Header Critique :  964 PINOCCHIO

Critique du film et du DVD Zone 1
964 PINOCCHIO 1991

 

964 Pinocchio est un androïde confectionné illégalement par un savant fou, et dont le but unique est de satisfaire les besoins sexuels de riches clientes. Jeté à la rue par sa «propriétaire», Pinocchio tombe par hasard sur Himiko, une sans-abri amnésique qui le prend sous son aile. Tandis qu'elle lui apprend à retrouver un semblant d'humanité, l'ancienne personnalité d'Himiko remonte à la surface. De leur côté, les créateurs de Pinocchio quadrille la ville pour le retrouver.

Daté de 1991, 964 PINOCCHIO est l'un des fers de lance du cinéma tokyoïte underground, mouvement découvert par TETSUO de Shinya Tsukamoto et alimenté depuis par des œuvres plus ou moins choc telles que ORGAN de Kei Fujiwara, BURST CITY de Sogo Ishii ou encore DEATH POWDER de Shigeru Izumiya. Shozin Fukui, son auteur, est d'abord musicien expérimentalo-punko-noisy. Ces premiers travaux filmiques sont d'ailleurs des satellites de sa musique ou de la scène japonaise dissonante. Suite à la rencontre avec le chanteur d'un groupe punk, Fukui décide de bâtir un long-métrage de fiction autour de cette figure atypique. Le musicien décédant malheureusement à quelques mois des prises de vues, Fukui maintient son projet en le réécrivant de manière compulsive. 964 PINOCCHIO naît ainsi de manière totalement indépendante et rageuse, autant pour surmonter la peine de la disparition d'un ami que pour en découdre avec des forces du destin fort peu encourageantes.

Difficilement visible jusqu'à présent, 964 PINOCCHIO s'était taillé une réputation Cyberpunk de TETSUO-like à la sauce ultra-harcore, de celle que seul quelques auteurs nippons complètement barrés sont capables, et que seuls quelques fanas d'ultra-dégeulbif sont à même d'encaisser. S'il est effectivement très proche du film de Tsukamoto, l'aura gore et malsaine dont faisait l'objet 964 PINOCCHIO est à remettre en cause de manière totale. Le film de Fukui paraît même étonnamment sage rapporté à ses aînés. Peu de débordements graphiques, et pourtant, 964 PINOCCHIO est une œuvre dont on ressort lessivé et flageolant. Le pourquoi du comment : un style visuel et une narration chaotique et supra-abrasive qui, martelée sur une durée de long-métrage, finit par donner l'impression de se faire essorer par une machine à laver sonorisée au trash-expérimental.

964 PINOCCHIO commence pourtant presque classiquement. La rencontre entre Pinocchio et Himiko est traitée de manière douce et appliquée. Fukui leur laisse un bon tiers de film pour développer leurs sentiments, donnant l'impression de s'orienter vers une love story entre laissés pour compte, l'ambiance indus et urbaine n'étant qu'un background oppressant destiné à alimenter le renfermement des deux personnages (et ainsi le repli mutuel de l'un sur l'autre). Puis le film bascule. Pinocchio découvre sa condition d'organisme alternatif via des mutations grandiloquentes, qui ont pour effets de réveiller les souvenirs d'Himiko jusqu'à orienter le personnage dans une direction totalement opposée.

La continuité de 964 PINOCCHIO est alors marquée par une furie contagieuse et littéralement maladive. Les comédiens, jusqu'à présent sobres, sont lancés dans un sur-jeu incontrôlable qui ferait passer les pires moments de L'AMOUR BRAQUE de Andrzej Zulawski pour du théâtre Nô. La comédienne Onn-Chan (Himiko) est particulièrement terrorisante dans un numéro d'hystérie ininterrompu, déformant son visage, son corps et sa voix dans une performance de comédie particulièrement violente (l'usage très généreux du grand angle vient enfoncer le clou). L'amourette entre l'androïde et Himiko devient ainsi de plus en plus contradictoire, la jeune femme devenant un bourreau haineux et sadique via un twist psychologique dont l'analyse est à proposer aux spécialistes !

Obsédé par les «rejets» organiques, Fukui organise quelques scènes de vomi abstraites (le corps de Pinocchio déversant divers fluides colorés à la STREET TRASH de Jim Muro) ou totalement figuratives (Himiko dégueulant à s'en péter la glotte dans les couloirs du métro dans une performance qui n'est pas sans rappeler, toute proportion gardée, Isabelle Adjani dans POSSESSION toujours de Zulawski). Mis à part ces séquences objectivement crades, Fukui se concentre uniquement sur le triturage de son médium pour créer le malaise. Caméra frénétique, pixilation intempestive, montage tendu et bande son tonitruante, l'influence de TETSUO est absolument écrasante même si 964 PINOCCHIO pousse l'expérience de ressenti encore un peu plus loin.

Le film de Shozin Fukui est donc à conseiller à un public averti. Pas le même public averti des bandes méga-trash made in Japan, mais un public prêt à ressentir le rouleau compresseur sensoriel offert par le film. Musicien d'origine, Fukui organise notamment la bande-son la plus éprouvante du monde, dont les deux tiers sont composés d'un hurlement ininterrompu que les différents personnages se passent tel un douloureux relais. Ayant longtemps tourné sous forme de bootleg VHS à moitié démagnétisé, personne n'avait pu jusqu'alors juger de l'excellent et parfois ambitieux travail photographique du film. Les formalistes apprécieront.

Epileptique et hurleur, 964 PINOCCHIO est une bonne surprise. Certes, il faudra pouvoir se fondre dans une narration particulièrement lente malgré l'énergie des comédiens et de la caméra, ou encore passer sur quelques séquences un peu cheapouilles (notamment dans le laboratoire des créateurs de Pinocchio). Mais le résultat détone. Parfois trop proche de TETSUO (on pense à ce final incongru qui reprend, dans l'idée, le climax du film de Tsukamoto), 964 PINOCCHIO se pare néanmoins d'une personnalité propre qui n'exclut d'ailleurs pas l'humour. A aller toujours plus loin, le film tombe au final dans une abstraction cartoonesque et décadente, comme cette longue séquence où Pinocchio déambule en pleine crise dans les rues de Tokyo et ce devant un parterre de passants éberlués. Le tournage guérilla poussé à son paroxysme en quelque sorte.

Film obscur par excellence, 964 PINOCCHIO a enfin droit à une excellente édition DVD Zone 1. L'image, au format plein cadre d'origine, est d'une qualité absolument détonante compte tenu de la confidentialité du titre. Le son est un stéréo très percutant, à écouter très fort bien entendu. L'éditeur soigne énormément son disque en proposant une section bonus riche et pertinente. Nous trouvons ainsi le court-métrage CATERPILLAR, réalisé par Fukui en 1988. Tourné en 8mm, cet essai alterne performance live de musiciens punko-bruitistes et saynètes abstraites tournées à même la rue. Une curiosité à réserver en priorité aux habitués de l'expérimental.

Pour revenir à 964 PINOCCHIO, une interview de Fukui permet de replacer le film dans son contexte et de livrer quelques clefs quant à son concept. Le réalisateur revient sur le tournage mouvementé du film, où ce dernier poussait tout le monde à bout pour créer une tension permanente sur le plateau, jusqu'à son audacieuse exploitation dans un cinéma underground nippon (où Fukui avait installé lui-même un système sonore surpuissant dans la salle, allant jusqu'a provoquer des malaises chez certains spectateurs). Une galerie de photos d'exploitation ainsi que des bandes-annonces du catalogue de l'éditeur referment la section.

AAAHHHHAHAHAHAHHAHAHHAAAAAAAAAAAA… Voilà en substance ce qui attend vos oreilles lors de «l'expérience» 964 PINOCCHIO. Pour sûr, il ne faut pas avoir les tympans fragiles ou la rétine trop délicate pour pouvoir apprécier ce spectacle fou furieux. Mais les spectateurs amateurs de kinétique survoltée sauront faire honneur au résultat : un film outré, hystérique mais pourtant un peu lent, et finalement drôle dans son absurde. Shozin Fukui réalisera quelques années plus tard RUBBER'S LOVER, fausse préquelle à 964 PINOCCHIO et authentique film malade, également disponible via une édition de qualité.

Rédacteur : Eric Dinkian
Photo Eric Dinkian
Monteur professionnel pour la télévision et le cinéma, Eric Dinkian enseigne en parallèle le montage en écoles. Il est auteur-réalisateur de trois courts-métrages remarqués dans les festivals internationaux (Kaojikara, Precut Girl et Yukiko) et prépare actuellement son premier long-métrage. Il collabore à DeVilDead depuis 2003.
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Une narration un peu prétexte qui tire en longueur ses séquences.
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L'édition vidéo
964 PINOCCHIO DVD Zone 1 (USA)
Editeur
Unearthed
Support
DVD (Simple couche)
Origine
USA (Zone 1)
Date de Sortie
Durée
1h37
Image
1.33 (4/3)
Audio
Japanese Dolby Digital Stéréo
Sous-titrage
  • Anglais
  • Supplements
    • Caterpillar (Court-métrage - 32mn24)
    • Interview de Shozin Fukui (32mn52)
    • Galerie photographique
      • Bandes-annonces
      • Rubber’s Lover
      • Electric Dragon 80.000 V
      • Junk
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