ancien producteur de cinéma bis, il doit se reconvertir dans le porno pour survivre à une industrie locale vampirisée par les américains. Quant au nom «Gora», il rend ouvertement hommage aux sandwichs Gora, un casse-croûte local dont Yilmaz raffole.
G.O.R.A. est donc une très bonne surprise. Une comédie rafraîchissante, et qui ne sacrifie pas ses qualités d'écritures ou de mise en scène à son humour. Certains comiques français devraient s'en inspirer avant de passer du petit au grand écran. Outre ses atouts humoristiques, Yilmaz se révèle un comédien très doué et attachant. Sa transformation physique, de Arif à Logar, est particulièrement impressionnante. Le spectateur, n'étant pas au courant à l'avance du double rôle, risque de ne découvrir la performance que lors du générique de fin. On pourrait juste reprocher au film sa durée quelque peu excessive, un peu plus de deux heures, dont les longueurs se centralisent principalement vers son milieu.
G.O.R.A. est sorti au cinéma simultanément en Turquie et dans quelques pays d'Europe fin 2004. La France pu bénéficier du film sur une toute petite poignée d'écrans avant de disparaître pour de bon puisqu'aucune édition DVD ne semble prévue chez nous. Heureusement, l'Allemagne a le courage d'éditer le film sur support numérique, avec des sous-titres en français qui plus est. Plusieurs autres langues sont aussi disponibles laissant à penser qu'il s'agit en réalité d'un DVD produit par les Turcs et prévu directement pour l'exportation. La qualité technique du disque est impeccable : image au format et sans aucun défaut, bande-son 5.1 fort généreuse en effets et spatialisation.
L'édition met le paquet sur les bonus. Premier incontournable, un commentaire audio de Cem Yilmaz et du réalisateur Omer Faruk Sorak. Si le ton semble très détendu, nous restons totalement à la porte de leurs propos. La raison en est très simple, le commentaire en langue turque n'est absolument pas sous-titré (même pas en allemand). Un Making-Of d'une trentaine de minutes répare l'affront. Parfaitement sous-titré notamment en français, ce module donne la parole à tous les comédiens du film ainsi que les grands corps de métier ayant travaillé sur G.O.R.A.. Production sans précédente en Turquie, chacun se montre particulièrement enthousiaste par rapport à l'aventure. Heureusement, le Making-Of évite la logorrhée langue de bois pour constituer un intéressant témoignage sur la fabrication de ce métrage à l'ampleur jusqu'alors insensée pour son pays.
Le contenu restant de la section est plus accessoire. Une dizaine de minutes de scènes coupées, en fait des version étendues de séquences présentes dans le film, s'avèrent sympathiques sans véritablement apporter quoique se soit. Ces dernières se focalisent principalement sur la détention d'Arif. Un long bêtisier aurait mérité que l'on s'y attarde plus longuement si ce dernier n'était encore une fois privé de sous-titrage. Reste une ambiance de tournage visiblement joyeuse bien que concentrée. Une archive promotionnelle est disponible avec moult bandes-annonces ainsi que deux clips vidéos tirés du film, une chanson de hip hop locale ainsi qu'un titre plus rock interprété par Ozkan Ugur (le fameux mentor du film). Enfin, une copieuse liste de mini-filmographies nous permet d'en savoir plus sur les comédiens mais aussi les membres de l'équipe (ces informations étant à nouveaux disponibles en français).
Avec G.O.R.A., on pensait découvrir le renouveau de la science-fiction turque. En lieu et place, nous faisons la connaissance du trublion local, Cem Yilmaz, le Jerry Lewis / Les Nuls / Stephen Chow / Beat Takashi / et-ainsi-de-suite turc. On ne perd sûrement pas au change, tant G.O.R.A. se montre un spectacle sympathique et très souvent irrésistible.